Je serai quelqu’un…

Zouhair a 12 ans, il est vendeur de sacs en plastique dans le souk. Il ne souhaite pas devenir un petit voyou, ni un futur membre de ces nouveaux gangs appelés Tcharmila. Un petit bonhomme bien déterminé.

«Je ne suis pas un enfant des rues, je vis dans une maison avec mes parents. J’ai un père, une mère et des frères; je suis l’aîné de la famille. Depuis 4 ans, je ne vais plus à l’école parce que mes parents avaient besoin d’une aide supplémentaire pour vivre décemment.

J’habite dans un quartier défavorisé, loin de la ville et je travaille comme vendeur de sachets en plastique, au détail, dans deux «souikas». L’une se trouve au centre de la ville que j’habite et l’autre en médina. Pour m’y rendre, je ne vais jamais par mes propres moyens: c’est d’abord trop cher, ensuite trop loin et dangereux de tenter l’aventure. J’ai la chance d’avoir comme voisin un jeune marchand de légumes. C’est lui qui m’y amène et me ramène le soir. Comme un grand frère, il connaît ma famille, nos problèmes… Il veille sur moi. Je circule dans un monde qui est loin d’être facile. Au centre-ville, généralement, les ventes commencent à 8 heures du matin et finissent vers 14 heures. Les marchands plient bagages et certains d’entre eux vont exposer le reste de leurs marchandises à partir de 17 heures et jusqu’à 21 heures dans la médina. D’autres marchands vont s’installer près de chez eux et s’ajoutent aux commerçants habituels. Les ventes peuvent se prolonger jusqu’à 22 heures et, en été, un peu plus tard. Moi, je suis toujours avec le même vendeur, mon voisin: il a un triporteur. Nous faisons équipe et allons dans deux places réservées aux marchands ambulants. Je l’aide à charger et décharger ses caisses de légumes. Contre ce service, il me transporte gratuitement. Une fois sur deux, mes journées démarrent vers 5 heures du matin. C’est l’heure à laquelle nous nous rendons au grand marché de la criée. Elles ne finissent qu’aux environs de minuit.
Il arrive parfois que je n’aie plus la force de me lever si tôt. Cela m’est arrivé en été, parce que nous restons plus tard à essayer d’écouler la marchandise qui risque de pourrir.
Ces journées où je ne vais pas au travail, je les ai en horreur, parce que je traine dans notre quartier et je suis obligé de rencontrer ceux que j’évite à tout prix.
Je préfère être loin, occupé à vendre mes sachets en plastique. Je les propose à 0,50 DH les moyens et à 1 DH les plus grands. Je propose aussi mon aide pour porter les sacs jusqu’aux voitures.
Les habitués qui me connaissent, je me charge de porter leurs paniers jusqu’à leur porte. Ce sont en général les femmes que j’aide contre 2 ou 3 dirhams. Certains jours, j’ai plus de chance quand il y en a qui sont généreuses: je reçois de 5 à 10 dirhams et même un déjeuner. Dans les «souikas», ce ne sont pas seulement des personnes nécessiteuses qui viennent faire leurs courses: il y a tous les genres. Ce qui m’étonnera toujours, c’est que les plus aisés refusent toujours l’aide de gens comme moi pour ne pas donner une pièce. Même les gardiens de voitures ont toujours des problèmes avec eux. Je ne suis pas le seul à proposer ce genre de services: il y a de plus en plus de concurrence. Chaque jour, il arrive de nouveaux enfants et vraiment en très bas âge, entre 5 et 6 ans. Ils sont en guenilles, affamés. A cause d’eux, je suis parfois houspillé ou même battu par les marchands, parce que certains y viennent aussi pour chaparder des légumes. Moi, chaque jour, mon voisin me donne un sachet tout plein de légumes en échange de quelques dirhams. Je traîne dans les marchés pour aider mes parents. Je n’ai pas envie de finir comme certains voyous qui passent presque toute la journée à dormir et qui se lèvent dans l’après-midi pour commettre toutes sortes de délits. Ceux-là, leurs parents sont complètement dépassés.
Ces bandits sont souvent la cause de beaucoup de problèmes dans nos quartiers. Ils ne craignent même plus les séjours en prison. Certains, dernièrement, n’ont rien trouvé de mieux que de s’armer de sabres pour semer la panique dans les familles en les pillant juste pour s’approvisionner en «karkoubi» ou hachisch. J’ai moi-même été agressé par ces espèces de voyous qui m’ont fait les poches. Maintenant, je ne garde plus mes sous sur moi: j’ai ma cachette sur le tripoteur. Je demande toujours à être déposé à la porte de chez moi. Mon père est souvent assis avec des voisins à discuter et à fumer.
Mon pauvre père était vendeur de poulet découpé, dans la «souika», près de chez nous. Il avait une table et vendait la volaille au morceau, mais on lui a interdit de le faire. Il attend depuis deux ans qu’on lui délivre sa place dans le nouveau marché. On lui dit chaque fois que c’est pour bientôt mais, selon les commérages, il paraîtrait qu’il y a des magouilles. Ma mère travaille comme femme de ménage quelques jours par semaine. Aujourd’hui, c’est ma mère et moi qui travaillons pour tenir le coup à la maison. Nous faisons de notre mieux pour sauver notre petite famille. Je me sacrifie pour que mes petits frères et sœurs, eux, aillent à l’école. Je ne voudrais jamais qu’ils soient comme ces voyous, ni comme moi d’ailleurs…
Je ne suis pas un voleur, ni un voyou et je ne le serai jamais. Je suis très jeune et vendeur à la sauvette de sachets en plastique, mais j’ai des principes et des ambitions. Par exemple, il y a quelques jours, j’ai trouvé par terre une pochette avec une énorme liasse de billets, des papiers et un téléphone. Je n’en ai parlé à personne pour ne pas qu’on me la retire de force, mais je suis allé tout de suite la déposer chez l’épicier du coin. Je le connais, c’est un homme bien, honnête. Nous avons tous les deux fait son inventaire. Quelques minutes plus tard, sa propriétaire a surgi dans la rue. Elle se promenait comme une folle et arpentait le sol au millimètre près, en pleurant, essayant vainement de retrouver ce qu’elle avait perdu. Je suis allé vers elle et l’ai questionnée en lui demandant des précisions sur ce qu’elle cherchait. Elle m’a donné des indications sur sa pochette et m’a expliqué qu’elle était dans de beaux de draps, parce que dans cette pochette, il y avait 2.500 dirhams, un argent qui n’était pas à elle, son téléphone et ses papiers. Je l’ai réconfortée en lui disant que je l’avais trouvée et l’ai emmenée à l’épicerie. Elle m’a remercié, a prié pour moi intensément et m’a tendu un billet de 50 dirhams. Elle s’en est allée en répétant qu’il existait encore des gens biens sur cette planète. J’étais si heureux de lui avoir rendu service, j’ai tant besoin de bénédiction divine.
J’ai moi aussi envie de grandir, de voir sortir ma famille de cette impasse, d’avoir moi aussi un jour un triporteur, de gagner ma vie honnêtement, de continuer à aider les miens et enfin de fonder ma propre petite famille. J’en suis sûr, un jour, je serai quelqu’un!».

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Mariem Bennani

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