Taher, 60 ans, travaillant à son compte, est marié et père de 6 enfants. Cet homme nous raconte qu’il a un enfant de 38 ans qu’il n’a jamais vu. Voici son récit.
«J’ai commis des fautes impardonnables, je l’avoue et je n’en suis pas fier. Mais il y en a une du passé que je sais inadmissible parce que je l’ai maintenue intentionnellement sous silence par manque d’audace et par peur que cela cause des troubles dans l’éducation de ma progéniture vivant à mes côtés. Sauf qu’aujourd’hui se manifestent en moi de la culpabilité et du remord beaucoup trop intenses! Hors de question pour moi de les refouler parce qu’il était grand temps que ça remue de ce côté là quand même! Maintenant, implorer le pardon et qu’enfin les choses changent, c’est mon dernier combat et mes dernières volontés. Et n’en déplaise à ceux qui s’activeront dans le blocage comme ils s’y exercent avec passion depuis des lustres, vu que je ferai ce que j’ai à faire! De toutes les manières, il m’importe peu de me heurter encore et encore à la totale et absolue inaptitude de ces gens à se dépatouiller de leur haine. Je les trouve honteusement inhumains et injustes. Je vais vous dire, ce fils que j’ai lâchement délaissé, qu’ils le veuillent ou non, je me suis fait la promesse solennelle de lui raconter ma version de notre histoire afin que je puisse enfin, au moins une fois, le serrer dans mes bras.
Mon premier enfant, je l’ai conçu à l’âge de 22 ans dans des conditions qui, à l’époque, étaient inadmissibles pour les familles traditionnalistes et surtout celle comme la mienne. Sa naissance n’avait pas été accueillie avec jubilation et sa mère en tant qu’épouse légitime encore moins. Ainsi, nous allions vivre tous les trois quelque chose de dramatique. Je vous explique.
Ma première femme je l’avais rencontrée à l’université. Elle et moi assistions assidûment, toujours côte à côte, à tous les cours et ce, depuis notre première inscription. C’est ainsi que nous étions tombés vraiment amoureux l’un de l’autre.
En toute sincérité, je n’avais absolument aucune mauvaise intention à son égard. D’emblée, je lui avais promis de l’épouser dès que cela serait possible et elle me faisait confiance. Au fil du temps cela ne nous arrangeait plus de vivre chacun de son côté et parce que nous nous considérions déjà comme étant un couple uni, nous nous étions installés sous le même toit. Il faut dire aussi que cela arrangeait mes moyens devenus très limités à cause d’un fortuit revers de fortune dans ma famille. Donc, c’était elle qui prenait en charge notre chambrette commune, louée dans une maison occupée par un tas d’autres étudiants. Tout cela bien évidemment à l’insu des parents vivant à plusieurs centaines de kilomètres de la capitale du Royaume.
Nous nous en sortions très bien et nous nous appliquions avec rigueur pour ne pas échouer à nos examens. Sans oublier que durant les périodes de vacances, séparés, sans aucun moyen de rester en contact, nous nous tenions à carreaux pour ne pas éveiller quelques nuisibles soupçons. Mais, il nous tardait de nous retrouver à chaque rentrée. Au tout début de la dernière année de licence, notre enfant s’était annoncé et ce fut pour le moins déstabilisant voire affolant. L’idée qu’il était possible de nous débarrasser de ce fœtus par un curetage ne nous avait pas réjouis, ni rassurés. D’autant plus que ni elle, ni moi, n’étions capables financièrement et éthiquement parlant, de nous engager sur ce terrain. La terreur qui nous brûlait les boyaux, ce n’était pas de nous savoir parents. Nous ne supportions pas l’idée, qui nous paraissait monstrueuse, de devoir parler aux parents de notre liaison, de notre vie à deux et, pire, de cette grossesse.
Je vous jure que voir ma moitié pleurer et se flanquer des baffes, en disant qu’elle préférait se savoir morte plutôt que d’avouer à ses parents qu’elle était enceinte, me rendait fou. C’est cela qui m’avait donné la force d’aller affronter la mentalité épouvantablement rigide des miens pour les obliger à demander sa main. Je vous épargnerai les détails de la secousse sismique déclenchée par cette nouvelle. Au final, nous avions été mariés en catimini. Sauf que pour les deux camps, nous demeurerons ad vitam aeternam les fomentateurs de la plus gravissime «chouha» de tous les temps.
Ce qui allait sceller notre future désunion s’était passé pendant que les adouls transcrivaient notre acte de mariage. Malheureusement, je n’avais été capable d’empêcher mes parents de jurer sur leur honneur, haut et fort, qu’ils se chargeraient de me séparer de ma «catin» et de son «hrami» dès sa naissance.
A cause d’une haine sans égal entre nos deux familles, il ne nous sera alors plus possible de rester ensemble comme avant. Mon épouse, fut enfermée par les siens chez eux jusqu’à son accouchement. Et toute tentative de ma part de la voir échouait, parce qu’elle était considérée comme le pire des affronts. L’éloignement, les examens et le contrôle maladif de mes parents m’avaient contraint et forcé de ne pas envenimer encore plus cette barbare situation. Plus cruelle encore, fut la demande de m’activer dans les formalités de divorce que m’imposaient mes beaux-parents et ce, dès que j’avais enregistré la naissance de mon enfant à peine aperçu, sur notre livret de famille.
Le cœur déchiré en mille morceaux, j’avais d’abord énergiquement refusé de divorcer, mais ce sont mes parents qui me forcèrent à accepter. Imaginez-moi un peu, tantôt face à mon père brandissant sa menace de me déshériter de son nom et de ses biens et tantôt face à mon beau-père scandant la mort plutôt que de livrer sa fille et son petit-fils à la lie de la société. Ces deux-là et ma mère tels des diables s’arrangèrent pour que mon couple et notre enfant n’aient plus jamais l’infime chance d’être réunis.
Quelques temps plus tard, pour nous porter le coup fatal, nous avions été obligés d’épouser d’autres personnes qu’eux nous avaient choisis. Quant à mon fils, il fut élevé par ses grands-parents maternels qui ont fait le nécessaire pour que jamais je ne retrouve sa trace.
Alors, comme une larve agonisante, je m’étais laissé guider sans me débattre contre ce choix de destinée. Il faut dire aussi que j’étais placé sous surveillance permanente avec cette deuxième épouse jalouse comme une hyène. Pour que j’oublie mon passé, elle m’a donné cinq enfants. Elle veillait comme une matrone à ce que jamais je ne me permette de parler de mon passé et que jamais je ne prononce le prénom de ce fils dont elle n’ignorait pas l’existence. Sans mentir, je craignais de me frotter aux coups de gueule avec cette force de la nature sans grande instruction. Je préférais me la fermer pour ne pas devoir m’engager dans quelque débat stérile qui m’aurait fait souffrir. Je me suis noyé dans le quotidien en trimant dur pour élever dignement mes enfants et pour accéder au statut social qui me rendrait le grade perdu de ma dignité.
A ce petit monde, j’ai assuré un bel avenir. Envers eux tous je n’ai pas failli à mon devoir de chef de famille. Je ne les ai jamais privés de quoi que ce soit. A eux, je leur ai offert le luxe d’habiter cette belle maison, aussi de passer des vacances dans une petite résidence secondaire en bord de mer, des études supérieures, des mariages, des baptêmes et tant d’autres largesses.
Mais aujourd’hui, c’en est fini de la mascarade. Dorénavant, il n’y aura âme qui vive sur la planète terre pour me défendre d’aller à la rencontre de mon fils ainé qui a 38 ans !».
Mariem Bennani