Jeunes au Maroc : Si jeunesse savait…

Jeunes au Maroc : Si jeunesse savait…

(AFP)

«Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait». Partir de ce proverbe datant de 1594 n’est pas un choix fortuit. Il est incontestablement vrai que, quand on est jeune, on manque bien entendu d’expérience et de vécu. Et plus on avance dans l’âge, plus on possède l’expérience et peut-être les moyens… Mais on n’a plus le dynamisme de la jeunesse. De nos jours, ce vieux proverbe semble ne plus avoir de sens, car la jeunesse sait et la vieillesse peut. La jeunesse sait et est consciente que tout se paie et la vieillesse peut tout payer.

Tout payer, certes, mais un peu tard… Car, s’il faut attendre ses vieux jours pour vivre, ça ne vaut plus la peine lorsqu’on pense à toute cette énergie, cette capacité de créativité et d’innovation, tout le dynamisme et la vivacité qu’on aura perdus en chemin…

Pourquoi donc attendre -et peut-être longtemps-, avant de se pencher sur les besoins et les attentes d’une jeunesse en quête, dès son éclosion, d’un développement équilibré et équitable, garant de la dignité de tous et générateur de revenus et d’emplois.

Un développement qui contribue à instaurer un climat de tranquillité et de stabilité et qui favorise une insertion réussie dans la vie familiale, sociale et professionnelle…En somme, d’un modèle en mesure d’assurer une intégration et un cadre adéquat d’épanouissement et de réalisation de soi, pour la jeunesse d’abord et pour le bien et l’avenir du pays…

Un modèle, en l’absence duquel, c’est la perdition, c’est la vieillesse et c’est le désarroi de beaucoup de générations qui ne savent pas où donner de la tête…

Dans le cas de la jeunesse marocaine, la quête d’un modèle est permanente. Mais, aucun modèle n’est réellement en mesure de répondre aux attentes d’une jeunesse eue à l’usure, au point de se retrouver désemparée, perdue et sans horizon clair, voire sans avenir. Une jeunesse à la recherche d’un modèle social, quand tout le modèle de développement du pays a atteint ses limites et ne reflète plus ni ses ambitions, ni ses espoirs. Surtout en l’absence de politiques dédiées à la jeunesse et de toute initiative, tant du côté du ministère en charge des Affaires des jeunes que du côté des partis politiques qui, aujourd’hui, s’ingénient plutôt à faire fuir ces jeunes de toute activité politique, ou encore des associations et acteurs de la société civile…

Tout commence à l’école… de la vie

La jeunesse qui n’a plus de cela que le nom, aujourd’hui et qui tente quand même de se frayer un chemin et de se construire une personnalité mais sur une voie sans issue…

Branchée, certes, mais coincée dans plusieurs clichés, car ce n’est que de ça qu’il s’agit depuis que le système scolaire et la formation ont perdu de leur consistance et ne remplissent plus vraiment leur réelle mission: préparer les hommes de demain et ceux qui auront la tâche de gérer le pays plus tard. Mais par quels moyens?

Des générations d’assistés sont aujourd’hui légion et en proie à toutes sortes de dérives. Et le fossé se creuse de plus en plus avec un manque flagrant de stratégies dédiées à cette tranche de la société. Même le ministère qui, en principe, devrait s’occuper de cette jeunesse est démissionnaire depuis bien des années et ne s’occupe plus que de quelques affaires sportives, négligeant les jeunes. Il y a bien eu, par le passé, quelques initiatives, notamment pour encadrer les vacances. Mais est-ce seulement de vacances que la jeunesse a besoin?

Cette jeunesse constamment oisive, portée sur la perdition, car mal formée et mal orientée. Car aujourd’hui, tout le pays est en mal d’école. Une école de qualité, bien sûr, où est dispensée une connaissance aux élans éducatif et citoyen. Le constat est aujourd’hui là. De ratage en ratage, de réforme en réforme et de refonte en refonte, l’école et tout le système éducatif  n’ont plus de cela que le nom et encore…

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En effet, parler d’école au Maroc, au lieu d’école marocaine, paraît plus plausible, puisque cette école a perdu toutes ses qualités. Cette unité qui complétait la trilogie foyer, rue et école en affinant dans l’harmonie l’éducation pré-acquise à la maison et dans la rue et en inculquant les principes de citoyenneté, de nationalisme et d’amour pour le pays, ainsi que les valeurs de l’effort et du travail sérieux et assidu qui paye et qui est le seul moyen pour arriver à devenir ce qu’on rêve d’être. Cette unité n’existe malheureusement plus, n’a plus de traits, ni de caractéristiques, au point que sa personnalité actuelle peut être tout, sauf marocaine. Et ce, bien sûr, à tous les niveaux.

Une école qui a tout perdu et qui n’est plus en mesure de dispenser même des rudiments de savoir. La complémentarité s’est transformée en complot et, aujourd’hui chacune des trois composantes s’arme, du mieux qu’elle peut, pour détruire l’autre.

Quand l’école est démissionnaire…

La délinquance a envahi l’école et le foyer est impuissant face à une montée incroyable de trafic de drogue, de violence, de pédophilie, de débauche… Bref, tout ce que l’école se devait, jadis, de combattre et qui est aujourd’hui devenu monnaie courante au sein des établissements scolaires, aussi bien publics que privés…

A cela s’ajoute le manque flagrant d’infrastructures en mesure d’offrir les conditions requises pour dispenser un enseignement de qualité, un corps enseignant en mal aussi d’enseignement et de formation vraie, des administrations perdues entre moult changement de programmes et devant gérer beaucoup plus le surpeuplement des classes, plutôt que de surveiller comme il se doit, la formation qui prend plus des aspects de déformation… Une école qui ne remplit plus sa mission, sinon ne remplit aucune mission et qui n’est plus attrayante. Un établissement qui n’instruit plus, mais qui détruit à tous les niveaux.

Armée comme on peut pour faire face à ce fléau, une tranche de jeunes et moins jeunes noient leur «ignorance» dans certains outils, très mal exploités d’ailleurs et certaines innovations des nouvelles technologies. Aujourd’hui, c’est à coup de tablettes, de téléphones et de PC portables qu’on échange, qu’on partage et qu’on «s’amuse». En effet, si la forme y est, le fond est loin d’y être. Comment peut-il y avoir un fond quand, à l’origine, les usagers n’ont rien dans la tête, à part ce rêve d’être dans une école où tout est informatisé et où l’on n’aura qu’à «cliquer» pour acquérir le savoir et avoir «assez» de bagage pour devenir «quelqu’un», après avoir fini les études? Si toutefois on y arrive!

En milieu rural, le cas est plus flagrant. L’école, beaucoup de jeunes de contrées lointaines ne l’ont jamais connue. Tout simplement parce que, chez eux, elle n’a jamais existé. Ou encore, là où école il y a, il faut vraiment «se lever tôt» pour y aller… Quand il fait mauvais temps, on est obligé de rester chez soi de peur de partir à l’école et de ne jamais revenir, vu que le chemin de l’école est vraiment «dangereux». Là encore, l’absence de politique adéquate, d’encadrement et d’un cadre familial qui apprécie cette institution à sa juste valeur, font défaut… Avec le temps, c’est vers la ville qu’on va, mais vite l’«Eldorado» se transforme en enfer. Face à des tabors de «diplômés chômeurs» qui protestent et à un marché de l’emploi de plus en plus exigeant, ces jeunes s’allient à d’autres dans la drogue, la délinquance et la criminalité…

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C’est ainsi que, contrairement au temps où aller à l’école était une obligation, ce fait n’a plus de place dans les priorités des familles, ni des gouvernements et des politiques publiques. Tout le monde étudiait. Riche ou pauvre, l’école était une nécessité. On formait l’élite, on préparait les leaders, on parlait les hommes de «demain»… Demain est bien là aujourd’hui. On assiste à la décadence de cette «élite» bien formée «hier». Et «demain», des hommes d’aujourd’hui risquent de ne pas avoir de «lendemain»… Ce qui aggrave de plus en plus le malaise… Un malaise relevé d’ailleurs, à plusieurs reprises, par Sa Majesté le Roi.

Malaise, constat et action impérative…

En l’espace de cinq ans, le Souverain a rappelé, à plusieurs occasions, la richesse que représente, pour un pays, sa jeunesse. Il a même donné une dimension continentale à la Jeunesse, en appelant à l’élaboration, à l’échelon africain, de politiques destinées aux jeunes.

Encore une fois, avec un ton totalement différent et avec fermeté, Sa Majesté l’a réitéré dans Son Discours au Parlement. En effet, prenant acte qu’une politique intégrée dédiée à la jeunesse marocaine, véritable richesse et moteur du développement du Royaume, est plus que jamais nécessaire, le Souverain a insisté sur l’impératif de mettre en place une nouvelle politique visant à faire sortir les jeunes de l’ornière de l’exclusion et du chômage. Il a, en outre, mis l’accent sur une plus grande implication des jeunes, pour combattre le sentiment d’exclusion et de marginalisation. D’où, toute l’attention portée au développement du système d’éducation-formation, pour faire sortir des diplômés en adéquation avec les besoins du marché de l’emploi.

Sa Majesté a ainsi appelé, dans ce cadre, à l’élaboration d’«une nouvelle politique intégrée dédiée aux jeunes. Axée fondamentalement sur la formation et l’emploi, celle-ci devrait avoir le potentiel nécessaire pour proposer des solutions réalistes aux problèmes réels des jeunes, notamment ceux qui vivent en milieu rural et dans les quartiers périphériques et pauvres».
Dans la perspective de l’élaboration et de l’adoption de cette politique, le Souverain a également appelé à «activer la mise en place du Conseil consultatif de la Jeunesse et de l’Action associative». «La mission de cette institution constitutionnelle est, en effet, d’animer le débat sur les questions liées à la jeunesse, d’émettre des avis sur le sujet et d’assurer un suivi de la situation de cette catégorie de la population», a affirmé SM le Roi.

En attendant, la jeunesse marocaine traînera encore son désarroi sur une voie jusque-là sans issue et trempera encore son désespoir dans des modèles importés, souvent inappropriés, mais qui ont au moins le mérite de reproduire une certaine image de «réussite», d’«excellence» ou de «célébrité» que ne reflètent forcément pas ces jeunes, mais qui réconforte une grande tranche de la jeunesse marocaine, dont l’avenir demeure incertain face à l’absence d’intellect qui fut la base de toute réussite, l’inégalité des chances, l’inadéquation de la formation et de l’emploi et l’absence totale d’une politique et d’une stratégie qui orienteraient cette jeunesse et la guideraient à bon port. Aujourd’hui, malheureusement, même la pensée de Montaigne «Une tête bien faite…», ne s’applique plus. Les têtes ne sont plus ni bien faites, ni bien pleines, car plus rien n’est fait pour l’un ou l’autre cas et c’est pour cela qu’il est plus que jamais temps d’agir; puisque demain, c’est déjà aujourd’hui et aujourd’hui, c’est déjà tard, mais pas «trop» si on a vraiment la volonté d’agir.

Hamid Dades

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