Pour Jean-Pierre Chauffour, économiste en chef à la Banque Mondiale, au Maghreb et dans la région Mena, on n’a pas une «usine arabe» à l’instar de «l’usine Asie».
Quelle appréciation faites-vous de la tenue à Marrakech de la première édition de la Conférence internationale sur les investissements en Afrique du Nord
Cette conférence est une occasion de réunir les acteurs privés de la sous-région pour développer des activités. C’est une réunion intéressante dans le sens où elle permet des échanges entre responsables et investisseurs potentiels pour qu’ils partagent leurs sentiments et appréciations sur les potentiels de la sous-région. C’est aussi une occasion pour la Banque Mondiale de diffuser ses analyses sur la région et d’éclairer les décisions des investisseurs privés.
Cette conférence intervient dans un contexte de crise économique. Est-ce qu’il serait possible de tenir les promesses et les engagements?
Effectivement, la région est dans une situation de transition politique dans nombre de pays de la sous-région, sachant que toute transition a des effets qui peuvent à court terme être défavorables, notamment en matière de croissance. Tous les pays de la sous-région sont concernés par le problème de l’emploi, notamment.
Les investisseurs sont là, quels objectifs?
Ce type de réunion réunit les investisseurs, c’est sûr. Mais ceux-là ne sont pas là pour investir demain ou après-demain; ils sont là pour le long terme.
Qu’est-ce qui se fait alors?
Ce qu’on essaye de faire, c’est préparer justement ce long terme et je pense que les différents acteurs sont bien conscients que les situations en Tunisie ou en Egypte ne vont pas se résoudre du jour au lendemain. Mais il y a la perspective qu’a ouverte le printemps arabe avec la possibilité pour ces populations d’avoir un plus grand rôle à jouer dans l’évolution de leurs sociétés respectives et une plus grande liberté d’expression, et aussi une plus grande transparence dans les politiques menées lorsque l’ensemble de ces politiques seront mises en place. L’environnement économique de ces régions va se transformer. C’est ce que recherchent les investisseurs et ce qu’ils attendent. Ils veulent simplement avoir une meilleure compréhension du calendrier dans lequel les transformations peuvent se produire, avec l’idée qu’à terme, la sous-région, la région Mena si proche de l’Europe et de plus grandes zones économiques mondiales sont une région qui a d’énormes potentialités de développement à travers notamment sa jeunesse, face à une Europe vieillissante. L’autre rive de la Méditerranée sera demain un Eldorado.
Les pays de la sous-région ne se développent pas de la même manière. Comment évaluez-vous le cas marocain?
Effectivement, la région est aussi caractérisée par une très grande diversité et de très grandes disparités entre les différents sous-pays de la région.
Au sein du Maghreb aussi?
Même au sein du Maghreb, nous avons la Tunisie, l’Algérie et le Maroc, des pays qui ont des trajectoires -qu’elles soient économiques ou politiques- très différentes les unes des autres. Le Maroc a sa propre transition démocratique qui a été appliquée par SM le Roi Mohammed VI. A travers cette impulsion, il est dans une démarche de modernisation et de grande avancée démocratique.
Lors de la conférence internationale des investissements, on a parlé de Printemps économique qui intervient après le printemps politique. Vous avez été le premier à l’évoquer…
Merci de me citer, parce que j’ai effectivement écrit un blog et le thème de ce blog était: il est temps d’avoir un printemps économique.
La raison?
L’idée est relativement simple. Les transitions politiques -et je pense précisément à la Tunisie- sont toujours très difficiles et leur succès va dépendre énormément de la force de l’économie sous-jacente. Lorsque l’économie n’est pas suffisamment solide, lorsque les gens sont confrontés au chômage de masse, lorsqu’il n’y a pas de perspective à moyen terme, la transition politique elle-même devient très difficile, d’où l’importance de mettre en place des politiques économiques qui vont permettre une plus grande facilité de la transition politique. Et c’est cela que l’on souhaite mettre en œuvre, à savoir les politiques et les changements nécessaires pour que les économies de la sous-région deviennent plus productives, plus compétitives et capables de créer beaucoup plus d’emplois, donc de stimuler la croissance.
Est-ce que vous pensez que ce printemps économique aura les mêmes caractéristiques que celui politique, c’est-à-dire de tirer du bas vers le haut ?
Là, c’est peut-être moins sûr. C’est fondamentalement la responsabilité des nouveaux dirigeants, notamment ceux élus dans ces différents pays, de prendre conscience du changement qui a lieu actuellement et aussi de s’inspirer des régions du monde qui ont connu ce processus avant eux, que ce soit en Europe de l’Est ou en Europe centrale, pour pouvoir prendre aujourd’hui les décisions économiques qui vont faire que les lendemains soient plus favorables pour les populations.
Ce qui veut dire?
Remettre en cause certaines des politiques qui avaient été menées jusqu’à présent et ouvrir davantage des pays comme le Maroc et la Tunisie, au monde entier.
Vous voulez dire à l’investissement international?
C’est-à-dire non seulement à l’Union européenne, mais s’ouvrir à l’investissement direct étranger et renforcer les cadres de régulation que ce soit pour l’investissement intérieur domestique, l’investissement étranger ou le commerce… pour qu’ils puissent aussi s’ouvrir à l’économie.
Un intervenant a parlé de rêve de voir le Maroc et l’Algérie rouvrir leurs frontières. Peut-on aspirer à développer le Maghreb avec des frontières fermées?
Il est clair que les deux pays, le Maroc et l’Algérie, auront beaucoup à gagner en développant leurs échanges. L’ouverture des frontières est importante pour le développement de l’ensemble de la région du Maghreb. Il est regrettable que ces frontières soient fermées.
Que faire pour amener ces deux pays voisins à les rouvrir?
Ce sont des sujets qui sont hautement politiques.
Mais du point de vue économique?
De ce point de vue, puisque c’est l’économique qui intéresse la Banque Mondiale avant tout, les pays du Maghreb pourraient développer beaucoup leurs échanges. Or, ce que l’on constate, c’est que cette région est très peu intégrée entre les pays qui la composent.
Que rate cette région?
Ce que rate d’une certaine manière cette partie du monde, c’est ce qu’a connu l’Asie du Sud-Est. En Asie, nous avons vu le miracle asiatique qui a été porté par une intégration forte issue des économies de la sous-région au point qu’on a parlé de «l’usine Asie». On n’a pas pour l’instant connu ce phénomène dans la zone arabe, notamment au Maghreb. On n’a pas eu de développement de «l’usine arabe» et, à travers l’intégration économique, l’intégration entre les pays arabes avec les principaux partenaires, notamment l’Union Européenne. L’avenir sera au développement de ces chaînes de valeur; des chaînes de production dans le monde arabe pour créer l’«usine arabe» qui permettra de créer des emplois et de la croissance.
Comment réussir l’attractivité?
L’attractivité dépend de beaucoup de facteurs. Lorsqu’un investisseur décide d’investir dans un pays, il regarde une panoplie d’indicateurs et de conditions locales, celles du climat des affaires en général, de la facilité à faire des affaires, à installer une entreprise, à accéder à l’électricité, aux nouvelles technologies, la qualité de la logistique… L’action de régulation du gouvernement est très importante pour faciliter ce commerce. C’est donc tout un ensemble de facteurs qui font que le pays devient plus ou moins attractif.
Est-ce que le Maroc offre un climat attractif pour l’investissement étranger?
C’est là la question essentielle: la course à l’amélioration de la qualité de l’environnement économique au Maroc, mais également dans le reste du monde. Le Maroc doit arriver à se positionner par rapport aux progrès que font aussi les autres pays.
Les points faibles du Maroc?
Je dirais que le Maroc a beaucoup de points forts. Il a réussi des progrès dans beaucoup de domaines. Un des points faibles reste la qualité de la force de travail et, du fait qu’il y a une inadéquation entre ce qu’attendent les chefs d’entreprise et les compétences qu’ils attendent de leurs ouvriers, ce que produit le système éducatif, notamment le système universitaire du pays. Ce décalage ne facilite pas l’intégration des diplômés; nous avons un taux très élevé du chômage des diplômés.
Que faire pour dépasser cette situation?
Je crois qu’il y a un effort à faire pour rapprocher le monde de l’entreprise et celui de l’université pour que celle-ci forme les employés de demain dont auront besoin les entreprises de demain.