Karim Alaoui trace son cheminement avec une grande discrétion. Mais son travail atteste d’une exigence si profonde que l’on est saisi par l’acuité du rendu. Une sculpture à la fois complexe et actuelle, avec l’Afrique en filigrane, comme une pièce d’identité.
Façonner une forme, modeler et remodeler une silhouette, donner corps à une présence, à la fois figée dans le temps et l’espace, mais libre aussi dans sa complexité et son expression, cela requiert une vision au plus près de soi et de la complexité du monde où l’on évolue. Chez Karim Alaoui, le regard est juste, l’approche limpide, le rendu sans fioriture. L’artiste va à l’essentiel, sans trop d’à côtés, pour rendre avec justesse un corps, une forme, une description à plusieurs variantes comme la série sur le continent africain, déclinée en plusieurs variations sur le même thème. Karim Alaoui fait partie de ces sculpteurs qui réfléchissent l’humain dans sa complexité pour en rendre une signifiance à la fois juste et fuyante. Sans oublier la symbolique, très présente dans le travail du sculpteur. On peut le saisir dans sa profondeur avec l’objet téléphone: «En prenant cette photo je savais que ce serait la seule preuve à faire valoir pour prouver la véracité de mon histoire. Ce matin-là bien avant que le soleil ne se réveille, tandis que je rentrais de ma marche, j’ai entendu un son strident répétitif comme celui des anciens téléphones noirs en bakélite des années 50 que l’on retrouve toujours dans les films policiers en noir et blanc de cette époque.
Et plus je me rapprochais de ce qu’au début je voyais comme une algue luisante, ou un objet en plastique dont la mer ne voulait plus. Et plus je compris que l’objet en question était en fait un téléphone et qui, apparemment, marche encore, vu que plus je me rapproche de lui et plus sa stridente sonnerie ne cesse de remplir l’atmosphère de mystère. De toutes les rencontres matinales que le bleu de mes yeux a rencontrées, elles étaient toutes inertes ; et voici que celle-ci tout droit sortie d’un vieux polar sonne son appel, à décrocher cet appel qui en toute apparence m’était destiné. Et puis sans trop réfléchir j’ai décroché.
Zut la mine de mon crayon s’est cassée, aussitôt taillée la suite…». Tout un récit pour une photographie, qui est le pendant de l’objet sculpté. Et c’est cette capacité toute naturelle chez le sculpteur d’allier deux expressions (photographie et sculpture) qui nous montre à quel point, c’est la représentation qui prime ici. Le monde décliné comme volonté de surgir et comme multiple représentation octroie à ce travail unique en son genre une force qui va de la main du créateur à celui qui reçoit l’objet en partage. Karim Alaoui raconte la vie, le monde, les contingences d’être humain, avec un regard à la fois impliqué et détaché. Et c’est dans cet intervalle que prend racine la puissance de cette œuvre.
Abdelhak Najib – Ecrivain-journaliste
Karim Alaoui, l’Africain
Dans vos travaux, l’humain est très présent. On sent chez vous une glorification de la beauté humaine…
Glorification, j’en doute. Quoique la forme humaine est très présente dans mes travaux. Elle est cette source intarissable créative, tant elle est simple et complexe à la fois. Prenons l’exemple d’un visage qui peut traduire tant d’émotions différentes. Le tout, à l’instar du photographe, est de saisir cet instant qui nous parle le plus pour le figer dans le temps.
Vous êtes aussi pointilleux en travaillant sur les petits formats que les sculptures à échelle humaine. Cela requiert-il la même exigence ?
Tout ce qui est modelé, mis en forme, ajouté ou retiré de la matière, creusé, assemblé, collé ou soudé, requiert une exigence. Avant et pendant sa réalisation, afin de n’omettre aucun détail. Car tout l’enjeu de la sculpture est dans le détail, quelle que soit l’échelle de la sculpture.
L’Afrique et très présente dans vos travaux, quel en est la symbolique ?
L’Afrique d’une manière générale a toujours été présente dans mon travail.
Mais, je dirai beaucoup plus depuis l’apparition de la pandémie où les frontières aériennes et maritimes reliant l’Afrique à l’Europe ont été fermées. Je venais de réaliser pour la première fois que mes enfants et moi vivions sur deux continents différents.
Propos recueillis par Najib Abdelhak