Il est évident que Poutine a fait pression sur son ami, le président ukrainien, pour faire capoter un accord avec l’UE et que l’UE, appuyée par les USA, soutient ceux qui veulent décrocher l’Ukraine de l’influence russe.
Pour Moscou, l’Ukraine, qui fut la première de toutes les Russies, fait partie du monde russophone. C’est une partie de la vérité historique.
En fait, il y a toujours eu deux «Ukraines», l’une amarrée à la Russie et l’autre rêvant d’indépendance en regardant vers l’Ouest. Cet Ouest, c’est aujourd’hui l’Union, hier, c’était la Pologne, menaçant même l’indépendance russe. Puis, ce fut l’Allemagne avec même des sympathies hitlériennes. Cette Ukraine-là a toujours été réprimée et Staline n’hésita pas à l’affamer pour la punir.
La Révolution orange a été la dernière tentative d’arrimage à l’Ouest par des manifestations démocratiques parfaitement préparées. Cela a failli marcher mais, finalement, ce fut un échec.
Le résultat immédiat de la Révolution orange est l’annulation par la Cour suprême du scrutin et l’organisation d’un nouveau vote (le 26 décembre 2004) qui voit la victoire de Viktor Iouchtchenko qui réunit 52% des voix, contre 44% pour son rival. Sa présidence est cependant entachée de crises politiques multiples avec les gouvernements successifs.
D’un point de vue géopolitique, la Révolution orange marque un rapprochement de l’Ukraine avec l’OTAN et avec l’Union européenne. Pro-européen convaincu, mais accusé de russophobie dans un pays très divisé entre l’est russophone et l’ouest plus pro-occidental, Iouchtchenko battra très vite des records d’impopularité. Il ne parviendra pas à gérer les problèmes de la crise économique mondiale de 2008-2010 dans un pays qui en est fortement affecté. La Révolution orange était considérée comme close par la victoire du pro-russe Viktor Ianoukovitch à l’élection présidentielle ukrainienne de 2010. Il prend une éclatante revanche à la satisfaction de Poutine sur la gifle de 2004. Quant à Iouchtchenko, il recueillera seulement 5,45% des voix. Le candidat de l’Occident a été complètement désavoué.
Aujourd’hui, on a l’impression que l’histoire se répète. Et, comme précédemment, la Russie voit rouge.
Moscou a menacé de sanctions commerciales l’Ukraine, dont le quart des exportations se fait vers la Russie. Gazprom a opportunément sorti des factures de gaz en retard et exigé un paiement comptant, faisant planer la menace d’une coupure de chauffage en plein hiver. Vladimir Poutine a convoqué le président ukrainien Viktor Ianoukovitch comme un vassal, le faisant attendre quatre heures, le sermonnant lors d’un interminable entretien dont la teneur est restée secrète. Le président connaît la réalité des faits.
Les bénéfices d’un accord commercial avec l’UE étaient lointains, voire incertains, car l’adoption des normes européennes est coûteuse, tandis que les sanctions de la Russie auraient été immédiates et brutales, se traduisant sans doute par des fermetures d’usines, des licenciements, voire une plongée dans le froid. Les dégâts auraient été les plus importants dans l’est minier et industriel du pays russifié, où se concentrent les quelque 17% de Russes. Il a sans doute sous-estimé la mobilisation des pro-européens. Il savait cependant que le refus de signer l’accord avec l’UE allait déclencher une protestation chez les plus pro-occidentaux: l’Ouest de l’Ukraine, les classes moyennes et supérieures des grandes villes et de Kiev.
On assiste à une sorte de printemps de ceux qui veulent vivre à l’occidentale, comme ce fut le cas en Egypte, sur une place emblématique. Seulement, en Ukraine, la mobilisation des «branchés» s’appuie sur un sentiment indépendantiste vis-à-vis des Russes de toute une partie du pays.
Ce mouvement populaire n’a pas vraiment de leader, mais trois partis d’opposition se sont ralliés à la contestation et y sont très présents: le parti Oudar (Coup de poing), dirigé par le boxeur Vitali Klitschko qui a fait de la lutte contre la corruption sa principale bataille; l’alliance Batkivchtchina de l’ancienne première ministre emprisonnée, Ioulia Timochenko; et le parti ultra-nationaliste Svoboda (Liberté), pour qui le rapprochement vers l’Ouest est la seule direction possible pour échapper à l’emprise de la Russie dans le pays. Un parti plus nationaliste que démocratique.
L’Ukraine s’est en conséquence invitée aux discussions des ministres des Affaires étrangères des membres de l’OTAN à Bruxelles. Dans une déclaration commune, ils exhortent «le gouvernement et l’opposition à engager le dialogue et à lancer un processus de réforme». Ils condamnent également «l’usage excessif de la force contre des manifestants pacifiques». Une position plutôt modérée, ce qui n’a pas empêché le chef de la diplomatie russe, Sergeï Lavrov, de dénoncer l’ingérence américaine et européenne «dans les affaires intérieures ukrainiennes». De telles déclarations envoient «un mauvais message» en créant «une vision déformée de la réalité», a-t-il commenté. Pendant ce temps, le président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, a choisi de ne rien changer à son emploi du temps. Ainsi, il est arrivé en Chine pour une visite officielle de quatre jours. L’avenir dira ce qu’il faudra en penser.
Patrice Zehr