La fermeture des frontières marocaines porte un coup de grâce au secteur du tourisme

Zoubir Bouhoute, expert en tourisme

Un secteur à genoux, des employés en détresse, des enseignes hôtelières au bord de la faillite. Telle est la réalité à laquelle est aujourd’hui confronté le tourisme au Maroc. Cette situation s’est aggravée depuis que les autorités ont décidé de fermer les frontières aériennes et maritimes aux voyageurs en partance ou à destination du Royaume, suite à la dégradation de la situation épidémiologique au niveau mondial (apparition d’un nouveau variant Covid surnommé Omicron).

Zoubir Bouhoute, expert en tourisme, ne cache pas son inquiétude pour le tourisme marocain et les métiers qui y sont rattachés. Entretien.

Quel impact de la fermeture des frontières nationales sur les opérateurs touristiques ?

Le tourisme au Maroc a reçu le coup de grâce après l’annonce de la fermeture des frontières nationales aux voyageurs. Les professionnels de ce secteur qui étaient déjà plongés dans une crise inédite depuis mars 2020, date de l’apparition du virus Sars-Cov-2 au Maroc, s’attendaient à entrevoir le bout du tunnel suite au dé-confinement progressif qui s’est opéré dans le Royaume à partir de juin de l’année dernière. La levée totale du couvre-feu, décidée il y a quelques jours de cela, a donné l’espoir d’un retour à la normale de l’activité touristique au Maroc. Malheureusement, ces espoirs se sont effondrés avec la fermeture des frontières nationales, une mesure que je considère hâtive et mal préparée, quoique imposée par l’aggravation de la situation épidémiologique au niveau mondial, surtout suite à l’apparition du variant Omicron qui affole la planète. Tout cela a un impact grave sur la situation socioéconomique des travailleurs du tourisme au Maroc, toutes catégories confondues. Il faut savoir que les réservations hôtelières ont été presque toutes annulées. La situation des voyagistes n’est pas meilleure. Plus de 50% d’entre eux sont déjà à l’arrêt et la situation risque d’empirer si les frontières marocaines demeurent fermées. Sous l’effet des nouvelles restrictions de voyages vers le Maroc, le tourisme national pourrait essuyer des pertes importantes, rien qu’entre Noël (24 décembre) et la nuit du Nouvel An (31 décembre 2021). Il y a urgence à agir avant que ce ne soit trop tard.

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Quelques indicateurs pour décrire la situation ?

En 2019, les recettes touristiques avoisinaient les 80 milliards de dirhams. Elles avaient ensuite chuté de plus de 50% en 2020. Les nuitées hôtelières avaient suivi le même trend baissier en s’effondrant à plus de 70%. Le dé-confinement, la levée progressive du couvre-feu nocturne et le redémarrage de l’opération Marhaba au cours de l’été 2021 au profit des Marocains Résidant à l’Etranger, ainsi que l’ouverture de nouvelles lignes aériennes directes entre le Maroc et plusieurs destinations étrangères ont constitué une réelle bouffée d’oxygène pour le secteur touristique au niveau national. Seulement voilà, le variant Omicron, a poussé les autorités à suspendre les dites liaisons notamment avec la France. Je rappelle que l’Hexagone constitue, pour le Maroc, le principal  marché émetteur de touristes, avec près de 30% du volume de nuitées. Dans ce contexte, je crains fort que le secteur touristique national, aussi bien interne qu’émetteur, termine l’année 2021 de la même manière qu’en 2020, c’est-à-dire dans le rouge.

Le tourisme interne est une carte à jouer pour sauver l’activité. Qu’en pensez-vous?

Cela aurait été possible si la situation financière des ménages marocains n’avait pas été fortement impactée par la crise due au nouveau Coronavirus et ses multiples conséquences sur le pouvoir d’achat des citoyens. A l’heure où je vous parle, plusieurs entreprises ont fermé leurs portes, quand d’autres songent sérieusement à en faire de même. Il ne faut pas se leurrer, en l’absence d’offres adéquates et de formules adaptées aux besoins et attentes des familles marocaines, le tourisme interne ne pourra jamais décoller.  

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L’Etat a réactivé le dispositif d’indemnisation au profit des professionnels du tourisme. Est-ce suffisant selon vous?

L’indemnité forfaitaire versée aux employés du tourisme n’est pas suffisante. Les petits employés qui travaillent dans les différents hôtels au Maroc (voituriers, portiers, bagagistes, serveurs…), gagnent plus que leur salaire grâce aux pourboires et autres gratifications qu’ils reçoivent de la part des clients. A côté de cela, les spécialistes de l’évènementiel, les artisans, les petits commerces liés au tourisme, profitent de l’activité touristique pour booster leurs activités. Tout l’écosystème, direct et indirect du secteur touristique, est aujourd’hui touché. De plus, l’indemnité forfaitaire des 2.000 DH proposée aux employés du secteur touristique, est conditionnée par la déclaration des salariés à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS), ce qui n’est pas toujours le cas. Mais ça, c’est un autre problème que la Covid-19 a dévoilé au grand jour. 

La nouvelle ministre du tourisme dit vouloir soutenir ce secteur…

Le Maroc a besoin d’un ministre qui soit capable de lancer un véritable plan Marshall, afin d’assurer la reconstruction du Tourisme post-Covid-19, comme ça a été le cas pour l’industrie par exemple.

Un dernier mot ?

J’appelle les autorités à rouvrir les frontières nationales aux voyageurs, tout en veillant au respect des mesures de précaution recommandées au niveau des aéroports, notamment l’obligation de présenter un test PCR négatif pour pouvoir accéder au territoire national. Il est indispensable de permettre aux acteurs de reprendre leur activité au plus vite. Il est également urgent de mettre en place des mesures sociales, bancaires et fiscales. La relance économique est tributaire du sauvetage de l’écosystème touristique.

Propos recueillis par Mohcine Lourhzal

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