La stratégie du Général Gaïd Salah le sauvera-t-elle ?

La stratégie du Général Gaïd Salah le sauvera-t-elle ?

Il est indiscutable qu’aujourd’hui, l’homme fort en Algérie, celui qui prend ou dicte toutes les décisions, c’est le chef d’Etat-Major de l’armée et vice-ministre de la Défense, le Général Ahmed Gaïd Salah. Sa stratégie est désormais limpide. Mais réussira-t-il à la mener jusqu’au bout ? La réponse dépend de deux éléments.

Elle dépend, d’abord, bien sûr, de la détermination de la rue.

Ensuite –et c’est la grande inconnue- de la réalité du rapport de force entre lui-même, actuel chef de l’armée ; et celui qu’il avait contribué à écarter pour prendre sa place, le Général Mediene (de son autre nom, Général Toufik).

Face à la rue, Gaïd Salah continue d’agiter la carotte plutôt que le bâton.

Avec le Général Toufik, le bras de fer se durcit dangereusement…

Il n’y a pas unanimité autour du Général Gaïd Salah, en Algérie. Loin de là. Beaucoup y voient l’un des symboles du Régime Bouteflika. C’est par le Président Bouteflika qu’il a été nommé à ses responsabilités actuelles (chef d’Etat-Major de l’armée et vice-ministre de la Défense) et, jusqu’à mars 2019, il était le fervent défenseur du 5ème mandat du Président aujourd’hui déchu.

Alors même que le peuple algérien manifestait contre ce 5ème mandat, Gaïd Salah réagissait fermement, affirmant que l’armée se porterait garante du déroulement de l’élection présidentielle.

Mais s’il est une chose qu’il faut reconnaître à ce Général de 80 ans, c’est son habileté à exploiter quelque situation que ce soit pour s’arroger toujours plus de pouvoir… Quitte à retourner sa veste, au besoin !

Un véritable coup d’Etat

Et c’est ce qu’il a fait lorsqu’il a constaté que les manifestations populaires, qui avaient débuté le 22 février, non seulement s’étaient répandues dans toute l’Algérie, mais devenaient partout plus imposantes et plus déterminées, en plus de s’inscrire dans la durabilité.

Il a, subitement, dénoncé le 5ème mandat, puis a procédé à un véritable coup d’Etat.

Le 2 avril, le Président Bouteflika se voyait acculé à démissionner. Les propositions de transition du clan Bouteflika étaient balayées. Gaïd Salah, qui avait déjà pris le soin de poser les 1ers jalons de «Sa» transition, en faisant nommer un gouvernement chargé de gérer cette transition (où il a gardé son portefeuille de vice-ministre de la Défense), pouvait passer aux étapes suivantes. Se prévalant de la Constitution algérienne, il a ainsi mis en oeuvre l’article 102 qui prévoit la désignation d’un Président par intérim, en la personne du Président de la Chambre haute du Parlement (en l’occurrence Abdelkader Bensalah), puis l’organisation d’une élection présidentielle dans les 90 jours.

Et pour appuyer son recours à la Constitution, face à la rue qui réclamait une autre Transition (avec départ de tous les symboles du Régime, mise sur pieds d’une Constituante et instauration d’une Nouvelle République démocratique), Gaïd Salah a tenté de caresser le peuple dans le sens du poil, en lui servant les articles 7 et 8 de la Constitution (Article 7: Le peuple est la source de tout pouvoir. La souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple. Article 8: Le pouvoir constituant appartient au peuple…)…

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Sauf que cela n’a pas suffi.

La rue tous les vendredis, le Général tous les mardis…

Le peuple n’a pas voulu –et à ce jour, ne veut toujours pas- de cette transition imposée par Gaïd Salah. L’opposition continue de refuser toute concertation. La rue continue de réclamer le départ de tous les symboles du Régime. Et le calendrier politique algérien est désormais ponctué par deux grands rendez-vous hebdomadaires: tous les vendredis, des manifestations aux quatre coins du pays ; et tous les mardis, un Discours prononcé par le Général Gaïd Salah à partir d’une région militaire…

Certes, les manifestants visent avec moins d’insistance le chef d’état-major. Certains d’entre eux, soit par conviction soit par crainte de représailles, voient même en lui le symbole d’une armée protectrice.

Mais la rue est divisée à son sujet (les médias aussi, selon ceux qui les financent). Les slogans et banderoles le dénonçant sont toujours présents. Il est qualifié, tantôt de «membre du clan», tantôt de «bourreau de la mafia», ou de «Sissi algérien»… Aux dernières manifestations, la foule a scandé: «Ya Salah, Ya Bensalah, système rayah rayah» (ce qui veut dire: que ce soit Gaïd Salah ou Abdelkader Bensalah, le Système est condamné à partir de toutes les manières).

Un discours et les arrestations commencent !

Parallèlement aux manifestations, les revendications de la rue sont allées crescendo. La reddition des comptes et la condamnation des «membres du Système» sont désormais réclamées, à l’occasion de tous les rassemblements (ceux du vendredi et ceux des autres jours de la semaine).

Gaïd Salah y a aussitôt vu un moyen de faire d’une pierre deux coups. D’un côté satisfaire la rue en lui donnant l’impression de se ranger de son côté. De l’autre, régler ses comptes et éliminer de potentiels concurrents, afin de garder une mainmise exclusive sur la vie politique algérienne.

Il a donc prononcé un de ses fameux discours du mardi, où quelques mots adressés à la Justice ont donné lieu à une vague de convocations d’hommes politiques (dont l’ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia et l’actuel ministre des Finances Mohamed Loukai), d’arrestations de milliardaires (dont les frères Kouninef) et de limogeages (dont le patron de la Sonatrach).  «Nous attendons, a dit Gaïd Salah, à ce que les instances judiciaires concernées accélèrent la cadence du traitement des différents dossiers concernant certaines personnes ayant bénéficié indûment de crédits estimés à des milliers de milliards, causant préjudice au Trésor public et dilapidant l’argent du peuple». Immédiatement, les interpellations et arrestations ont commencé, exécutées pour la plupart par la gendarmerie qui est sous l’autorité de l’armée.

Kouninef et Rabrab, mais pas Tliba

L’identité du donneur d’ordre est donc claire. Elle a d’ailleurs été dénoncée par la presse algérienne proche des inculpés. De même qu’a été dénoncée toute l’opération. Il est reproché à Gaïd salah d’outrepasser les limites de ses fonctions, l’armée n’ayant pas à donner d’ordre à la Justice… Mais aussi d’activer la Justice à des fins politiques, voire personnelles. Ainsi, le mandat de dépôt contre l’ancien chef de la 2ème région militaire, le Général Saïd Bey et le mandat d’arrêt contre l’ancien chef de la 1ère région militaire, le Général Chentouf, viseraient à éliminer deux Généraux qui pouvaient le remplacer. L’arrestation de «la 1ère fortune» d’Algérie,  Issad Rabrab, serait un message en direction du Général Mediene dont le richissime homme d’affaires est proche. Par contre, les hommes d’affaires proches de son fils (comme Bahaeddine Tliba) et certains autres du FLN qu’il compterait faire nommer plus tard à des postes de responsabilité, ne sont pas touchés.

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Une guerre au plus haut sommet de l’Etat

S’agissant du Général Mediene, le Généra Gaïd Salah ne se contente pas de jeter en prison ses proches. Il le menace ouvertement et nommément. Le chef d’état-major a ainsi déclaré: «J’ai déjà évoqué, lors de mon intervention du 30 mars 2019, les réunions suspectes qui se tiennent dans l’ombre pour conspirer autour des revendications du peuple et afin d’entraver les solutions de l’Armée Nationale Populaire et les propositions de sortie de crise. Toutefois, ces parties, à leur tête l’ex-Chef du Département du Renseignement et de la Sécurité (le Général Mediene), ont tenté, en vain, de nier leur présence dans ces réunions, et d’induire en erreur l’opinion publique, et ce, en dépit de l’existence de preuves irréfutables sur ces faits abjects». Ajoutant: «je lance à cette personne un dernier avertissement, et dans le cas où il persiste dans ses agissements, des mesures légales fermes seront prises à son encontre».

Le propos ne prête à aucune confusion. Quelques rumeurs (ou ballons d’essai ?) laissent entendre que le Général Gaïd Salah pourrait aller jusqu’à faire arrêter le Général Mediene et Saïd Bouteflika, afin d’en finir avec son redoutable rival (pour ce qui concerne le 1er) et de donner plus de gages à la rue (pour ce qui concerne le second).

La guerre au plus haut sommet de l’Etat algérien n’est plus qu’un secret de polichinelle. Tous les observateurs avertis savent que de cette guerre sans merci entre les deux plus puissants Généraux que l’Algérie a connus dépendra la suite des évènements du pays. 

Gaïd Salah est entre deux feux: les contestataires qui ne veulent ni de lui, ni de sa transition, dont il lui faut savoir s’ils sont majoritaires ; et le Général Mediene qui peut se révéler dangereux si ses appuis au sein de l’armée et ses réseaux au sein des différents services sont toujours aussi puissants, qu’il lui faut neutraliser.  

L’évolution du parcours du Général Gaïd Salah devient passionnante pour les observateurs qui suivent de près les évènements d’Algérie. Tout comme est passionnant ce bras de fer entre les deux mastodontes de l’armée, sachant que l’un des deux Généraux finira, d’une manière ou d’une autre, par perdre la partie.

Pour de nombreux observateurs, cependant, Gaïd Salah et Mediene, c’est Charybde et Scylla. Le salut de l’Algérie ne peut venir que du peuple dont la jeunesse a surpris et impressionné le monde entier.

Bahia Amrani

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