Chaimae, 30 ans, cadre bancaire, est aujourd’hui divorcée. Cette jeune femme avait cru au mariage arrangé. Elle a déchanté lorsqu’elle a découvert une drôle de vérité. Voici son récit.
«Rien ne présageait que j’allais rencontrer mon futur mari dans la salle d’attente d’un médecin. Et pourtant, ce fut le cas. Cela paraît invraisemblable et fantastique, n’est-ce pas? Eh bien, je dirais de but en blanc que, si j’ai un conseil à donner à toute jeune fille, c’est de se méfier du genre de garçon qui laisse sa mère choisir pour lui son épouse.
Après trois mois de rencontres consécutives pour suivi médical, nos deux mères, des patientes de ce cabinet, avaient fini par se connaître et se lier d’amitié. Nous habitions la capitale, eux non. Ils venaient d’une ville de la région située à quelques kilomètres. Mon futur mari et ma future belle-mère devaient par conséquent passer la journée chez le médecin, à cause de la longue liste d’attente. Pour une femme d’un certain âge, ce n’était guère confortable. Ce pourquoi ma mère avait eu la courtoisie d’inviter ces gens à venir prendre une collation, se reposer, avant de retourner chez eux. C’est ainsi que nos liens se sont renforcés. Nos mères, devenues les meilleures amies du monde, ne se quittaient plus. Ma belle-mère parlait souvent de son plus jeune fils, le meilleur de sa fratrie qui délaissait sa boîte de matériel de construction pour la suivre et prendre soin d’elle. Elle ne tarda pas non plus à se permettre, en son absence, de demander ma main, jurant ne jamais espérer une meilleure alliance. Ma mère, conquise, s’accorda le droit de ne pas refuser cette proposition. Il faut reconnaître que, de mon côté, je n’eus pas à redire. Mon futur mari avait tout l’air d’un jeune homme bien, sous tout rapport. Il était charmant, poli, courtois et pieux. Nos noces eurent lieu très vite et dans la sérénité totale, puisque deux très bonnes amies s’en étaient chargées. J’emménageais dans ma nouvelle vie sans avoir à me plaindre de quoi que ce soit. Un vrai conte de fée! J’avais ma propre maison, meublée avec goût et raffinement, même qu’une aide ménagère choisie par ma belle-mère s’occupait de tout. Je n’ai même pas eu à quitter mon job, heureusement d’ailleurs. Mieux encore, en plus de mon salaire, mon mari m’octroyait mensuellement mon argent de poche. Aussi, il n’y avait rien que je pouvais désirer sans qu’il m’eut été offert. Sans mentir, ma belle-mère, elle aussi, se comportait comme un ange avec moi. Mon époux semblait heureux, satisfait de notre vie de couple. C’est pourquoi au fil des mois, je lui témoignais un amour sincère et ma confiance en lui était devenue quasi aveugle. Ma mère, quant à elle, était tellement heureuse, rassurée de ma condition qu’elle ne cessait de souhaiter à toutes les jeunes filles de la famille non mariées «un trésor de mari» semblable au mien. Un homme si jeune et pourtant si pieux, si intègre et si généreux, paonnait-elle. Rien dans notre quotidien ne pouvait présager une quelconque surprise… Du moins, c’est ce que je croyais.
Il y avait aussi que jamais personne ne s’était opposé à ma visite mensuelle chez ma mère. Bien au contraire, un vendredi sur quatre, mon mari m’accompagnait à la gare pour m’en aller chez nous. J’y restais jusqu’à ce qu’il vienne me chercher le dimanche matin. Nous déjeunions dans un restaurant sur la route côtière, puis nous rentrions. A chaque fois, à mon retour, je remarquais que, dans notre maison, une odeur d’encens prononcée et tenace flottait et que le grand ménage de fond en comble avait été fait. Je savais que mon époux profitait de mon absence du vendredi de chaque fin de mois pour y recevoir ses amis intimes pour la récitation du Coran et la méditation. Le lendemain, il faisait venir notre femme de ménage, me dispensant de ce gros œuvre exténuant. A vrai dire, au début, j’étais un peu déroutée par ce rituel puis, finalement, je m’y suis faite, comblée par ce mari si dévot et si attentionné.
C’est une histoire racontée par une collègue de bureau qui allait me faire découvrir l’insoutenable vérité de ce manège. Il s’agissait de la tragédie qui avait frappé un homme, dont l’épouse infidèle faisait venir sous son toit et en sa présence son complice déguisé en femme dévote pour de soi-disant invocations religieuses nocturnes. Le scandale éclata au grand jour lorsque l’amant fut terrassé par une crise cardiaque dans les bras de sa maîtresse. Ce récit, comme un signal d’alarme, m’affola, attirant mon attention sur les soirées mystiques de mon mari. Et s’il recevait une autre femme ? Non, mon mari est trop croyant, me dis-je. Il ne fait que prier et réciter le Coran avec ses amis… Je voulus en avoir le cœur net. J’attendis donc que la fin du mois arrive. Je fis comme d’habitude en me rendant chez ma mère. Le même soir, j’attendis que minuit approche pour retourner chez moi. Un nombre impressionnant de voitures luxueuses étaient stationnées à notre porte. Je n’avais pas besoin de pénétrer les lieux pour comprendre qu’une fête battait son plein. De l’extérieur, la musique et des rires, surtout de femmes, étaient nettement perceptibles. Des rires qui continuent de me tinter aux oreilles encore aujourd’hui. Heureusement que j’ai eu assez de force et d’orgueil pour ne pas faire irruption et me donner en spectacle. Etre seule face à tout ce monde de la débauche, ne pas connaître la réaction de mon mari et risquer d’être jetée dehors, je crois que j’y aurais laissé la vie. Chancelante, meurtrie au plus profond de mon âme, j’ai rebroussé chemin. Le chauffeur de taxi, troublé par mon aspect, n’a pas osé m’adresser la parole et ce, durant tout le trajet du retour. Une fois dans ma chambre, je donnais libre cours à ma rage et à des sanglots étouffés par mon oreiller. Je ne pouvais me permettre de réveiller ma mère et lui révéler ce que j’avais vu; sa santé était trop précaire. La situation était odieuse. Ainsi donc, durant deux ans, mon mari se jouait de moi et je n’y voyais que du feu. Cet homme était machiavélique jusqu’à l’infime détail. Il avait été jusqu’à embaumer l’atmosphère, afin que je ne puisse pas y déceler le moindre effluve de parfum féminin, d’alcool ou de cigarettes. Et sa mère, parlons-en. Il n’y a pas de doute, elle devait bien être au courant de ce que son fils traficotait durant mes absences. Cette femme de ménage si bien choisie ne pouvait se permettre le mutisme.
Jusqu’à aujourd’hui, personne n’a jamais su la raison de mon acharnement à ne plus jamais vouloir retourner auprès de mon mari et demander le divorce. J’ai gardé mon secret bien enfoui dans mon cœur. Ce fut la seule façon pour moi de prendre ma revanche et surtout de sauvegarder ma dignité vis-à-vis de tous».
Mariem Bennani