Drapeaux en berne, rassemblements dans plusieurs villes, manifestation des «musulmans et de leurs amis»: des hommages ont été organisés le vendredi 26 septembre en France en mémoire d’Hervé Gourdel.
En effet, des hommages ont été organisés en France, au début de trois jours de mise en berne des drapeaux en mémoire d’Hervé Gourdel, Français exécuté en Algérie par des djihadistes ralliés à l’organisation Etat islamique (EI).
Mais au-delà de l’émotion et de l’horreur de ce meurtre abject, ce martyre d’un alpiniste pose bien des questions à la France (engagement militaire-sécurité des citoyens en France même) certes, mais aussi à l’Algérie.
«Tous ceux qui font de la montagne savent que la zone de Tizi N’koulal est très dangereuse. Moi-même, je n’y emmène plus personne depuis 1992». Redouane Benzerroug, président du Club sportif des montagnes d’Alger, moniteur et guide de haute montagne, se demande pourquoi ses accompagnateurs ont pris, selon lui, «un tel risque».
On verra s’il s’agit d’une imprudence ou d’un véritable traquenard.
«La rapidité de cet enlèvement à peine deux jours après l’arrivée d’Hervé Gourdel et l’exécution quasi-immédiate sont invraisemblables. Ce mode opératoire pose question. Soit ces terroristes ont eu un coup de pot extraordinaire ou cet acte était préparé», s’interroge Mounir Boudjema de «Liberté». «C’est comme si les terroristes étaient au courant qu’Hervé Gourdel arrivait sur la zone. Quelqu’un lui a-t-il dit qu’il y avait des risques à s’aventurer dans cet endroit? Tout le monde le sait, les randonneurs du dimanche les premiers».
Car ce drame pour la France interpelle aussi l’Algérie. L’Algérie, déjà rattrapée par le terrorisme au Sahara par une action de djihadistes se réclamant d’Aqmi dans un complexe pétrolier (à Aïn Amenas), fait face aux émules de Daesh en Kabylie. Le pays ne peut plus se présenter comme l’Etat sécuritaire modèle qui a su éradiquer le terrorisme islamique et qui en faisait un argument pour se donner un rôle à part comme un exemple, notamment auprès des Américains. L’Algérie, qui joue depuis si longtemps avec le feu du terrorisme aux abords du Sahara marocain, aurait dû opérer depuis longtemps une révision totale de ses priorités et de sa stratégie régionale.
Les égorgeurs de l’alpiniste français ont provoqué un choc dans l’opinion publique algérienne dont la presse s’est fait immédiatement et largement l’écho. El Moudjahid, quotidien gouvernemental, écrit que l’assassinat d’Hervé Gourdel «a horrifié et choqué les Algériens. Le quotidien francophone Liberté titre en Une: «Odieux!», avec la même photo en pleine page du guide lors d’une escalade.
«L’apparition soudaine et aussi rapide d’un soi-disant groupe lié à Daesh en Algérie est surprenante», explique le directeur de la rédaction du quotidien algérien Liberté, Mounir Boudjema. Apparition soudaine peut-être, mais dans une zone tout de même depuis longtemps sanctuaire pour les islamistes héritiers des années terribles de la guerre civile algérienne.
Le Soir d’Algérie, lui, voit dans ce meurtre «la signature sanglante de Daesh», l’autre nom de l’Etat islamique. La consternation, la peur des habitants de la région, «qui avaient cru un moment que le calme était vraiment revenu en Kabylie», sont également un «retour à la case départ». «Beaucoup [d’habitants] ont encore bien frais en tête ce genre d’actes innommables», peut-on lire dans un autre article qui fait référence aux années noires du pays. Le journal revient sur la menace du «sanguinaire» Gouri Abdelmalek, à la tête du groupe «les Soldats du califat», «vraiment prise au sérieux» par les autorités algériennes déployées dans la région. La Dépêche de Kabylie décrit également par le menu les mesures sécuritaires et le déplacement de hauts gradés dans la région. Un renforcement des contrôles, plus durs encore que pendant la Décennie noire, selon des habitants interrogés par El Khabar. Car si le sud de la chaîne montagneuse est effectivement une zone très fréquentée par les touristes, le versant nord de cette partie de la Kabylie est connue depuis longtemps pour être un foyer terroriste.
Voilà plus de deux décennies que l’Armée nationale populaire algérienne (ANP) est empêtrée dans le maquis de Kabylie. Vingt-cinq ans de lutte anti-terrorisme au cours desquels les soldats de l’ANP ont ferraillé contre de nombreuses organisations: le Groupe Islamiste Armé (GIA), redoutable adversaire pour le gouvernement d’Alger durant la «Décennie noire» des années 90, puis le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) devenu aujourd’hui Al-Qaïda au Maghreb Islamique. Et enfin Jund Al-Khilafa, un nouveau groupe affilié à l’Etat islamique, qui revendique donc l’assassinat d’Hervé Gourdel. Dans Le Figaro, Hakim Saheb, avocat à Tizi Ouzou, l’explique par «l’absence de volonté claire de la part du pouvoir de garantir la sécurité des habitants». La raison proviendrait soit de «l’incompétence» d’Alger, soit «du rejet du pouvoir central» par les Kabyles.
Mais une chose est sûre: le pouvoir algérien n’est jamais parvenu à déloger la menace djihadiste de Kabylie.
Patrice Zehr