Au petit matin du 2 avril, plusieurs terroristes portant des masques, passant de dortoir en dortoir à l’université de Garissa, avaient séparé musulmans et chrétiens avant de massacrer ces derniers par balles. 148 morts! Dans une certaine indifférence des médias internationaux dénoncés par les internautes…
Le Kenya était une fois de plus frappé au cœur, dans sa jeunesse et son identité, par les shebabs. Ces derniers utilisent la division entre chrétiens et musulmans qui recouvre une séparation ethnique.
Le Kenya est gouverné par les Kikuyu chrétiens, alors que les musulmans somalis et souahélis se considèrent comme largement exclus dans leur propre pays. Le Kenya est à plus des trois-quarts composé de chrétiens (une moitié de protestants et un quart de catholiques), considérés comme des «infidèles» par les shebabs qui se réclament du salafisme le plus rigide.
En visant les chrétiens, l’objectif des shebabs est également d’attiser les tensions religieuses dans cette région orientale du Kenya, afin de faciliter le recrutement de combattants.
De nombreux jeunes musulmans kenyans se considèrent déjà comme brimés par les autorités du pays du fait de leur religion et la tension créée par les attentats ne fera qu’accroître leurs difficultés.
Or, le Kenya est impliqué militairement dans l’interminable guerre civile somalienne après le retrait des Américains, puis des Ethiopiens.
«Shebab» signifie «jeune» en arabe. Ce groupe, apparu en 2006, représentait alors la branche la plus radicale de «l’Union des tribunaux islamistes», une coalition de groupes islamiques impliquée dans cette guerre civile. L’Union des tribunaux islamistes avait alors pris le pouvoir sur une grande partie du territoire: le centre et le sud. Elle a imposé pendant deux ans la charia, avant d’être battue en brèche par un gouvernement de transition soutenu militairement par l’Union africaine.
Les Shebab, qui se réclament depuis 2009 d’Al-Qaïda, ont perdu du terrain.
Pendant 20 ans, le Kenya a tenu ses distances avec la guerre civile somalienne de peur d’une contagion. Mais en octobre 2011, pour la première fois, il a décidé d’intervenir militairement dans le conflit. Les shebabs se considèrent comme des résistants face à une armée étrangère d’occupation. C’est pourquoi ils multiplient les attentats au Kenya, que ce soit à Nairobi, sur la côte ou dans des villes du nord ou de l’est du pays. Après le carnage de Garissa, un porte-parole des shebabs a expliqué que l’attentat visait «le gouvernement chrétien du Kenya qui a envahi notre pays» et que cette université publique avait été choisie parce qu’elle servait au gouvernement, «sur une terre musulmane colonisée», à diffuser «sa chrétienté et son infidélité».
L’attaque de Garissa est la plus meurtrière au Kenya depuis celle de l’ambassade américaine de Nairobi, qui avait fait 213 morts en 1998. Selon un décompte de l’Agence France Presse, plus de 400 personnes ont été tuées au Kenya depuis la mi-2013 dans des attaques revendiquées par les shebabs ou qui leur ont été attribuées.
On connaît maintenant celui qui a organisé Garissa.
Abdirahim Abdullahi était kenyan, d’ethnie somalie. Il avait 24 ans. Décrit comme «un futur brillant juriste», il était deuxième de sa classe à l’université de Nairobi où il a étudié le droit pendant quatre ans. Le jeune diplômé avait disparu depuis 2013. Son père en avait informé les autorités, alors qu’il soupçonnait son fils d’avoir rejoint la Somalie. «Il était en train d’aider la police à retrouver la trace de son fils au moment où a éclaté l’attaque terroriste de Garissa», a annoncé le porte-parole du ministère de l’Intérieur. Selon les propos du blogueur et journaliste indépendant, Yassin Juma, rapportés par le Daily Nation, Abdirahim Abdullahi avait l’intention de se rendre en Syrie pour combattre aux côtés de l’organisation Etat islamique, mais en avait été empêché faute de passeport.
Après l’attaque meurtrière contre l’université de Garissa, il est urgent pour le président kényan de réduire le danger terroriste -au lieu de le minimiser en espérant faire revenir les touristes-…
Au premier semestre 2014, le tourisme a chuté de plus de 13%. L’enjeu est tel que, commentant à chaud l’attaque de Garissa, Joseph Nkaiserry, le ministre de l’Intérieur, a minimisé la menace. «Ce qui s’est produit aujourd’hui aurait pu arriver dans n’importe quel pays», a-t-il déclaré, contre toute évidence. De fait, ces derniers mois, plusieurs attaques d’islamistes somaliens, dans des villages côtiers ou à l’encontre de voyageurs, ont fait plus d’une centaine de morts.
On peut regretter la faible mobilisation internationale.
Le carnage terroriste n’a pas immédiatement suscité une réprobation internationale de même ampleur que celle engendrée par les attentats, à Paris, en janvier, l’enlèvement des lycéennes par Boko Haram au Nigeria, voire même la prise d’otage au centre commercial Westgate, à Nairobi en septembre 2013. Une certaine dose d’accoutumance coupable à ce type d’agression, assortie de l’éloignement du lieu de l’action, a sans doute mis un peu l’éteignoir sur les réactions et l’empathie qu’aurait dû provoquer ce drame.
Le traitement médiatique fait partie de la lutte contre le terrorisme.
Patrice Zehr