«Le Maroc vit actuellement au rythme d’une inflation importée»

Mehdi Lahlou, économiste

Face à la hausse des cours mondiaux, notamment du pétrole, du gaz et des denrées alimentaires, engendrée par le conflit  russo-ukrainien, l’économie marocaine traverse actuellement une période extrêmement délicate.

En même temps, on observe une flambée généralisée des prix qui n’épargne aucun produit ni aucune région du pays. Dans cet entretien, Mehdi Lahlou, économiste et enseignant-chercheur à l’Institut National des Statistiques et d’Economie Appliquée nous explique les implications de la guerre entre la Russie et l’Ukraine et les mesures à prendre pour en atténuer les conséquences socio-économiques sur le citoyen marocain.

Comment l’économie marocaine a-t-elle réagi, selon-vous,  au conflit russo-ukrainien?

Dans son ensemble, l’économie marocaine est dans une situation de relative léthargie depuis pratiquement le début de la crise due au nouveau Coronavirus en 2020. Cette situation s’est aggravée à cause du conflit armé qui oppose depuis des semaines,  la Russie à l’Ukraine, et dont les répercussions économiques continuent de se faire sentir, aux niveaux national et mondial. La crise russo-ukrainienne ne pouvait pas tomber plus mal, dans la mesure où l’économie marocaine commençait à entrevoir un peu de lumière au bout du tunnel après une année 2021 marquée par un ralentissement de l’activité économique, notamment en raison de la fermeture des frontières du Royaume. 

La hausse des cours de pétrole, la guerre en Ukraine, le changement climatique et l’importante sécheresse de cette année (2022) ont donné lieu à une flambée des prix de certains produits de grande consommation. La crise russo-ukrainienne est-elle l’unique responsable de cette situation?

Parmi les conséquences majeures de la guerre entre la Russie et l’Ukraine sur le Maroc, figure la hausse exorbitante des prix du carburant à travers le Royaume, sachant que l’augmentation du prix des carburants engendre automatiquement une hausse des prix des denrées alimentaires. Pour la première fois de l’histoire du Maroc, le prix du gasoil a dépassé celui de l’essence. Et pour ne rien arranger à cette situation déjà très délicate, le Maroc est frappé de plein fouet par sa pire sécheresse depuis près de quatre décennies. Certes, les dernières précipitations permettront de sauver les cultures printanières, mais le mal est déjà fait et la campagne agricole 2021-2022 est déjà compromise, en grande partie. Tout cela pour dire que le Royaume fait face aujourd’hui à une conjoncture extrêmement difficile qui ne laisse pas beaucoup de marge de manœuvre  au gouvernement qui se retrouve tiraillé entre la nécessité de faire face à une inflation galopante et en même temps, essayer du mieux possible, de préserver le pouvoir d’achat des Marocains, notamment ceux qui forment les classes modeste et moyenne. Le problème au Maroc, c’est que le Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) ne suit pas automatiquement l’évolution des prix. Jusqu’à aujourd’hui (12 avril 2022) la hausse des prix au niveau national a atteint 5%. Ceci veut dire que les ménages marocains ont déjà perdu 5% de leur pouvoir d’achat. A Cela s’ajoute un taux de chômage assez important et un secteur informel qui ne cesse de progresser. Tous ces facteurs compliquent davantage la tâche de l’actuel Exécutif qui doit agir et vite pour faire baisser la pression sur les prix, sachant que le Maroc vit actuellement au rythme d’une inflation importée.

Un autre Prix pour Fouad Laroui

Quelles marges de manœuvres pour l’actuel gouvernement?

En l’absence de politiques publiques pour réajuster les choses, à travers notamment un meilleur contrôle du prix des carburants, de plus en plus de Marocains seront affectés par cette hausse des prix généralisée que connait le Maroc depuis plusieurs semaines. Le gouvernement peut, dans un premier temps, s’attaquer à la question des carburants. Pour lutter contre la flambée des prix de l’essence et du gasoil, j’appelle à la réactivation  du raffinage au sein de la Samir. La suspension de l’activité de l’unique raffinerie du pays a entraîné une baisse importante des stocks de produits pétroliers, avec la difficulté de contrôler et d’assurer la qualité et les flux d’approvisionnement. L’Etat peut également reconsidérer les taux d’imposition sur les hydrocarbures, notamment la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) et la Taxe Intérieure de Consommation (TIC), tout en sommant les distributeurs de réduire considérablement leurs marges bénéficiaires que je juge excessives et démesurées. Au Maroc, la TIC représente les deux tiers du prix à la pompe. Je demeure convaincu que la mesure décisive face à la flambée des prix des carburants consiste à nationaliser La Samir, dans le cadre de l’intérêt national. Il est impératif que cette unité de raffinage qui a vu le jour au lendemain de l’indépendance, reprenne son activité et puisse jouer pleinement le rôle pour lequel elle a été créée, c’est-à-dire importer du pétrole brut avant de le raffiner pour les besoins du marché national. Or, depuis que cette raffinerie est fermée, le Maroc est obligé d’importer du pétrole prêt à l’emploi. Comme tout le monde le sait, qui dit pétrole raffiné, dit une facture beaucoup plus salée. Il y a besoin d’assainir le marché des hydrocarbures au Maroc, c’est-à-dire, faire en sorte qu’il n’y ait plus d’entente sur les prix entre les principaux distributeurs de carburant à l’échelle nationale. Pour résumer, je dirai que l’Etat doit intervenir à trois niveaux pour stopper la flambée des prix. L’action de l’Etat doit porter sur le retour de La Samir au giron public, l’assainissement du marché national des hydrocarbures, et enfin, baisser la TIC. En attendant des mesures plus décisives de la part du gouvernement, je pense que seule une baisse des prix de l’énergie et des engrais à l’international, peut faire baisser ceux des denrées alimentaires.

Le gouvernement ne présente pas d’alternatives

Propos recueillis par Mohcine Lourhzal

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Conjoncture

Les prévisions du HCP pour le T2-2022

Personnes âgées Au Maroc HPC

L’activité économique réaliserait une croissance de 1,8% au deuxième trimestre 2022, en variation annuelle, au lieu de +15,2% enregistrée par effet de base au même trimestre de l’année 2021. C’est ce qu’indique le Haut-Commissariat au Plan, précisant que cette croissance provient d’une conjonction d’une baisse de 12,9% de la valeur ajoutée agricole et d’une hausse de 4,1% la valeur ajoutée hors agriculture. Cette dernière serait particulièrement portée par les branches tertiaires, dont la contribution à la croissance économique globale s’élèverait à +2,4 points. La valeur ajoutée du secteur secondaire progresserait de 2,8%, tiré par les activités minières. Le HCP ajoute qu’au deuxième trimestre 2022, l’évolution de l’économie mondiale resterait tributaire de la situation épidémiologique notamment en Chine ainsi que des répercussions du conflit Russo-Ukrainien qui pèseraient sur les perspectives de croissance de l’économie mondiale sur l’ensemble de l’année 2022. Dans ce contexte, la demande étrangère adressée à l’économie nationale s’accroitrait de 3,1% au deuxième trimestre 2022, en variation annuelle, au lieu de 20,7% au cours de la même période de l’année dernière. La demande intérieure afficherait, quant à elle, une légère accélération au deuxième trimestre 2022, contribuant de 3,3 points à la croissance économique globale. Elle serait « particulièrement » portée par la poursuite de l’affermissement des dépenses publiques, alors que les dépenses des ménages resteraient affectées par le maintien des fortes pressions inflationnistes.

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