Le suicide au Maroc : Entre tabou et réalité

suicide au Maroc

Les suicides sont devenus fréquents au Maroc et de plus en plus connus et reconnus. Certaines personnes vulnérables préfèrent la voie facile, c’est-à-dire la mort plutôt que la vie. Même si la religion l’interdit (les suicidés n’ont pas droit à un enterrement en bonne et due forme). Ces drames secouent les proches des suicidés et leur entourage. Mais le sujet qui était tabou, devient public. Dossier.

Mettre fin à sa vie d’une façon ou d’une autre, c’est ce que certaines personnes, arrivées à un stade de désespoir avancé, font de par le monde. Le Maroc n’est pas épargné.
Quelques exemples. Le 16 mai 2014, une jeune lycéenne de Fès a mis fin à sa vie en se pendant. Cette jeune fille se serait suicidée parce que sa famille l’aurait poussée à quitter l’école pour se soumettre à un mariage forcé. En 2012, Amina Al Filali s’est suicidée, elle aussi, parce que sa famille l’a contrainte à épouser son violeur. Son suicide a secoué tout le Maroc.

La petite bonne Nora, elle, a été victime d’un viol et a tenté une première fois de se suicider en essayant de s’ouvrir les veines. Heureusement, elle a été sauvée.
Nora, qui a terriblement souffert et qui voyait son avenir autrement, a annoncé à sa mère qu’elle ne voulait plus faire la bonne. Mais sa génitrice l’a obligée à retourner chez ses employeurs. C’est ainsi qu’elle a décidé, encore une fois, de mettre un terme à sa vie en se jetant par la fenêtre de l’immeuble où elle travaillait. Elle a sauté et atterri sur un militaire à la retraite. En voulant la sauver, le sauveur est décédé et la jeune fille Nora s’en est sortie indemne.
Autres cas, un jeune garçon de 11 ans s’est suicidé à Sidi Slimane, il y a quelques mois, parce que son père avait refusé de lui acheter une bicyclette. Ce jeune garçon s’est donné la mort en se pendant à un arbre.
En janvier 2014, un policier s’est suicidé dans son appartement à Sala Al Jadida en se pendant au moyen d’une corde.
Un autre policier s’est suicidé à Settat en mars dernier avec son arme de service, dans les locaux de la Surveillance du Territoire (DST), dont il assurait la garde.
Outre les immolations qui font aussi des victimes…
Ces drames sont relayés par la presse nationale et sont de plus en plus nombreux. Ce qui révèle que le suicide est de plus en plus fréquent dans la société marocaine et que certaines personnes, désespérées et surtout vulnérables, préfèrent la mort à la vie et passent à l’acte.
Le suicide, qui était l’un des tabous religieux et sociaux au Maroc, ne l’est plus. C’est une réalité dramatique qui touche toutes les couches sociales et tous les âges. Ce phénomène affecte toutes les personnes qui ont mal, qui souffrent d’un trouble mental ou d’une dépression. Sans oublier les facteurs de stress, les problèmes financiers ou d’autres dans les relations humaines.

Les statistiques

Dernièrement, la Gendarmerie royale a donné des chiffres précisant que 416 personnes se seraient donné la mort en 2013 et que 178 autres ont pu être sauvées à temps. Cela fait en moyenne plus d’un décès par jour au Maroc. Les mineurs sont concernés à hauteur de 13%, tandis que 66% sont des hommes majeurs et 21% des femmes.
Ces chiffres sont mis en doute par les observateurs et les acteurs sociaux. Car, pour eux, ils n’englobent pas beaucoup de cas qu’on tente de considérer comme de simples accidents ou dus à une mort naturelle.
Mais il y a également les chiffres du ministère de la Santé qui disent que près de 14% des adolescents marocains (qui ont entre 13 et 15 ans) ont tenté de se suicider au moins une fois. Des chiffres effrayants, surtout que le suicide est de plus en plus fréquent!

Pourquoi met-on fin à sa vie?

L’être humain est censé être fort et plein de volonté devant les rudes épreuves. Il n’a pas à fuir la vie et rejeter ses responsabilités, parce qu’il est désespéré ou découragé. La vie est faite pour combattre et surmonter les obstacles rencontrés et non pas pour rester passif ou opter pour la fuite et la mort. Personne ne traverse cette vie sans passer par des épreuves ou rencontrer des problèmes. Mais certaines personnes vulnérables préfèrent la voie facile, la fuite, c’est-à-dire la mort. Pour se soustraire à leurs «grandes» souffrances physiques ou morales, elles choisissent la mort via la pendaison, les armes à feu, l’asphyxie, l’empoisonnement… «Le suicidé est la personne qui met fin à sa vie de façon volontaire en recourant à un moyen qui garantit une mort rapide mettant fin à ses souffrances.
Dans notre société, beaucoup de suicides sont masqués. Pour des raisons religieuses et sociales, les familles des suicidés préfèrent ne pas révéler que leurs proches se sont suicidés. On remarque surtout que les suicides sont devenus fréquents au Maroc et qu’ils sont de plus en plus connus et reconnus. Les médias n’hésitent pas à en parler», indique le sociologue Abdessamad Dialmy. Et d’ajouter: «Les repères sont perdus. Les gens ne sont plus orientés. La vie est devenue très difficile. Les perspectives d’avenir sont réduites. Tout cela peut conduire certaines personnes à mettre fin à leur vie. Ce phénomène trouve surtout ses racines dans des conditions de vie précaires, mais parfois, il peut s’agir aussi d’une déception amoureuse ou d’un sentiment de rejet et d’abandon. La façon de supporter cela et de le ressentir varie d’une personne à une autre. Les personnes moins vulnérables peuvent faire face et surmonter toutes les difficultés rencontrées et les situations vécues», explique le sociologue. Selon lui, ceux qui se suicident sont pratiquement des personnes qui trouvent des difficultés à s’intégrer dans la société. Ils ne parlent pas aux autres; ils optent souvent pour la solitude, n’ont pas de confidents et n’ont personne à leur écoute.

Festival du Madih et Samaâ «Le patrimoine et la jeunesse»

Le suicide, un acte «haram» dans l’islam

«Le suicide est mal vu dans notre société marocaine. Cette perception du suicide trouve ses racines dans la religion. La vie n’appartient pas à l’individu; elle appartient à Dieu. Le suicide est conçu comme une sorte de révolte contre Dieu et c’est un acte inadmissible», souligne le sociologue Dialmy.
Même son de cloche chez le fkih Abdelbari Zamzami: «L’islam considère le suicide comme un acte interdit. Les enseignements de l’islam nous indiquent que celui qui se suicide suscite la colère d’Allah. Après la mort, il subira une punition éternelle: la personne ayant recouru au suicide recommencera sans cesse l’acte avec les mêmes moyens utilisés pour se tuer. L’être humain ne possède pas sa vie. La vie est un don d’Allah. L’être humain ne doit pas se donner la mort. Il n’est donc pas pardonné, sauf s’il est dans un état psychique défaillant. Les malades psychiques qui se suicident ne peuvent être condamnés, ni jugés, parce qu’ils ne répondent pas de leurs actes». Il est dit dans le Coran:  »Et ne vous tuez pas vous-mêmes. Allah, en vérité, est miséricordieux envers vous ». Il est également dit:  »Ne pas tuer l’âme qu’Allah a interdit, sauf par le droit ». Quelles que soient les pressions psychologiques et quelle que soit la gravité des soucis auxquelles le musulman est confronté, il ne doit se résoudre à se tuer. Le musulman, surtout, sait que cet acte le mènera en Enfer et au châtiment douleureux. Le suicidé ne peut bénéficier, à l’instar des autres morts musulmans, de la prière d’  »al janaza ». Cette prière sera faite uniquement par ses proches et dans un cercle très réduit. Les fkihs ou les oulémas ne doivent pas non plus faire la prière d’  »al janaza » au suicidé», souligne Zamzami.

Badia Dref
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Un suicidé toutes les deux secondes


L’Organisation mondiale de la santé(OMS) estime à un million le nombre annuel de morts par suicide à travers le monde, soit plus que les victimes des guerres et des homicides réunis. Une personne se suicide dans le monde toutes les deux secondes. Le suicide constitue, après les accidents de la route, la deuxième cause de mortalité chez les jeunes de 15 à 24 ans. Au cours des 45 dernières années, le taux de suicide a augmenté de 60% à l’échelle mondiale. Le suicide figure parmi les trois principales causes de décès chez les personnes âgées de 15 à 44 ans dans certains pays et la deuxième cause de décès dans le groupe d’âge des 10-24 ans. Ces chiffres ne tiennent pas compte des tentatives de suicide qui sont près de 20 fois plus fréquentes que le suicide abouti. Traditionnellement, le taux de suicide le plus élevé est constaté chez les hommes âgés. Chez les jeunes, le taux a augmenté d’une telle façon qu’il constitue désormais un groupe où le risque est le plus élevé dans un tiers des pays, à la fois parmi les pays développés et dans ceux en développement.

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Entretien avec Meryeme Bouzidi Laraki, Présidente fondatrice de Sourire de Réda

Meryeme bouzidi laraki

«En cas de crise suicidaire, les personnes sont plus efficaces que les acteurs civils»

L’Association «Sourire de Réda» est la seule association au Maroc qui cherche à prévenir le suicide des jeunes. Phénomène de plus en plus constaté dans le pays. Elle a, dans ce cadre, lancé «Stop silence», un «Ch@t» internet qui constitue le premier espace d’écoute anonyme exclusivement réservé aux jeunes pour les empêcher de passer à l’acte.
Meryem Bouzidi Laraki présente au Reporter l’activité de son association.

Quel rôle joue votre association «Sourire de Réda» pour empêcher le suicide?

L’Association «Sourire de Réda» est la seule association au Maroc à chercher à parler du suicide et à prévenir le suicide des jeunes, un phénomène de plus en plus répandu au Maroc. Pour que les jeunes en souffrance retrouvent leurs repères et ne passent pas à l’acte, notamment le suicide, l’Association «Sourire de Réda» a, en 2011, lancé une action de sensibilisation à la problématique du suicide dans les établissements scolaires. Ça a été l’occasion pour nous d’organiser des ateliers-débats pour parler du suicide. L’objectif souhaité de cette action est de lutter contre l’isolement des jeunes et de les aider à surpasser leurs souffrances. L’Association a également élaboré une «Fan page» de «Sourire de Réda» sur le réseau social Facebook. Il s’agit en fait d’un concours de vidéos, dont le thème est «le mal être chez les jeunes». Ces derniers n’ont pas tardé à nous envoyer des films pour y participer, les vidéos sont toujours sur les réseaux sociaux. Cela fait quatre ans que l’Association «Sourire de Réda» existe. Nous organisons, depuis, des conférences de presse et nous sommes invités à chaque fois sur des plateaux pour discuter du suicide.
Pour aider les jeunes en souffrance, on est tout le temps sur le terrain. Et nous sommes en contact constant avec les différentes structures s’occupant de ce phénomène.

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Avez-vous un espace d’écoute pour venir en aide aux jeunes suicidaires

Nous avons profité du 5 février, date de la journée internationale de la prévention contre le suicide, pour lancer «Stop silence». Ce «Ch@t» internet est le 1er espace d’écoute anonyme au Maroc réservé exclusivement aux jeunes, un espace pour reprendre leur souffle à un moment crucial de leur vie. Grâce à Stop silence, l’association répond à l’urgence et fait tout son possible pour que les jeunes puissent trouver une main tendue et un espace d’écoute qui fonctionne sur le principe de l’anonymat. Les jeunes qui s’adressent à «Stop silence» ne communiquent pas leurs noms et leurs adresses. Il y a uniquement de l’échange et on ne fait pas de suivi. L’écoute est très spéciale et ponctuelle et double anonyme et elle est centrée sur la personne du jeune dans le respect d’une stricte confidentialité. «Stop silence» est mis sur logo www.stopsilence.org et c’est un service gratuit. On est toujours bienveillant et sans jugements. C’est aussi un relais ponctuel qui peut aider le jeune à sortir de son isolement et à renouer contact avec autrui. Cet espace peut aussi encourager à libérer la parole du jeune et libérer ainsi la pression qu’il peut ressentir.

Quels sont les chiffres annuels du suicide au Maroc?

Le problème du suicide est réel il ne faut pas le nier. Près de 14% des adolescents marocains qui ont entre 13 à 15 ans ont tenté de se suicider au moins une fois, selon les derniers chiffres du Ministère de la Santé, les raisons peuvent être diverses. Cependant, les chiffres donnés par la gendarmerie royale sur le suicide ne sont pas révélateurs de la réalité au Maroc, on est toujours sur le terrain et on est conscient de cela. On sait qu’il y a plus de suicides puisqu’il y a des suicides qui sont considérés comme de simples accidents qui ont mené à la mort. En plus, il y a toujours le tabou. Les familles préfèrent ne pas révéler que leurs proches suicidés se sont donné la mort et cela pour des raisons religieuses. L’Organisation mondiale de la santé(OMS), pour sa part, estime à un million le nombre des suicidés à travers le monde, ce qui est énorme.

Doit-on tous être à l’écoute des jeunes ?

Tout le monde peut sauver un jeune qui est mal à l’aise. Chacun de nous peut tendre la main. Que nous soyons chauffeur de taxi, instituteur, ingénieur, banquier, ou autre, chaque personne doit savoir qu’elle peut aider une personne en détresse. On est tous capables d’être à l’écoute des jeunes qui ont mal. Et on doit être prêt tout le temps pour les écouter. Il faut les approcher pour savoir combien ils souffrent. En cas de crise suicidaire, les personnes sont plus efficaces que les acteurs civils. Parallèlement aux centres d’écoute qui sont quasiment inexistants, il faut que le Maroc se dote d’autres structures qui accompagnent les jeunes en crise, comme des organismes paramédicaux et des médecins. En plus, il faut assurer aux jeunes des activités sportives et artistiques pour se dépenser. Il faut également que les familles soient à l’écoute de leurs enfants. Il faut surtout lever le tabou et être dans la capacité de voir la réalité. Il faut se donner les moyens et trouver les solutions pour aider les jeunes à surpasser leurs souffrances. On est capable de les aider à traverser ces moments pénibles de leurs vies pour éviter le suicide, surtout s’ils sont trop renfermés sur eux.

Propos recueillis par Badia Dref

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