Nous ne pouvons penser à la réduction des risques au sein d’une société (quelle qu’elle soit) sans poser d’abord deux questions d’importance capitale.
La première: comment se porte le système éducatif de ce pays en question ? La deuxième: comment est l’état de santé du civisme et des valeurs au sein de la communauté ? Ce sont les deux critères de base pour juger de l’état de santé d’une société aux prises avec la modernité. Tout part de ces deux points qui sont indissociables. L’un dépend de l’autre et l’influence dans les deux sens. Une très bonne éducation, adossée à une école performante et rigoureuse, donne de la force au système des valeurs qui créent la cohésion au sein du groupe social. Si l’un de ces deux critères fait défaut, c’est tout l’édifice qui menace de s’écrouler.
En ce qui se réfère à la société marocaine, en termes de réduction des risques, autant dire que le chantier à entreprendre est immense, voire impossible au vu des erreurs épineuses à rectifier et aux mécanismes de fonctionnement à mettre en place. Pour bien comprendre cette équation à deux inconnues, faisons l’analyse de notre système éducatif. C’est très simple, et on peut l’affirmer sans détours, l’école au Maroc souffre de tous les maux. On peut en citer plusieurs aspects pour mettre la lumière sur l’ampleur des travaux à faire. Un taux d’analphabétisme qui fait froid dans le dos alors que nous sommes en 2021, ce qui est considéré comme un énorme handicap au développement de la société. Un taux d’abandon scolaire effarant. Lequel abandon scolaire est la résultante directe de la pauvreté, de la marginalisation, de la vétusté de toute la théorie éducative nationale, sans parler de l’état de l’école en milieu rural. Celle-ci pâtit du manque de moyens, du désintérêt des autorités et de l’ignorance qui sévit dans les campagnes marocaines. Nous sommes face à une école archaïque, avec une bonne partie des enseignants dont le niveau est très bas, un manque d’infrastructures criard et un désintérêt de la part des familles pour l’école publique, jugée nulle et sans apport véritable pour l’avenir des jeunes générations. Il ne faut pas, non plus, citer tous les autres maux dont souffre l’école marocaine: la violence entre élèves, la violence entre élèves et professeurs, l’invasion des drogues, les addictions et la délinquance juvénile. Les affaires qui ont défrayé la chronique, à ce propos, sont nombreuses, et font toutes état de la dangerosité de certains établissements scolaires toutes couches sociales et toutes régions confondues. Nous ne pouvons faire l’économie du fait que de nombreux instituteurs et enseignants ont fait les frais d’une école à la dérive, entre coups et blessures, voire des tentatives de meurtre. C’est dire toute la gravité de la situation qu’il faut considérer comme une urgence nationale. Il faut que cette question relative à l’avenir de l’école marocaine fasse l’objet d’un débat national de fond pour rectifier ce qui encore peut l’être et proposer des solutions rationnelles et pérennes pour l’avenir du pays. Ceci d’un côté. De l’autre, dans les meilleurs des cas, il y a cette question du niveau et de la qualité des cours dispensés dans les écoles marocaines. Le niveau en question est tellement bas qu’un jeune qui étudie au lycée ne maîtrise aucune langue, ni son arabe ni le français, encore moins l’anglais, l’espagnol ou l’allemand. A ceci s’ajoute cette irrationnelle volonté d’arabiser à tour de bras, qui fait beaucoup de mal à l’école marocaine et aux études en général faisant des étudiants des presque analphabètes ne parlant que leur langue maternelle saupoudrée à tous les dialectes approximatifs et grégaires. Résultat des courses: des analphabètes avec un diplôme de baccalauréat. Un simple tour dans les écoles et les universités marocaines pour voir comme le niveau des étudiants est très bas, non seulement en ce qui concerne la langue des études, mais dans des matières importantes comme l’Histoire, la géographie, la dictée, les sciences naturelles, les mathématiques et la physique. Pour ceux qui font des études de Lettres, inutile d’évoquer cette question de niveau puisqu’il n’y en a pas, du tout. Ni lecture ni amour du livre, le tout couplé à zéro intérêt pour les littératures du monde. Il faut ajouter à ce constat sans compromis, le fait que le Marocain, toutes couches sociales confondues, ne lit pas ou alors, dans les meilleurs cas, deux minutes par an. Ce qui est un record mondial. Qu’attendre alors d’une école qui est en proie à la violence, aux drogues, à l’abandon scolaire, au manque de niveau et de qualité, au désamour de la lecture ? Cette école semble condamnée et elle a laissé la place à une école privée qui n’est pas mieux lotie, excepté quelques rares modèles qui ont fait de la rigueur et du gage de l’excellence tous azimuts leur cheval de bataille pour former de futurs leaders et de futurs exemples pour les autres générations.
Cette faillite de l’école a donné corps à un autre fléau, celui de la crise profonde des valeurs au sein de la société. C’est très simple quand l’école marocaine, dans les années 50, 60 et 70 jusqu’aux années 80 du siècle dernier, était un exemple de formation, de travail sérieux et d’obligation d’excellence, les valeurs humaines avaient droit de cité. Le respect de la nation, le patriotisme, le respect des autres, la cohésion sociale, la solidarité entre les uns et les autres, l’amour des arts et de la beauté, l’ouverture sur les autres cultures du monde, la faculté de parler et de maîtriser plusieurs langues, l’amour du théâtre, l’amour de la musique, le désir impérieux des arts, le respect du corps professoral, le rejet des drogues et la volonté d’obtenir les meilleures notes possibles pour pouvoir obtenir des bourses d’études à l’étranger. Mais, depuis les années 90 du siècle dernier, la catastrophe des valeurs sociales a commencé à prendre corps et à ronger le tissu social marocain. Aujourd’hui, nous vivons au sein d’une société où la majorité des citoyens n’ont plus aucune mesure des valeurs. La déperdition de ces valeurs a accouché de plusieurs générations de jeunes marocains vivant dans une forme de chaos et d’anarchie, avec trois principes comme ligne de conduite: l’argent à tout prix, la violence et l’agressivité comme attitude au sein de la société et le goût prononcé pour la médiocrité dans toutes ses manifestations sociales. Ce qui a occasionné de nouveaux phénomènes sociaux : la violence au sein de la famille, le passage, très tôt par la case prison, l’attrait du crime, la volonté de partir clandestinement en Europe, synonyme à tort d’argent facile et d’ascension sociale, le trafic des drogues comme moyen facile d’amasser de l’argent, l’abandon scolaire, la déshérence sociale, l’errance dans les rues et le vagabondage. Ce sont là des faits notoires de la rue marocaine, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, avec comme première cause: la faillite générale de l’école marocaine qui ne véhicule plus aucune valeur humaine. Dans ce vide effrayant se nichent tous les dangers d’une société livrée à elle-même, entre crime et faux impératifs religieux, ce qui ouvre la voie à une autre forme de dérive: l’extrémisme religieux, puis le terrorisme, comme le Maroc l’a vécu dans sa chair en 2003, sans parler des centaines d’attentats déjoués par les services de sécurité marocains. Dans cette pyramide des priorités, nous voyons comment la destruction du système éducatif national qui a très mal évolué a généré d’autres fléaux sociaux de très grande gravité.
En conclusion, il faut affirmer, sans détours, qu’aucune société digne de ce nom, qui se veut résolument tournée vers l’avenir, avec des principes et des valeurs solides, ne peut se construire en l’absence d’une école forte, rationnelle, moderne et ancrée dans les traditions et les projections dans l’universalité des valeurs.
Par Abdelhak Najib
Écrivain-journaliste