Le modèle de gestion des finances publiques en vigueur a atteint ses limites. Le 7ème Colloque international des finances publiques était l’occasion pour le trésorier du Royaume de décliner sa vision des choses. Détails.
Il est grand temps de revoir le modèle de gestion des finances publiques. Le temps n’est plus à la déresponsabilisation, à la culture des moyens et à la myopie gestionnaire de l’argent public. C’est par ces signaux forts qu’a entamé Noureddine Bensouda, patron de la Trésorerie générale du royaume(TGR), son intervention, vendredi 13 septembre 2013 à Rabat, à l’occasion du 7ème Colloque international des finances publiques, placé cette année sous le thème: «Quel pilotage des réformes en finances publiques au Maroc et en France?».
Plaçant le curseur très haut, le Trésorier général n’hésite pas à se prononcer sur les sujets qui fâchent, ou au moins à les évoquer, sachant que l’information financière relative à certains compartiments des finances publiques reste un secret bien gardé.
Comptes spéciaux du Trésor
A commencer par ces comptes spéciaux du Trésor ou, comme quelques-uns préfèrent les qualifier, ces «caisses noires». Pour la simple raison qu’ils dérogent au contrôle parlementaire, aux dires de certains économistes. Sur cette question, Bensouda se veut nettement clair. «On parle beaucoup de ces comptes spéciaux comme si c’était des comptes cachés. Or, ils sont bien spécifiés par la loi de Finances et contrôlés par la Cour des comptes. Les opérations de recettes et de dépenses sont budgétisées et comptabilisées», explique-t-il. D’ailleurs, dans le souci d’opter vers plus d’efficacité, le projet de loi organique des finances prévu pour 2014 suggère «la suppression de tout compte d’affectation spéciale n’ayant pas donné lieu à dépenses pendant trois années consécutives et le solde est pris en recettes au niveau du budget général».
A noter que les recettes au titre de ces comptes sont de différentes natures se chiffrant à 127. Les chiffres fournis par la Trésorerie générale font état d’une évolution des recettes reportées des comptes pour se situer à 62,7 milliards de dirhams.
Arriérés de paiement
Le total des impôts, taxes et redevances en souffrance est resté pour longtemps méconnu. Cette fois Bensouda a choisi lui-même de livrer ses chiffres. Ainsi, les arriérés d’impôts au terme de l’exercice 2011 s’élevaient à 66 milliards de dirhams, ce qui équivaut à 8% du PIB. Un chiffre qui en dit long sur la problématique de recouvrement et de contrôle des deniers publics. A en croire toujours Bensouda (et il est bien placé pour le savoir), le gouvernement n’arrive à recouvrer que 40% des montants dus aux contribuables.
Les failles relevées au niveau de la responsabilité budgétaire n’ont pas manqué de susciter les critiques de Hassan Abouyoub, ambassadeur du Maroc en Italie, qui avoue que les choses tournent mal à ce titre, remettant en cause la collégialité des décisions, nécessitant une stratégie globale des réformes et non pas seulement celles des finances publiques ou de la fiscalité.
Mode de gestion mis à mal
Pour Bensouda, la fragilité des finances publiques requiert un diagnostic partagé dans le cadre d’une approche globale regroupant toutes les parties prenantes (politiques et administrations). A son avis, seule une analyse aux micro-données serait en mesure de parer aux effets des actions conjoncturelles. Il pense qu’il est temps de rompre avec cette vision des choses voulant que le Maroc soit toujours dépendant des aléas de la conjoncture (volatilité des prix des matières premières, instabilité de la zone euro). Sa devise est que «chaque pays ne peut vivre que de ce qu’il produit». Est-ce possible dans un monde de plus en plus globalisé et interconnecté? Quoi qu’il en soit, le trésorier général appelle à la mise en place d’une discipline budgétaire, à une bonne articulation dans les décisions prises. Il conseille d’aborder sans trop tarder la réforme des commandes publiques, prévue initialement pour 2014. Sans oublier la continuité des réformes engagées, avec une consolidation budgétaire et comptable. Il met l’accent sur l’urgence d’inculquer une nouvelle culture managériale basée sur l’obligation par le résultat et non pas par les moyens, consacrant le sens de la responsabilité et la reddition des comptes. Bref, le nouveau modèle de gestion, tel que conçu par le numéro 1 de la TGR, est basé sur trois piliers que sont un système d’information fiable, une réforme de la comptabilité nationale et une consolidation financière et comptable des comptes publics. Et là, il ne faut pas oublier que la France a mis près de 50 ans pour instaurer un tel système comptable !
Ces exonérations qui font mal
Le trésorier général n’a pas caché ses inquiétudes face à la montée redoutable des dépenses fiscales. Celles-ci ont culminé à 36,3 milliards de dirhams en 2012, contre 33,7 milliard un an auparavant. Un envol qui reste injustifiable eu égard à la dégradation des finances publiques. Il se demande comment est-ce possible d’accorder de tels avantages fiscaux dans un contexte de raréfaction de liquidités et d’accentuation de la dette publique. Chiffres à l’appui, les montants souscrits au titre des opérations d’adjudication s’élèvent à 120,3 milliards de dirhams en 2012, au lieu de 41,9 milliards en 2007. Il recommande ainsi de chercher de nouvelles recettes fiscales.
Attention au déficit
La décélération continue des recettes, comparativement aux dépenses publiques, attire l’attention de Bensouda. Au point que ce dernier met en garde contre cette tendance «inquiétante». Un chiffre lui suffit pour rendre compte de la situation: le taux de couverture des dépenses du budget général par les recettes ordinaires s’est effondré à 74,1% en 2012, pour la première fois depuis les années 1980. D’où son appel à revoir les mécanismes de mobilisation de l’épargne budgétaire. Laquelle a franchi le solde négatif pour se situer à 16,7 milliards de dirhams, pour la première fois depuis 2001 où cette épargne était positive, totalisant 18,5 milliards. Devant l’amenuisement des entrées fiscales, il insiste sur l’urgence de la refonte de la politique fiscale. A la clé, la réforme des taux de la TVA et la suppression d’impôts et taxes similaires à rendement faible. Le gouvernement est très attendu en 2014 sur ce grand chantier d’ailleurs, suite aux déclarations pompeuses et aux recommandations prometteuses des Assises de la fiscalité tenues fin avril dernier à Skhirat.