Les confidences du Dr Chraïbi

Docteur chafik chraibi

Entretien avec le Docteur Chafik Chraïbi, Président de l’association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin et professeur au CHU de Rabat

Quel est l’objectif derrière le débat sur l’avortement qu’organise l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC)?

Cette fois-ci, nous ne voudrions pas tourner autour du pot comme on l’a fait depuis longtemps! Je crois que maintenant, le débat est assez mûr et tout le monde est convaincu de l’urgence d’adopter un amendement concernant la problématique de l’avortement. C’est pour cela que, lors du débat, on aimerait aller directement vers le but du sujet, c’est-à-dire la proposition d’un amendement de la loi en matière d’avortement. L’article 453 du code pénal, qui existe déjà, est mal compris. Cet article dit que l’avortement est autorisé lorsque la vie et la santé de la mère sont mises en jeu. Mais le terme «santé» est mal compris, car la santé, telle qu’elle est définie par l’Organisation mondiale de santé (OMS), englobe la santé physique, la mentale et la sociale. Le problème, c’est qu’on ne tient pas compte de la santé mentale et de la santé sociale.

Ce qu’on voudrait, c’est que cet article précise bien que la santé mentale et celle sociale doivent être prises en considération. Dans ce sens, nous avons invité les différents ministres concernés, les chefs des partis politiques et ceux des groupes parlementaires, afin de les sensibiliser à la question et que le texte soit voté au parlement.

Où en êtes-vous dans vos préparatifs pour ce débat?

Le débat aura lieu le 16 mars prochain. On commencera par une conférence de presse, puis on entamera les travaux directement. Alors, ici, nous avons invité les différents acteurs concernés pour qu’ils prennent part au débat. Malheureusement, le représentant de l’OMS vient de m’informer qu’il ne sera pas présent. En tout cas, le débat sur l’avortement est destiné à la société civile. De ce fait, les portes sont ouvertes à tous ceux qui veulent y prendre part. C’est pour cela qu’on a choisi une salle qui peut rassembler de 400 à 500 personnes. C’est un débat du peuple!

** Jesse Jackson au Maroc

Vous avez été démis de vos fonctions de chef de service au CHU de Rabat, suite à un reportage réalisé par une chaîne de télévision française. Allez-vous reprendre votre ancien poste?

Actuellement, je n’occupe plus la fonction de chef de service qui est une fonction administrative, mais surtout scientifique. Toutefois, je continue mon travail de professeur au sein du CHU (consultations, bloc opératoire…). Le poste de chef de service est plutôt prestigieux. Il y a eu des rapprochements de la part du ministère pour une éventuelle reprise de la fonction de chef de service.

D’un point de vue pragmatique, que pensez-vous de l’ouverture du débat sur l’avortement?

Moi, je trouve que cette histoire du reportage a été extraordinaire, car elle a permis d’ouvrir le débat une nouvelle fois. C’est vrai que l’AMLAC travaille sur la problématique de l’avortement depuis l’année 2008. Nous avons réussi à ouvrir le débat sur le sujet. N’empêche que le débat était en dents de scie ces dernières années. Il y a des moments où on avait beaucoup d’espoir, puis parfois, ça tombait dans les oubliettes. On espère que les choses avancent rapidement, dorénavant

Dans ces moments difficiles, n’avez-vous jamais songé à abandonner?

Jamais, jamais et jamais! Véritablement, je me suis fixé l’objectif de résoudre ce drame pendant ma vie. C’est indiscutablement un drame! Si j’arrive à résoudre pendant ma courte vie cette problématique de l’avortement, je crois que j’aurai atteint un de mes objectifs, celui de sauver de milliers de jeunes filles et de femmes qui s’adonnent à des avortements clandestins qui mettent leur vie et leur santé en péril. C’est pour cela que je n’ai jamais songé à abandonner et je n’abandonnerai pas! Maintenant, la majorité des partis politiques se sont exprimés en faveur d’une légalisation de l’avortement dans les cas de viol et d’inceste ou de malformation fœtale. Mais nous qui vivons sur le terrain, nous voyons que ça ne réglera le problème que pour 5 à 10% des situations réelles. Je pense que c’est lamentable que le débat accouche d’une souris. C’est vrai que ce sera une avancée majeure, mais ça ne réglera pas la problématique entièrement. Que ferons-nous des autres situations, comme par exemple celle des mineures et des aliénées qui se font facilement berlurer par n’importe qui et tombent enceintes. Il y a également le cas des femmes matures, dont le mari est malade ou au chômage et qui ne peuvent pas supporter un cinquième ou sixième enfant. Ce sont des situations réelles. C’est pour cela qu’on veut amender l’article 453, car il englobe tout. Cet article sera même encadré par un comité d’éthique qui sera constitué de 2 gynécologues, 2 psychologues et une assistante sociale. Ce comité aura pour mission d’étudier les cas pour décider si la personne remplit les critères pour faire l’avortement. A ce moment-là, je demanderai au législateur d’être plus ferme dans les autres situations. Et là, on sera beaucoup plus transparent. C’est hypocrite de dire que l’avortement est interdit, alors qu’il y en a des centaines illégalement et quotidiennement.

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Interview réalisée par Anas Hassy

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