Entretien avec Najat Razi, présidente de l’Association marocaine des droits des femmes (AMDF)
«Nous allons nous opposer à ce texte par tous les moyens»
Najat Razi, présidente de l’AMDF, estime que le projet de loi 103.13 sur la «Lutte contre la violence faite aux femmes», élaboré par le département de Bassima Hakkaoui, constitue un recul par rapport à ce qui a été revendiqué par les associations féministes.
Interview
Le projet de loi sur la violence à l’égard des femmes a soulevé un tollé au sein des associations féministes. Pourquoi?
D’abord, je dois souligner que, pour nous, associations féministes, la «libération» de ce projet constitue un pas positif. Car, cela fait une décennie que nous menons un combat ayant pour objet l’instauration d’une loi globale qui concerne la lutte contre la violence à l’égard des femmes au Maroc. Nous considérons donc que la décision du gouvernement de proposer cette loi est une avancée. Mais cela n’empêche pas que nous protestons fortement contre la façon dont ce projet a été mené pendant le processus de sa préparation. Nous n’avons pas été informées du processus. De même, nous n’avons pas été consultées sur le contenu de cette loi. Pourtant, en tant qu’associations féministes, nous avons été partenaires de l’ancien gouvernement dans ce chantier. Un chantier, rappelons-le, qui a commencé avec le ministère de Yasmina Badou et qui s’est poursuivi pendant la période de Nouzha Skalli. Actuellement, nous sommes devant ce projet de loi qui n’a pas encore vu le jour. Nous avons donc accumulé une grande expérience et nous avons des propositions bien structurées concernant la législation sur la violence à l’égard de la femme dans notre pays. C’est pourquoi nous protestons contre le fait que la société civile et les associations féministes aient été exclues du processus de préparation de ce projet de loi qui est aujourd’hui proposé au Conseil de gouvernement.
Qu’en est-il du contenu de ce projet de loi?
En prenant connaissance de ce projet à la dernière minute, c’est-à-dire à la veille de sa discussion par le Conseil de gouvernement, il y a deux semaines, nous avons quand même pu l’étudier et nous concerter sur la position que nous devrions prendre. Nous avons constaté que ce projet a été complètement vidé du contenu qu’il était censé avoir. Notre protestation n’est donc pas seulement contre l’exclusion des associations féministes, mais aussi contre le contenu, la forme et la structure de ce projet. Nous avons été choquées par le contenu de ce texte. Nous considérons que ce projet de loi constitue vraiment un recul par rapport à ce qui a été revendiqué par les associations et par les composantes de la société civile au niveau de la réflexion et de la proposition à propos de la loi contre la violence. Il constitue également un recul flagrant par rapport à ce qui a été réalisé dans le cadre du partenariat entre la société civile et les gouvernements précédents. Pour nous, il est clair qu’il y a un problème de vision. Ce projet de loi n’est pas basé sur une approche homogène, ni sur un choix de philosophie. Nous considérons qu’il y a un amalgame. S’agit-il d’un projet de loi contre la violence basée sur le genre? Dans ce cas, le texte doit traiter de la violence faite par les hommes à l’égard les femmes. Ou bien s’agit-il d’un projet qui concerne la violence entre les époux? Et là, on trouve que, dans ce projet, il y a des articles qui parlent de sanctions quand l’acte de violence est commis par l’épouse contre son mari.
La confusion est également engendrée par l’inclusion de l’enfant dans une loi qui normalement devrait traiter de la violence faite aux femmes. Le texte ne parle pas des enfants de la femme violentée. Ses dispositions parlent de la violence subie par les enfants comme groupe social, ce qui est un amalgame pour nous. Pourquoi y a-t-il cet amalgame? Pourquoi regrouper des situations de violence à l’encontre des enfants dans une loi qui, normalement, concerne la violence à l’égard des femmes? Pour nous, c’est vraiment une confusion. On pouvait parler des enfants, mais en tant qu’enfants de la femme violentée qui subissent les conséquences et les séquelles de la violence faite à leur mère. Mais ce n’est pas le cas dans ce projet de loi.
Est-ce à dire que le texte n’est pas à même de protéger la femme violentée?
Nous pensons qu’il n’y a pas vraiment une structuration de loi selon les normes appliquées aux lois sur la violence qui sont mises en place au niveau international et même par des Etats de la région. Dans une loi, il faut absolument qu’il y ait des mesures répressives, de protection et de prévention. Or, dans ce projet de loi, il n’y a aucune mesure de prévention ni de prise en charge. Il n’y a pas une vision globale et claire de lutte contre la violence fondée sur le genre dans ses dimensions de prévention, de protection, de répression et de prise en charge. A ce sujet de prise en charge, pour ne citer que cet exemple, on parle dans ce texte de la possibilité d’héberger la femme violentée non mariée, mais pas de l’hébergement de la femme mariée quand elle est violentée. Nous considérons donc que c’est une discrimination claire entre les femmes. Comment insérer dans une loi qu’une femme qui n’est pas mariée peut être hébergée dans un lieu pour la protéger, alors que lorsque la femme mariée, quand elle est violentée, l’Etat ne peut pas assumer la responsabilité de lui fournir un lieu où elle peut s’abriter? Cela est discriminatoire et reflète, à nos yeux, une vision masculine. Nous avons donc plusieurs critiques qui concernent aussi bien le contenu et la structuration que la vision.
Une commission a été mise en place pour la révision de ce texte. Qu’allez-vous entreprendre pour faire entendre votre voix?
Nous allons bien sûr interpeller les différentes composantes de la commission ayant été constituée pour la révision du texte. Nous allons leur faire parvenir nos remarques, nos critiques et notre analyse concernant ce projet de loi. En même temps, nous allons présenter un mémorandum contenant des propositions sur les grandes lignes, les directives et les normes devant être respectées dans ce projet de loi. Un mémorandum que nous présenterons lors d’une prochaine conférence de presse que nous allons organiser à la fin du mois de novembre. Nous considérons que, si ce projet est soumis au parlement tel qu’il est actuellement annoncé, cela va vraiment constituer une régression flagrante que nous dénonçons et à laquelle nous allons nous opposer par tous les moyens. A noter que le mois de novembre sera pour nous un mois d’activités très intenses et diversifiées selon un plan d’action, lequel a d’ailleurs été adopté par une soixantaine d’associations et d’ONG dans le cadre du printemps de la dignité.
Interview réalisée par Naîma Cherii
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Entretien avec Fatima Zohra Chaoui, avocate et présidente de l’Association marocaine de lutte contre la violence à l’égard des femmes (AMVEF)
«Il y a beaucoup trop de défaillances»
Pour Fatima Zohra Chaoui, le projet de loi sur la violence faite à l’égard des femmes est un remaniement du code pénal et du code de procédure pénale.
Interview
En tant que présidente de l’AMVEF, quel commentaire faites-vous à propos du projet de loi sur la violence faite à l’égard des femmes?
Les associations féministes n’ont pas été consultées lors de l’élaboration de ce projet de loi sur la violence faite à l’égard des femmes. Nous n’avons été informés de ce projet que dernièrement par les médias. Et ce n’est qu’il y a quelques jours qu’on a pu avoir une copie de ce texte qui ne répond même pas au minimum de nos attentes et de nos revendications. Pourtant, ce sont les associations féministes qui, depuis plusieurs années, ont travaillé sur la violence faite à l’égard des femmes, lequel travail a donné suite à un mémorandum pour une loi contre la violence subie par la femme. Loi qui est maintenant une obligation au Maroc.
Une commission a été mise en place pour la révision de ce projet de loi. Elle devait se réunir il y a deux semaines, mais la réunion a été reportée. On ignore si la raison du report est de se concerter avec nous les associations et ONG féministes, ou si c’est parce que, au sein même du gouvernement, on n’est pas satisfait de ce projet. Mais une chose est sûre. Notre bataille, nous l’avons commencée depuis 2006 et nous allons la continuer jusqu’à ce qu’on réponde à nos revendications.
Du point de vue juridique, quelles sont selon vous les défaillances de ce projet de loi?
Le projet en question est juste un remaniement du code pénal et du code de procédure pénale. Pour une loi tant attendue par les associations féministes, il y a beaucoup trop de défaillances. Sur tout les volets d’ailleurs. Que ce soit sur le volet protection, répression, ou encore sur le volet prévention, rien n’est prévu dans ce texte. Parler de prévention, c’est parler de sensibilisation de la population et c’est avant tout revoir tous les programmes scolaires au Maroc. Car, normalement, prévenir contre la violence, cela signifie que l’on ne doit plus admettre qu’il y ait dans nos manuels scolaires –ni dans nos médias d’ailleurs- tout ce qui est discrimination contre la femme. Or, rien n’est prévu à ce sujet. Pour ce qui est de la protection de la femme ayant subi la violence, le texte n’a rien prévu non plus. Le texte n’a pas du tout mentionné les mesures de protection à prendre dans des actes pareils, alors que conformément aux revendications de l’ONU, il faut qu’il y ait une protection même pour les membres de la famille de la victime, ce qu’on appelle «les survivants à la violence». Enfin, dois-je le souligner, une loi sur la violence contre la femme devrait normalement prévoir un budget spécial, aussi bien pour la prévention que pour la protection. Or, cela n’a pas été fait dans ce projet.
Que demandent les associations féministes?
Il faut souligner que les centres d’écoutes pour femmes victimes de violence, ce sont des «laboratoires» qui nous donnent les éléments pour tous les plaidoyers que nous faisons. Tout ce qui est dans nos mémorandums et toutes nos revendications, ce sont en fait les demandes des femmes victimes de la violence qui viennent, chaque jour, demander assistance auprès de ces centres. Et ces femmes ne demandent que des sanctions à l’encontre des auteurs de la violence faite à leur égard. Notre objectif à nous, les associations féministes, c’est donc que les coupables n’échappent plus à la sanction.
Entretien réalisé par NC