Mohammed Cheikh Biadillah, Président de l’Assemblée parlementaire de la Méditerranée, nous éclaire, dans cet entretien à bâtons rompus, sur les questions qui préoccupent les pays du pourtour de la Méditerranée… Et au-delà.
Entretien
L’Assemblée parlementaire de la Méditerranée s’est réunie à Rabat le 26 mai 2015, pour débattre du thème crucial «L’extrémisme, le terrorisme et les tragédies de l’immigration clandestine en Méditerranée». Quelles politiques pour faire face à ces défis ?
L’Assemblée Parlementaire de la Méditerranée (APM) s’est déjà réunie ici même (siège du Parlement marocain) sur le patrimoine culturel universel menacé de destruction et de déperdition.
Qu’en pense l’Unesco?
La Directrice de l’Unesco a parlé de nettoyage culturel. C’est effectivement un réel nettoyage culturel. Nous avons tous suivi ces opérations criminelles menées par Al-Qaïda en Afghanistan. Nous avons vu ce qui s’est passé au Nord du Mali: un véritable carnage, outre la destruction de tombeaux, de mosquées et même la dévastation des bibliothèques. Des livres et des documents de grande valeur culturelle ont disparu, été brûlés, volés aussi. Aujourd’hui, nous vivons une autre situation dramatique en Irak et en Syrie, notamment à Palmyre. C’est toute l’histoire syrienne et gréco-romaine qui part en éclats et les objets d’art pris et vendus pour financer les opérations terroristes. Nous avons donc tenu cette réunion à Rabat. Y ont assisté tous les ambassadeurs de l’Unesco.
Quel est l’objet de la réunion de l’Assemblée Parlementaire de la Méditerranée?
Elle a pour objet de débattre de trois dossiers importants: le terrorisme, la migration et les changements climatiques.
Qu’est-ce qui importe et prime dans cette rencontre de haut niveau?
Ce qui importe, au-delà des thématiques, c’est la communauté de destin entre nous et l’Occident.
Et la prise de conscience aussi…
Effectivement, ce ne sont plus des actions dirigées contre les Européens, les chrétiens. C’est devenu universel. Nous sommes tous menacés et les menaces sont quasi permanentes.
Ceci nécessite donc une solidarité doublée d’une coopération.
Nous devons œuvrer en commun pour faire face à ces défis. Il est illusoire de croire que nous pourrons affronter ces fléaux de façon individuelle. Idem pour l’immigration clandestine.
Le Maroc s’y emploie. Quelle appréciation au niveau de l’APM?
Le Maroc s’y est courageusement investi grâce à la sagesse de SM le Roi Mohammed VI. Ils (les autres pays) ont pris connaissance de l’expérience marocaine inédite et unique au sud de la Méditerranée. Nous savons que des pays tels la Jordanie et le Liban croulent sous un nombre considérable de migrants. Concernant les changements climatiques, il va y avoir la COP 21 (Convention sur les changements climatiques) à la fin de l’année en cours (2015) à Paris, puis la COP 22 à Marrakech en 2016. Nous préparons aussi une COP MED des pays Méditerranéens.
Il y a une confusion entre deux associations parlementaires. Pouvez-vous éclairer nos lanternes?
Vous faites bien de soulever cette équivoque. Il y a effectivement confusion entre deux associations parlementaires. L’une s’appelle «Assemblée Parlementaire de la Méditerranée» (APM), présidée par la Chambre marocaine des conseillers -donc, j’ai l’honneur de présider cette réunion (à Rabat)- et l’autre s’appelle «Assemblée parlementaire de l’Union pour la Méditerranée», présidée par Rachid Talbi Alami, actuel président de la Chambre des représentants.
Quelle différence?
La différence est énorme. L’Assemblée Parlementaire de la Méditerranée est fondée par les pays du pourtour du bassin Méditerranéen. L’Assemblée parlementaire de l’Union pour la Méditerranée, c’est 43 pays. Donc, ce sont plusieurs pays de l’Est qui sont groupés dans cette Assemblée parlementaire.
Quel est l’objectif de la campagne de solidarité «Nous sommes tous Méditerranéens».
Il s’agit de l’appel des présidents des régions méditerranéennes. Nous voulons que l’Europe équilibre sa politique entre l’Est et le Sud de l’Europe; entre les pays de l’Est qui étaient sous l’emprise de l’ex-Union Soviétique et ceux au Sud de la Méditerranée. C’est donc une distinction entre ces deux Assemblées qui doivent normalement collaborer ensemble sur des sujets d’intérêt commun, comme l’immigration, le terrorisme, les échanges culturels, les changements climatiques…
On a beaucoup parlé, lors de cette réunion de l’APM, des trois couloirs qu’empruntent les immigrés clandestins. A quoi voulez-vous en venir?
Nous voulons montrer et Frontex (Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, Ndlr) l’a fait, les trois couloirs qu’empruntent les immigrés clandestins vers l’Europe (le couloir oriental qui passe par la Turquie vers l’Italie, le couloir central Libye-Italie et celui occidental Maroc-Espagne). Eh bien, le nombre des morts s’accentue et augmente au quotidien dans le couloir oriental, alors que le couloir occidental est préservé.
Comment expliquez-vous cela?
Il y a à cela deux raisons. D’abord, parce qu’il y a un Etat au Sud qui a eu toutes les compétences et critères d’un Etat, ce qui n’est pas le cas par exemple en Libye. C’est d’ailleurs pour cela que les morts se comptent par centaines et que la Sicile est inondée par les migrants. Deuxième raison: il y a une coopération intelligente entre le Maroc et l’Espagne, ce qui permet à ce couloir de ne pas connaître le même nombre de catastrophes humaines que les couloirs central et oriental.
Dans ce cas, quel est l’intérêt que visent les parlementaires?
Préserver les droits des hommes et des femmes qui traversent soit les pays de transit, soit les pays d’accueil.
En quoi l’approche du Maroc dans ce domaine est-elle salutaire?
La politique marocaine est exemplaire dans ce domaine parce que, dès qu’un immigrant clandestin dispose d’une carte de séjour, le marché du travail lui est ouvert, ainsi que la scolarité gratuite aux enfants des immigrés et la santé. Tout cela est d’une importance capitale. Et nos amis de l’APM, lorsqu’ils l’ont appris, étaient complètement étonnés, vu que nous n’avons pas de pétrole, ni de moyens, sans oublier que nous avons, nous aussi, nos propres problèmes. C’est une politique généreuse, courageuse et un modèle, initié par SM le Roi.
Avez-vous élaboré une approche globale face à cette tragédie et ces fléaux de l’immigration clandestine et du terrorisme?
Nous avons écouté attentivement les Nations Unies, les Européens et Frontex, ainsi que les spécialistes des ministères respectifs de l’Intérieur. Ainsi, l’approche ne peut être que globale et multidisciplinaire. Il faut lutter contre l’exclusion et, dans ce cas, nous avons évoqué l’expérience de l’INDH. Il faut lutter contre les déviations religieuses, contre l’intégrisme et réformer le champ religieux. Nous avons fait référence à la formation des imams, des «mourchidates» aussi. Il faut purger les manuels scolaires de tout ce qui est xénophobe et raciste.
Du pain sur la planche?
C’est un travail à géométrie variable. La coopération et la collaboration doivent être de mise dès le début.
Le Maghreb a-t-il été cité lors de cette rencontre?
Nous avons évidemment évoqué le fait que le Maghreb n’a pas réussi l’intégration entre ses cinq pays pour devenir un partenaire de taille au sud de la Méditerranée. Tout le monde comprend qu’il s’agit là d’un manque à gagner s’agissant aussi bien de la sécurité que de l’économie des pays concernés.
Et s’agissant du volet économique?
Le co-développement demeure un facteur déterminant de stabilisation de ces populations, parce que d’ici la fin du siècle, la population africaine devrait tripler et donc les besoins et les nouveaux modes de vie sont impérieux. L’immigration va inévitablement s’accentuer, en plus de l’explosion démocratique en Méditerranée dans ces pays qui vieillissent et manquent de médecins, d’ingénieurs et de main d’œuvre. C’est sur ce tableau qu’il faudrait agir et rapidement pour réussir à équilibrer cette opération qui est certainement impérieuse.
On n’a pas beaucoup parlé, lors de la réunion de l’Assemblée Parlementaire de la Méditerranée, d’un problème de taille, à savoir le financement grâce auquel les terroristes se maintiennent et font la loi…
Je dirais que les questions ont été posées.
Lesquelles en priorité?
Primo, d’où viennent les armes de pointe? Puis qui finance les opérations mafieuses, kidnappe les femmes et les hommes, les transportent…? Les chiffres faramineux sont éloquents. Et qui finance les opérations de traversée du désert subsaharien?
D’où proviennent ces armes souvent sophistiquées?
Elles proviennent d’Irak. Elles ont aussi été volées en Libye: les restes de l’armement du régime Kadhafi. Les experts connaissent très bien les origines de cet armement et donc son financement.
Qui finance alors?
Ecoutez, la question n’est pas de savoir qui, mais plutôt de savoir qui peut assécher le financement et mettre fin à ce robinet d’armes qui s’écoulent dans les différentes zones de conflit.
Interview réalisée par Mohammed Nafaa