La démission du Premier ministre libanais, Saad Hariri, jette le pays dans l’incertitude. Cette démission confirme que le Liban est devenu un nouvel enjeu de la guerre régionale entre l’Iran et l’Arabie Saoudite.
La presse s’est passionnée pour une démission surprise entourée de mystères dignes d’une série télévisée américaine.
Dans son discours choc, diffusé sur la chaîne saoudienne Al-Arabiya, Saad Hariri a imputé son retrait du pouvoir à «l’ingérence» de l’Iran dans les affaires de son pays et d’autres Etats arabes, comme la Syrie et le Yémen où la République islamique sème, selon lui, «la discorde, la dévastation et la destruction». Il a également accusé le Hezbollah, le parti-milice chiite pro-Téhéran, qui siège dans son gouvernement tout en combattant en Syrie aux côtés des forces gouvernementales, de constituer un «Etat dans l’Etat».
Il a donc accusé le Hezbollah chiite et son allié iranien de «mainmise» sur le Liban et a affirmé avoir peur d’être assassiné. M. Hariri a annoncé sa démission depuis l’Arabie saoudite, où il se trouvait et dont il est un protégé, dans un discours retransmis par la chaîne Al-Arabiya.
Mais tout n’est pas clair dans cette décision; c’est le moins que l’on puisse dire. Le pays du Cèdre s’est vite interrogé sur les circonstances de la décision du leader sunnite et sur son lien avec les purges en cours en Arabie saoudite.
Le président de la République, Michel Aoun, à qui il aurait dû présenter sa démission par écrit avant de la rendre publique, ne s’est pas entretenu avec lui depuis un bref échange téléphonique, samedi 4 novembre, peu avant sa prestation télévisée. «La situation est complètement surréaliste, on se dirait dans un thriller politique, un épisode de Jack Bauer [le héros de la série télévisée «24 heures chrono»], soupire un homme d’affaires libanais en lien avec la famille Hariri. Pour moi, c’est évident que Saad n’est pas complètement libre».
Et le journal Le Monde s’interroge: «Où est Saad Hariri? A-t-il démissionné de son plein gré? Est-il libre de rentrer à Beyrouth? Six jours après le renoncement surprise du Premier ministre libanais, annoncé à la télévision depuis Riyad, personne au pays du Cèdre, de l’homme de rue au chef de l’Etat, n’a de réponses définitives à ces questions. Les rares personnes à être parvenues à parler par téléphone au chef de file de la communauté sunnite libanaise affirment n’avoir entendu que des propos passe-partout».
Plusieurs pays se sont saisis de cette affaire sans précédent dans les annales diplomatiques. C’est ainsi que le cas a été évoqué le 9 novembre à l’ONU. «Les Nations Unies ne sont pas en mesure de vérifier si le Premier ministre Saad Hariri (…) est libre de ses mouvements en Arabie saoudite», a déclaré le porte-parole du secrétaire général de l’ONU, Stéphane Dujarric. Selon la chaîne LBC, Washington est «de plus en plus inquiet» par la tournure que prend cette affaire, qui sera soulevée aujourd’hui au département d’Etat avec le ministre saoudien des Affaires du Golfe, Thamer al-Sabhane. Entre-temps, après l’Arabie saoudite et Bahreïn, plusieurs pays du Golfe ont recommandé à leurs ressortissants au Liban de quitter le pays et ont commencé à acheminer à l’aéroport de plus grands appareils pour faire face au rush.
Pour L’Orient Le Jour, la France s’occuperait de cette énigme.
«Le président français Emmanuel Macron a effectué une visite surprise de deux heures à Riyad pour y rencontrer le prince héritier Mohammad ben Salmane et évoquer certaines questions régionales, dont celle du Liban. Le dossier de la démission-surprise de Saad Hariri, annoncée samedi 4 novembre depuis Riyad, mobilise depuis le Quai d’Orsay, comme l’indiquent les contacts intensifs qu’entreprend à Beyrouth l’ambassadeur de France, Bruno Foucher.
Avec le Premier ministre libanais, Saad Hariri, «des contacts informels ont été établis», a dit le président français avant de prendre l’avion, lors d’une conférence de presse à Dubaï où il se trouvait en voyage officiel. Interrogé sur une éventuelle demande de la part du Premier ministre démissionnaire de venir en France, il a répondu: «Aucune demande n’a été faite en ce sens». «Mon souhait est véritablement que tous les responsables politiques libanais puissent vivre librement au Liban, a poursuivi Emmanuel Macron, ce qui suppose de démilitariser une partie du Liban et d’avoir une politique exigeante et rigoureuse à l’égard de tous ceux et celles qui peuvent déstabiliser ou menacer quelque leader que ce soit».
Alors que la démission du Premier ministre libanais vient se surajouter aux tensions déjà présentes dans le Golfe, le Liban n’est-il pas le prélude d’un conflit généralisé entre l’Arabie saoudite et l’Iran, s’accusant l’un l’autre de mainmise potentielle sur le pays? C’est la question que tout le monde se pose.
Au Liban, la réalité dépasse les fictions des séries à suspense… Mais, quelle que soit la fin de cette saison, celle qui suit s’annonce bien périlleuse.
Patrice Zehr