Au Maroc, le débat autour des libertés individuelles fait rage. Les controverses sur cette question où se mêlent traditions, culture et religion, se sont accentuées sur fond de multiplication des affaires de mœurs. Et si certains estiment que le dossier des libertés individuelles constitue un tout indivisible, d’autres y voient un terrain sensible nécessitant une approche progressive.
Les défenseurs des libertés individuelles absolues sont intraitables, dans la mesure où ils estiment que les libertés humaines sont partie intégrante des droits fondamentaux de tous les citoyens, qui doivent être accordés à chaque individu et assurés par l’Etat. En partant de cette position, des adeptes du tout ou rien en matière de libertés individuelles, exigent la levée de ce qu’ils qualifient de barrières et restrictions imposées par les pouvoirs publics et qui empêchent les Marocains, surtout les femmes, de jouir de leurs droits fondamentaux et libertés premières. Notamment, en ce qui concerne le rapport qu’elles ont avec leur corps (liberté sexuelle, droits à l’avortement…).
Les adeptes du tout ou rien expliquent leur position
Dans le Royaume, tout comme dans la majorité des pays du monde, les partisans de la promotion des libertés individuelles sont légion, du moins dans les discours. Dans ce cadre, les responsables politiques et acteurs de la société civile n’ont pas assez de mots pour vanter les bienfaits de l’émancipation citoyenne. Sur le terrain, on constate que les libertés individuelles sont à l’origine d’un certain clivage de la société marocaine. Entre adeptes des libertés absolues et les adhérents de l’approche prudente dans le traitement des questions sociétales, le débat continue de faire rage et les avis de diverger.
Finalement, les argumentaires présentés de part et d’autre, méritent que l’on s’y attarde.
Du point de vue des défenseurs des libertés individuelles absolues, tous les moyens sont bons pour amener le législateur marocain à revoir les textes de loi. En particulier ceux qui se rapportent à l’avortement et aux libertés sexuelles. Au cœur des revendications des libertariens, la dépénalisation pure et dure des relations sexuelles hors-mariage, outre la légalisation inconditionnelle de l’avortement. La montée au créneau des mouvements féministes au Maroc, contre ce qu’ils qualifient de répression sexuelle dans le Royaume, a pris une nouvelle dimension, ces dernières semaines sur fond de multiplication des affaires d’atteinte aux mœurs. La plus récente étant celle impliquant la journaliste (Hajar Raissouni) proche d’un responsable du bras idéologique du PJD, le Mouvement Unicité et Réforme (MUR), son «mari» de nationalité soudanaise et un gynécologue-obstétricien. Tous trois sont accusés, chacun en ce qui le concerne, de relations sexuelles et d’avortement clandestin. Ces deux délits, rappelons-le, sont passibles, par le code pénal marocain (article 453), d’une peine de 1 à 3 mois de prison, accompagnée d’une amende allant de 2.000 à 20.000 DH. Par ailleurs, l’article 453 du Code pénal ne punit pas l’avortement, dès lors qu’il constitue une mesure nécessaire pour sauvegarder la santé de la mère et celle du fœtus. Il est d’ailleurs prévu que le projet de loi sur le Code pénal, soit revu dans plusieurs de ses dispositions. Et ce, dès la rentrée parlementaire qui s’ouvre le vendredi 11 octobre 2019. Certaines dispositions de ce Code pourraient être amendées. Reste à savoir si ces amendements vont toucher les articles se rapportant aux libertés sexuelles.
Les partisans de l’approche graduelle en font autant
Dans le cadre du débat sur les libertés individuelles qui bat son plein actuellement au Maroc, une bonne partie de la population préconise la prudence sur ce genre de sujets, rappelant les particularités culturelles et religieuses du Royaume à respecter. Dans leur argumentaire, les partisans de cette manière de procéder, soulignent que le Maroc a été pionnier en matière de promotion de l’Islam d’ouverture et du juste-milieu. Cette politique prônée par le Royaume, sous l’impulsion du Souverain, a permis au Maroc d’amorcer des changements profonds dans le domaine des libertés individuelles, sans pour autant dépasser certaines lignes rouges, en ce qui concerne notamment les libertés sexuelles. Parmi les exemples qui montrent la singularité du Maroc en matière de promotion des libertés individuelles, on peut citer l’avis favorable du Conseil supérieur des Oulémas, en 2018, qui a ouvert la voie aux femmes pour exercer les métiers d’Adouls et de prédicatrices. Pour les défenseurs de la politique graduelle dans le traitement du dossier des libertés, mieux vaut y aller mollo en consolidant les acquis actuels dans ce domaine, plutôt que de brusquer les choses, ou tomber dans l’interdit.
Faites ce que je dis et non pas ce que je fais
Le débat sur les libertés individuelles ne date pas d’hier. Plusieurs affaires d’atteinte aux mœurs ont nourri les discussions autour de ce sujet, considéré par beaucoup comme sensible. Parmi ces épisodes, celle d’un ministre PJDiste, photographié en 2018, alors qu’il se pavanait main dans la main, avec une jeune femme qui n’était à l’époque, que sa fiancée. La même année, c’est autour d’une députée du même parti islamiste, de créer un tollé après la publication de photos la montrant en tenue décontractée et sans son voile habituel. Et que dire des deux tourtereaux, cadres au MUR, pris en flagrant délit d’adultère, un beau matin d’août 2016, à côté de la plage de Mansouria? Le couple écopera de deux mois de prison avec sursis et d’une amende de 500 DH chacun. L’argumentaire selon lequel les deux amants étaient liés, au moment des faits, par un mariage coutumier (Orfi) n’a pas été retenu par la Cour. Un grand nombre d’observateurs expliquent que ces scandales ont remis sur le tapis, la question du double jeu de certains responsables et personnalités publiques, dites islamistes. Les mêmes observateurs, dont plusieurs activistes des droits de l’Homme, soulignent que ces autoproclamés défenseurs de la vertu qui s’érigent en donneurs de leçons feraient mieux de balayer devant chez eux avant de jeter la pierre aux autres.
Bien que le débat autour des libertés individuelles n’en soit pas à ses premiers balbutiements dans le Royaume, il continue toutefois de provoquer une polémique auprès du grand public. Effectivement, ce sujet a fait couler beaucoup d’encre. D’où la nécessité d’un débat profond qui viendrait trancher définitivement cette question. Aujourd’hui, les Marocains doivent être fixés sur les limites de leurs libertés et là où commence celle des autres.
Mohcine Lourhzal