Libertés individuelles : Où va le Maroc ?

On ne s’entend plus, ces dernières semaines, au Maroc, sur la question des libertés individuelles. Mais si tout le monde parle en même temps, tout le monde ne parle pas de la même chose…

Ce n’est pas la 1ère fois que le pays est mis en ébullition par un évènement en relation avec les libertés individuelles.

Cette fois-ci, cependant, il y a plusieurs affaires dans la même affaire…

Du juridique, du judiciaire, du politique, du religieux…

Un melting pot où, depuis le début de l’affaire, le choc et l’indignation se heurtent à l’embarras, aux calculs politico-politiciens et, bien sûr, aux lois !

Les féministes, les défenseurs des libertés, sont montés au créneau.

Mais les ultra-conservateurs aussi.

Et aujourd’hui, ce sont les choix du pays, en matière de libertés, qui sont pris en otage.

Y a-t-il un débat possible, aujourd’hui, au Maroc, sur la question des libertés individuelles ?

La réponse est: Non !

C’est le chef du gouvernement et chef du parti à référentiel islamiste (le PJD), Saad Eddine El Othmani, qui l’a dit cette semaine, devant ses militants du sud, à Agadir (dimanche 29 septembre).

Sur la dépénalisation de l’avortement, le chef du gouvernement a renvoyé aux décisions royales de 2015, permettant une légalisation de l’avortement sous conditions (inceste, viol, malformation grave du fœtus). «Une Commission royale  s’est déjà penchée sur la question de l’avortement et a donné ses conclusions, donc il n’est nul besoin de rouvrir le débat sur ce sujet», a-t-il tranché. 

Sur le reste des libertés individuelles réclamées par la société civile, les féministes et autres défenseurs des droits et libertés… C’est «Niet» ! Aucun débat. «Certaines parties instrumentalisent tout débat pour saper les constantes religieuses. Chose que nous n’acceptons pas», dixit le chef du Gouvernement.

En l’absence donc d’un débat national sérieux et serein, appuyé par les politiques, notamment ceux qui légifèrent, que reste-t-il ?

Une grande cacophonie. Un dialogue de sourds.

C’est ce le Maroc connaît, depuis le début de l’affaire Hajar Raïssouni… Cette affaire de la journaliste qui porte ce nom, incarcérée le 31 août dernier pour avortement illégal et relations sexuelles hors mariage et condamnée ce 30 septembre à la prison ferme, ainsi que son compagnon soudanais et le médecin qui a pratiqué l’intervention. 

Essayons de démêler l’écheveau…

Le 1er embarras

Le 1er embarras, dans cette affaire, tient à l’identité de Hajar Raïssouni. C’est une journaliste et une proche de la famille islamiste du PJD (Parti Justice et Développement, qui dirige la majorité gouvernementale actuelle au Maroc). Son oncle était le N°1 du Mouvement Unicité et Réforme (MUR), bras idéologique du PJD, avant de s’exiler dans les pays du Golfe en 2003. 

Nombreux sont ceux qui, en voulant défendre la journaliste et les libertés individuelles que son cas a soulevés, ont été désorientés par le fait qu’elle-même et sa famille politique ne défendent pas ces libertés, bien au contraire.

Désorientés encore plus par le fait que ce soit une militante de la famille islamiste s’opposant publiquement à toutes ces libertés (liberté d’avoir des relations sexuelles hors mariage, liberté de procréer hors mariage, liberté d’avorter en cas de grossesse non voulue…), qui s’autorise, elle, par contre, ces mêmes libertés.

Mais les défenseurs des libertés n’y ont vu que l’occasion de défendre la liberté d’expression d’une journaliste, si elle était visée pour son métier ou pour son appartenance politique ; et les libertés individuelles, relatives au droit de disposer librement de son corps…. Une occasion de s’attaquer aux lois liberticides.

Ces lois liberticides…

L’affaire Hajar Raïssouni a, en effet, remis sur le tapis le débat juridique sur les lois liberticides relatives aux libertés individuelles.  Il s’agit de celles pénalisant l’avortement (article 453 du code pénal) et les relations sexuelles hors mariage (article 490 du code pénal).

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En ce qui concerne la liberté d’expression, un communiqué du procureur du Roi près la Cour de rabat a tenu à préciser que l’inculpée n’était pas incarcérée pour des faits en relation avec son métier de journaliste, mais pour violation des lois portant sur l’avortement et les relations hors mariage.

Lois, qui n’agitaient pas le pays pour la 1ère fois.

Les textes sur l’avortement, en particulier, avaient mobilisé l’opinion publique, il y a 4 ans, lorsque le Professeur Chraïbi, gynécologue et grand militant de la dépénalisation de l’avortement, avait été limogé pour avoir permis un reportage, dans son hôpital, de la chaîne de télévision France 2, sur le sujet. La mobilisation avait été générale. Le Roi était intervenu, chargeant les ministres de la santé, des Habous et affaires islamiques et le Président du CNDH (Conseil national des droits de l’homme) de se pencher sur les textes concernant l’avortement. C’est ainsi qu’en 2015, un communiqué royal étendait l’autorisation d’avorter aux cas d’inceste, de viol et de malformation grave du fœtus. Une loi devait suivre. Elle est, à ce jour, bloquée au Parlement, parce que liée à la réforme du Code pénal (Projet de loi 10-16 relatif au Code pénal).

C’est dans ce même sillage (de réforme du code pénal), que la société civile réclame l’abrogation de l’article 490 qui pénalise les relations sexuelles hors mariage. Les militants demandent que les relations sexuelles entre adultes consentants soient dépénalisées.

Mais le thème des libertés individuelles étant à l’ordre du jour, chacun y est allé de sa revendication… La liste s’est allongée dans une cacophonie telle qu’il devenait illusoire de penser que quiconque entendrait la voix des défenseurs sérieux des libertés.

Quelles libertés ?

Au début, les revendications portaient sur la réforme des lois liberticides, concernant l’avortement principalement.

Puis, les griefs, dans l’affaire Hajar, ayant porté également sur les relations sexuelles hors mariage, le droit de disposer librement de son corps a aussitôt été revendiqué.

Mais l’appel aux libertés individuelles ne peut être sélectif.

La pétition lancée par les deux Marocaines, la romancière Leïla Slimani (prix Goncourt 2016) et l’écrivaine et réalisatrice Sonia Terrab, qui a été fortement médiatisée à l’étranger (avec une tribune dans le quotidien français «Le Monde») et a récolté plusieurs centaines de signatures, a poussé la barre des revendications plus haut.

Cette pétition dénonçait l’hypocrisie des lois liberticides, dont personne ne tient compte, dans la vie courante, mais qui restent une épée de Damoclès sur la tête des citoyens, pouvant leur tomber dessus, un jour…

Les déclarations faites, à cette occasion, ont englobé le droit à avoir des enfants hors mariage, le droit à l’homosexualité, le droit à la libre consommation des boissons alcoolisées, etc.

Alors qu’ils étaient interpellés sur les lois, les acteurs politiques –à quelques exceptions près- sont restés silencieux.

Le silence des politiques

Le silence des partis politiques, bien que fustigé, n’a pas été rompu. Quelques électrons libres ont donné leur avis. Certains élus, ont annoncé vouloir saisir le Parlement, dès sa réouverture pour la session d’automne. Mais, au niveau des Directions et QG des partis… Silence radio.

Et pour cause… D’abord, le parti qui dirige la Majorité gouvernementale (PJD) n’est pas de ceux qui défendraient les libertés individuelles relatives à l’avortement et aux relations sexuelles hors mariage. Ensuite, les partis sont d’ores et déjà en compétition pour les élections de 2021. Cette affaire de Hajar Raïssouni porte suffisamment préjudice à l’image des Islamistes -et donc, au PJD- pour que ce dernier n’aille pas, en plus, s’aliéner les voix des électeurs conservateurs, qu’ils estiment être majoritaires dans la société marocaine. Les autres partis, non plus, ne sont pas sûrs de gagner en pariant sur des libertés que la société rejette encore, totalement ou partiellement.

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Ils se cachent derrière la Justice qui «suit son cours».    

Le couperet de la Justice

Depuis le début, la Justice était mise sur la sellette par les défenseurs des libertés. Mais après le verdict, tombé le 30 septembre, la levée de boucliers a été générale.

Pour l’opinion publique, les juges ont eu la main lourde. Non seulement, après le scandale, il aurait suffi d’une peine avec sursis pour la journaliste et son compagnon … Mais personne n’a compris la très lourde peine dont a écopé le médecin (deux ans de prison ferme et deux ans d’interdiction d’exercer), alors que ses avocats déclaraient avoir apporté les preuves scientifiques qu’il ne s’agissait pas d’un avortement, mais d’une fausse couche… Et qu’il n’avait fait que soigner une patiente…

Il reste, bien sûr, le jugement en appel, mais un retour en arrière semble difficile.

Conclusion des défenseurs des libertés individuelles: ce n’est donc pas sur la Justice qu’il faut compter pour élargir ces libertés.

Les gardiens du dogme

S’il ne faut pas compter sur les politiques, ni sur la Justice, il faut encore moins compter sur les gardiens du dogme, institutionnels ou auto-proclamés.

Côté institutionnel, un membre du Conseil Supérieur des Oulémas (CSO) a appelé à condamner le jeune député de gauche, Omar Balafrej, pour ses positions en faveur des libertés individuelles.

Le «Âlem» a parlé en son nom personnel, mais il n’en reste pas moins un membre du CSO, seule institution autorisée par la Constitution à émettre des Fatwas…

Quoique choquant, son propos reste mesuré par rapport aux déclarations des Salafistes, qui n’ont pas manqué de monter au créneau pour agiter leur argumentaire comme on agite une mise en garde.

Alors que la pire insulte était d’être traité d’homosexuel, ils veulent aujourd’hui que nous soyons tous des homosexuels, a sournoisement résumé les libertés individuelles demandées une grande figure des Salafistes.

Ce genre de propos ne change probablement pas la réalité, mais il bloque le changement… Particulièrement avec un parti à référentiel islamiste à la tête du Gouvernement, qui craindra toujours de se voir siphonner sur sa gauche plus radicale…

Rien à espérer ?

Que faut-il en conclure ?

Si le juridique, le judiciaire, le politique et le religieux, sont sur une même position, opposée –mollement ou radicalement- aux revendications des défenseurs des libertés individuelles… Qu’y a-t-il à espérer ?

Le Maroc, sous le règne de SM Mohammed VI, a pourtant réalisé des avancées, en matière de libertés. Notamment, en ce qui concerne la femme.

La société civile n’a pas démérité.

Les modernistes sont montés au front chaque fois que nécessaire.

Certains lèvent parfois la barre des revendications un peu trop haut pour une société comme celle du Maroc (le Maroc profond, celui des campagnes, des petites villes et des quartiers populaires conservateurs)… L’objectif étant toujours de réclamer le plus pour obtenir ce que l’on peut… Et aussi, de forcer les mentalités à évoluer…

Mais une chose est sûre, ce n’est pas avec des conservateurs dominant la majorité gouvernementale et parlementaire que de plus grandes avancées seront possibles. C’est une réalité que nul ne peut nier.

BA

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