Livre

Touria Tazi

Touria Tazi vient de publier le récit d’une vie, intitulé «Une femme audacieuse». A travers ce livre, c’est le parcours de toute une vie sociale et professionnelle, celle d’une femme missionnaire.

Son histoire commence à Fès, sa ville natale, dans une maison familiale qui rassemblait la grande famille, les grands-parents, les parents, les oncles, les tantes, les enfants, les cousins… «C’était une petite maison bien agréable que l’on appelait familièrement  »Zlifa dial at-taouss » (Petit bol de porcelaine). Nous formions une grande famille et le grand-père El Aïssaoui Tazi représentait la figure tutélaire, figure de l’homme puissant à l’autorité incontestée… Il jouissait d’une certaine considération au sein de la bourgeoisie fassie ayant eu longtemps la charge de  »Dar majliss lbaladi »… En 1956, lors de la crise de Suez où Anglais, Français et Israéliens menèrent une guerre éclair contre l’Egypte de Nasser, je me rappelle nettement sa stupeur et son désarroi. De rage, ne pouvant rien faire, il se cognait la tête contre le mur et implorait Dieu. Cette image saisissante d’un homme affligé (c’était surtout les femmes qui se lamentaient) est restée gravée dans ma mémoire et a probablement influencé sur le sens de ma vie».

Il y a aussi Zhor El Alami, sa mère: «Elle était analphabète, comme l’écrasante majorité des Marocaines de son temps et pour cela ou à cause de cela, elle se fit un point d’honneur et un devoir de scolariser ses enfants en guise de revanche!». Dans cette sphère de quiétude et, de sérénité, la famille déménagea: «Avec la bénédiction du grand-père, nous fîmes nos adieux aux oncles et tantes au milieu des pleurs et des rires. J’avais alors 12 ans. Je quittai  »Zlifa dial taouss » avec regret et mélancolie. Le verger, espace de nos jeux et de nos rêves allait me manquer terriblement».
L’auteur rappelle qu’à Fès, le hammam et les terrasses étaient des hauts lieux de l’information. Déformée ou pas, vraie ou fausse, celle-ci circulait à haute vitesse de terrasse en terrasse. Et c’est au hammam que les femmes ayant des fils à marier scrutaient, palpaient le corps des adolescentes. Même des mariages se contractaient dans cette étuve.
Si la première école de la petite Touria était une école d’enseignement de l’arabe classique et du Coran, chapeautée par le parti de «la Choura et l’Istiqlal», le second établissement a été ouvert par le protectorat et dirigé par Mlle Béringué. «Je n’oublierai jamais que c’est grâce à elle que j’ai pu poursuivre mes études après le certificat d’études primaires, car elle remua ciel et terre pour obtenir l’autorisation d’ouvrir un cycle d’enseignement secondaire». C’était un grand pas à une époque où, pour les jeunes filles de 13-14 ans, l’instruction scolaire s’arrêtait au niveau du certificat, parce qu’elles devraient alors songer à préparer leur trousseau en vue d’un mariage décidé par le père. Elle quitta Fès pour Meknès via un nouvel établissement, le lycée Poeymirau qui rassemblait deux groupes distincts, dans deux mondes différents. Un groupe composé des élèves -dont la majorité était des enfants de colons- et un groupe de Marocains. Le niveau assez élevé des études obligea Touria Tazi à renoncer au lycée Poeymirau pour le pensionnat Notre-Dame, institut catholique réservé aux filles où l’enseignement était dispensé par des sœurs franciscaines jusqu’à l’obtention du baccalauréat. Décrocher ce diplôme, pour une jeune marocaine, à une époque où le pays venait à peine d’accéder à l’indépendance, était chose rare. Mais le père eut vite mis fin à ses ambitions universitaires à l’étranger. Elle se dirigea vers Casablanca où habitait le grand-père maternel pour des études d’infirmière et d’assistante sociale. «Le tout nouveau ministre de la Santé, Youssef Bel Abbas, qui présidait la remise des diplômes aux lauréates, remarqua sur la liste des inscrits de la première année la présence d’une Marocaine classée quatrième de sa promotion… Il me félicita et me demanda si je bénéficiais d’une bourse… Pas du tout! Se tournant alors vers la directrice, il lui demanda de veiller à ce que j’obtienne une bourse. L’air pincé, elle ne se gêna pas pour lui rétorquer que je ne payais rien pour l’internat (les Françaises non plus!), mais faisant mine de ne pas avoir entendu, il insista sur l’octroi de la bourse». Et c’est à Casablanca qu’elle rencontra son prince charmant lors d’un dîner familial…
A travers ce livre, Touria Tazi témoigne et raconte sa vie professionnelle, associative, partisane… et comment elle a su surmonter les obstacles toujours dans l’objectif de trouver des solutions aux exclus de la société. Mais cette énergie ne va pas plaire à tout le monde. Le ministre de tutelle décida de l’envoyer à la frontière marocco-algérienne à Jouj Bral précisément parce qu’elle était (comme son mari) une militante du Parti communiste! Représailles pour ses idées, au moment où le dispensaire fonctionnait très bien. Elle ne résista pas longtemps. Et une année de mise en disponibilité pour s’occuper de Karim, son premier fils…, avant de reprendre encore une fois le flambeau, toujours au profit de la société.
Pour mémoire, en juin 1963, elle a pris la parole à la Douma, parce qu’elle avait été désignée par son parti pour représenter les femmes marocaines en Union Soviétique, au Congrès mondial des femmes.
Le livre de Touria Tazi reprend ainsi une époque qui ignorait les désillusions, comparée à une autre où les valeurs morales s’effritent…

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Bouchra El Khadir

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