70 ans après sa création à quoi peut bien encore servir l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord ? Il s’agissait d’un engagement des USA de défendre l’Europe de la menace soviétique. Pour Washington cette menace n’existe plus vraiment et il est grand temps que l’Europe finance sa propre défense.
Il est vrai qu’en dehors d’anciens pays du pacte de Varsovie toujours sensibles au danger russe surtout depuis la Crimée, le principal danger est le terrorisme. Mais l’Otan n’a jamais combattu le terrorisme et n’y est absolument pas adapté. En 1949, lorsque le Traité de l’Alliance atlantique fut signé à Washington par les douze pays fondateurs, dont la France (la Turquie, elle, adhéra en 1952), les choses étaient simples: l’ennemi, c’était l’Union soviétique. Mais depuis la fin de la Guerre froide, l’alliance s’adapte mal, intervient sur des théâtres comme la Bosnie (1993) ou le Kosovo (1999) où, sous l’impulsion des présidents Clinton et Chirac, l’aviation alliée bombarde l’ex-Yougoslavie.
L’Otan, c’est avant tout la guerre en Europe au profit objectif de l’islam politique. De même, la France participe en 2001 aux opérations en Afghanistan, l’Américain Bush ayant activé, après les attentats du 11 septembre, le fameux article 5 du Traité prévoyant que si l’un des membres est attaqué, les autres lui prêtent assistance. Jamais l’Otan n’a été employée contre le prétendu califat. La France reproche à la Turquie membre important de l’Otan de soutenir certains terroristes et Ankara reproche la même chose à la France. Au sommet de Londres, l’Alliance transatlantique a décidé de lancer un «processus de réflexion prospective», dans le but de «renforcer la dimension politique de l’OTAN». Soit, en jargon diplomatique, une réponse à l’accusation de «mort cérébrale» formulée par Emmanuel Macron dans «The Economist». La déclaration finale de cette réunion maintient la Russie au premier rang des «menaces» auxquelles est confrontée l’OTAN, juste avant le terrorisme.
Donald Trump a été désagréable, mais il n’a pas renversé la table et ses partenaires ont appris à le gérer ; les dissensions avec la Turquie ne sont pas toutes réglées, mais Ankara a fait quelques concessions. C’est finalement un sursis qu’a gagné, mercredi 4 décembre à Watford, près de Londres, l’Alliance transatlantique, dont les leaders n’ont pas prévu de se réunir à nouveau avant 2021. Le Président français a ainsi réussi à déplacer le débat du terrain purement budgétaire et quantitatif vers le domaine politique. Rien ne dit que le groupe de «réflexion prospective» aboutira à des conclusions révolutionnaires, mais au moins les vraies questions ont-elles pu être posées à l’occasion de ce bref sommet. La vérité, c’est que Macron a raison. Ce qu’il y a d’étonnant, ce n’est pas que l’Otan soit maintenue en vie artificiellement, mais que l’Alliance ait tenu aussi longtemps. Sous bien des aspects, l’Otan est la victime de son propre succès.
En 1957, lord Ismay, le premier secrétaire général de l’organisation, avait expliqué que l’Otan avait pour vocation de «garder les Russes à l’extérieur, les Américains à l’intérieur, et les Allemands en bas». La formule a fonctionné. La remise en cause de l’utilité de l’OTAN a amené le président Trump à réaffirmer sa confiance dans l’Alliance, et surtout dans la mise en œuvre de l’article 5, qui pose le principe de la défense collective d’un allié attaqué. Quoi que vaillent aujourd’hui les engagements de M. Trump, ce type de propos de la part du Président américain, plutôt que les critiques dont il était coutumier, aura sans doute rassuré un certain nombre d’Etats européens. Mais si l’on en juge par la rhétorique et les actes mêmes de Trump, il semble qu’il ait l’intention de dire «auf Wiedersehen» à l’Alliance. Il s’est montré disposé à laisser la Turquie écraser les Kurdes, a cherché à jouer des muscles avec l’Ukraine, ne cesse de vanter ostensiblement les mérites de la Russie et condamne l’Allemagne sans relâche, autant de preuves de son mépris pour les alliés occidentaux.
En mettant en garde contre Trump, Macron a touché du doigt un problème fondamental. Le principe de base de l’Alliance, le «un pour tous et tous pour un» digne des Trois Mousquetaires, est menacé. Quand on a demandé à Macron s’il avait foi dans l’article 5 de la charte de l’Otan, qui porte sur les obligations de défense réciproques en cas d’attaque contre l’un de ses membres, il a botté en touche: «Je ne sais pas».
Chacun y a été de sa petite colère et de se satisfaction.
Le Président américain s’est vexé après la diffusion en masse sur les réseaux sociaux et tous les médias américains, d’une vidéo montrant un petit groupe discutant la veille au soir dans les salons de Buckingham palace. On y distingue clairement Justin Trudeau, mais aussi Emmanuel Macron, Boris Johnson et la princesse Anne, fille de la reine Elizabeth II. Le contenu de la conversation n’est pas clair, mais laisse supposer que le Premier ministre canadien se moque de la tendance de Donald Trump à allonger inconsidérément ses conférences de presse, au point de mettre en retard ses homologues.
L’anecdote a ponctué un sommet de l’Otan qui est allé bien au-delà d’une simple célébration morose des soixante-dix ans de son existence. La délégation française ne cachait pas sa satisfaction après la diffusion du communiqué final, validé par les vingt-neuf chefs d’Etat et de gouvernement des Etats-membres. Emmanuel Macron a obtenu gain de cause et s’est félicité d’un véritable «début de réflexion» sur la stratégie de l’Otan, alors que «les engagements de la guerre froide sont désormais dépassés», a-t-il dit lors de sa conférence de presse de fin de sommet.
Patrice Zehr