Maroua, une étudiante dont le père est commerçant et la mère femme au foyer, est l’aînée d’une famille de 3 enfants. Elle entame sa première année d’études dans un institut d’études supérieures public qui se trouve sur le campus universitaire à l’extérieur de la ville où elle habite. En début d’année, elle vivait un véritable calvaire pour se rendre sur les lieux où se déroulent ses cours, jusqu’à ce qu’elle trouve une solution, une ruine pour sa famille…
«L’an dernier, c’était ma dernière année de lycéenne. Je croyais dur comme fer que le bac, c’était le plus grand des obstacles de la vie. Je n’ai cessé de mettre toutes les chances de mon côté pour réussir mon bac scientifique. Un bac qui nécessite beaucoup de travail personnel et de nombreuses heures de cours supplémentaires au prix de restrictions extrêmes dans le budget familial.
Mon père est commerçant. Il vend du tissu et des soieries pour vêtements traditionnels. Il s’en sort, mais ses revenus ne sont pas énormes. Je m’en voulais donc et pleurais souvent de voir mon petit frère de 8 ans et ma petite sœur de 6 ans privés de sorties, de vêtements neufs, de soins médicaux et parfois même de repas complets, afin que mes cours supplémentaires puissent être payés.
Jamais des choses comme celles-là n’étaient arrivées dans notre petite famille. Même l’épicier de notre quartier, qui nous faisait crédit, était venu avec son carnet frapper à notre porte pour réclamer son dû. Le pharmacien aussi. Les cours supplémentaires et ceux des révisions de fin d’année, surtout ceux dispensés par les meilleurs profs, valent une fortune. Mon père ne m’a jamais rien refusé pour tout ce qui concerne le bon déroulement de mes études. Il séchait mes larmes et me réconfortait en me disant qu’une année de sacrifice, ce n’était rien. Pour toute ma petite famille, seule ma réussite à cet examen comptait. Je savais qu’avoir le bac était une sorte de passeport pour mes études supérieures et ma réussite prochaine sur le plan professionnel et social. J’étais donc l’espoir, mais aussi le seul souci familial du moment. Finalement, j’ai eu mon bac et j’ai pu prouver à mes parents qu’ils n’avaient pas eu tort de me faire confiance. Mais cela n’était pas fini. Quelques jours après, je devais me remettre au boulot. Me revoilà encore à préparer mes concours pour accéder aux écoles ou instituts supérieurs de mon choix qui se déroulaient quelques semaines plus tard. Et je fus admise à celui que je souhaitais le plus, un institut se trouvant dans ma ville.
Nous n’aurions jamais imaginé, mes parents et moi, que le pire des tracas à surmonter après l’étape du bac aurait été le transport. Jusque-là, pour me rendre à mon lycée, je n’ai jamais eu besoin de prendre un quelconque transport. Pour les cours supplémentaires, c’était pareil. Tous se trouvaient à proximité. Mais pour me rendre au campus, c’était différent: il fallait que je prenne deux bus. Ils sont tout le temps bondés et, très souvent, ils ne stoppent même pas à l’arrêt. Quand j’arrivais à sauter dans l’un d’eux, m’y asseoir est une chose à ne jamais espérer. En plus, on n’est jamais à l’abri de voyous qui s’y trouvent. Je n’arrivais plus à l’heure à mes cours. Pour l’administration, le problème du transport n’est pas une excuse valable et j’ai été sanctionnée pour absentéisme. Même en prenant des petits-taxis, je n’arrivais jamais à temps. Il fallait tout le temps parlementer longuement avec les conducteurs qui, d’emblée, n’étaient jamais intéressés par ma destination, même si je proposais le double du tarif. En vérité, pas besoin d’être fortiche en calcul: il était évident qu’elle leur aurait coûté beaucoup plus qu’elle ne leur aurait rapporté, cette «corsa».
Il n’y avait pas que cela! Le pire des cauchemars, c’était la sortie des cours, le soir. Ce trajet du retour est effrayant, parce que le campus est désertique, lové dans l’obscurité, pas l’ombre d’un bus et sûrement pas d’un taxi. Il fallait presser le pas, priant pour atteindre le centre-ville, sains et saufs.
Car je n’étais pas seule à vivre des péripéties de ce genre. Nous sommes des centaines d’étudiants à ne pas avoir de moyen de locomotion. Les étudiants, dont les parents sont aisés, n’ont pas de souci. Ils sont généralement attendus ou alors, ils ont carrément des voitures personnelles. Nous autres, nous devions marcher, la peur au ventre, chaque jour…
Heureusement pour moi, j’ai deux camarades de cours qui habitent dans le même coin que moi. Après avoir échangé sur nos angoisses et souffrances, nous nous sommes mis d’accord pour louer les services d’un petit-taxi qui nous accompagne et nous raccompagne. Depuis le début de l’année, il vient tous les jours nous chercher tous les trois, le matin à la même heure, au même endroit et revient nous chercher le soir, 6 jours par semaine. Il a convenu avec nous un prix forfaitaire de 1.000 dirhams chacun par mois. C’est une somme énorme, un gouffre pour mes parents, mais il n’y avait pas d’autre choix.
Ce qui m’exaspère dans cette histoire, c’est que mes parents continuent de se serrer la ceinture pour moi. Il y a aussi que mon père, qui n’est pas du tout satisfait de cette solution qu’il dit momentanée, reste trop inquiet pour mes jours d’examens et cherche à acquérir une voiture. Je sais que c’est une folie, notre petite famille ne pourra jamais s’en sortir. Savoir que ma sécurité et mes études sont au prix de privations et d’autres problèmes plus graves pour ma petite famille, c’est inadmissible. Je sais maintenant que le plus grand obstacle d’un étudiant pauvre, ce n’est pas le bac, mais le transport. Si seulement il existait un ou deux bus exclusivement universitaires, dont l’itinéraire s’arrêterait au centre-ville, quel grand service serait alors rendu à tous les étudiants et surtout à leurs familles! N’est-ce pas le rôle de l’Etat d’assurer le transport aux étudiants dont il a construit les campus loin du centre-ville? N’avons-nous que le choix entre ruiner nos familles ou risquer notre vie pour aller à nos cours? Et les élus, où sont-ils? On ne les verra donc que la veille des élections, comme d’habitude, pour les reconduire à leurs confortables sièges, assortis de rutilantes voitures ?»…
Mariem Bennani