Ma rage contre mon école

Choukry, 26 ans, coach sportif, est marié, sans enfants. Ce jeune homme ne pardonnera jamais rien à l’école. Voici son récit.

«Des enseignants à la mentalité mesquine, rigide ou nécrosée par l’appât du gain, sans conscience professionnelle et ne connaissant rien à la pédagogie, j’en ai été victime depuis ma plus tendre enfance. Je ne pardonnerai jamais ce qui m’a été infligé, j’en ai terriblement souffert. Forcément que, de tout cela, il a découlé une haine et un rejet farouche de l’école. A 15 ans, j’ai dit stop et j’ai très tôt abandonné le collège pour me consacrer exclusivement au sport. Cela m’a permis de dégager tant de rancœurs, de ne pas sombrer dans la débauche et de me fixer un objectif, celui de m’en sortir dans la vie, moi aussi. Aujourd’hui, malgré mon manque d’instruction qui me complexe, je m’en suis sorti et je gagne plutôt bien ma vie en tant que coach sportif dans ma spécialité. Je me suis marié tout récemment et je jure que tout éducateur qui tenterait de s’en prendre un jour à l’un de mes enfants, je le démonterai tout simplement. Ce n’est que piètre consolation qui ne dissoudra aucunement l’indéracinable révolte qui sommeille en moi depuis tant d’années. 

Je suis le petit dernier de la famille. Contrairement à mes aînés, je n’ai pas réussi mon cursus scolaire. J’en ai toujours voulu viscéralement à mes parents qui ont souvent été sourds à mes complaintes et ne m’ont pas protégé. Ils ont fait pire en se rangeant systématiquement du mauvais côté, alors que j’étais une victime. Par ailleurs et pour cette dernière raison, j’ai toujours eu l’impression d’être né non désiré et donc imposé.

Depuis que j’ai été en âge d’aller à l’école, je n’en ai aucun bon souvenir. Que ce soit dans le public ou dans le privé, ce fut pareil. Au départ, j’avais été placé par mes parents à la petite école publique. Ils ne m’avaient pas demandé mon avis, ils y étaient contraints et forcés. Les mensualités scolaires de mes frangins dans le privé, croissant d’année en année, engloutissaient les trois quarts du budget familial.

Je me remémore, non sans peine, avoir surpris tant de fois ma mère pleurant avec 20 dirhams dans les mains. Une somme concédée chaque jour par mon père et elle devait se débrouiller avec, pour fabriquer trois repas pour cinq personnes. L’enfant que j’étais ne comprenait pas sa tristesse et tentait de la réconforter en lui signalant qu’elle en avait de la chance d’avoir un billet. Pour moi, il s’agissait d’une fortune. Elle me regardait tendrement, ravalait ses larmes et se mettait au boulot.

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Pour ne pas parler de son incapacité à payer une troisième mensualité scolaire, mon père s’était mis à vanter les énormes avantages que représente l’école publique, cette bâtisse repoussante et austère du coin. A l’écouter, on pouvait croire qu’il s’agissait d’un miraculeux don de la Providence que de n’avoir pas besoin de se faire accompagner, ni en voiture, ni en autocar, pour s’y rendre. Honnêtement, c’était bien la seule chose qui était indiscutable. Il me suffisait de traverser une ruelle pour m’y rendre, je n’avais pas besoin de chaperon. D’autant que j’avais l’habitude de sortir tout seul pour aller à l’épicerie du coin ou pour m’amuser avec d’autres enfants. Personne n’avait osé lui rétorquer pourquoi alors j’étais le seul qui allait y aller.

Ayant grandi dans une maison de grands, il faut reconnaître que, pour mon âge, j’étais plutôt du genre à être éveillé et ne pas tenir ma langue dans ma poche. Cela faisait rire mes parents, mais pas les autres grands. C’est justement ce qui m’avait valu d’être pris en grippe une année entière par cet énorme meuble ambulant que l’on nommait «oustada». Dès la première semaine, parce que son neveu, son élève aussi, m’avait dérobé ma trousse et que je l’avais dénoncé en pleine classe, elle n’avait plus jamais pu me blairer.

Cette vraie menteuse, je l’ai vu glousser devant la direction et mes parents que j’avais inventé cette histoire de toutes pièces et que j’étais le seul enfant avec qui elle avait des problèmes. Elle avait rajouté que n’importe quel enfant dans la classe pouvait témoigner du fait que je passais mon temps à farfouiller dans les cartables des autres. Après ce qu’elle devait considérer comme une «chouha»  familiale, je connus  le plus vil des règlements de comptes de la part de cette institutrice. Me persécuter, elle le fit sciemment!

Elle n’eut de cesse de m’humilier devant toute la classe, pour ma mauvaise écriture, ma mauvaise lecture, de pas m’être mouché et d’avoir les notes les plus basses de la classe. Evidemment qu’elle savait, par expérience, que c’est à la récréation ou en dehors de l’école qu’elle se délecterait de sa vengeance. C’est bien là que mes camarades se moquaient de moi, s’égosillant à répéter en boucle à qui voulait les entendre ce qui avait été certifié en classe par l’autorité suprême, la baleine. Mutilé dans ma fierté, il était impossible de ne pas riposter avec des coups balancés aux uns et aux autres pour qu’ils se taisent. Les bagarres ne cessèrent jamais et mes parents, n’en pouvant plus d’être constamment convoqués par l’administration de l’école, finirent par se ranger du côté des monstres.

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J’avais reçu des raclées mémorables de mon père qui m’accusait d’être fautif et de ne pas être un enfant docile, à la maison déjà. Après chaque drame, tous les membres de ma famille se liguaient contre moi. Ils répétaient en chœur que ce qui m’était reproché n’était pas faux, puisque que je n’aimais guère apprendre mes leçons. Le déroulement de cette première année fut pour moi la pire et la plus exaspérante des épreuves. N’ayant pas l’appui de mes parents -et de personne d’ailleurs-, je m’étais fixé au rejet de l’école.

Les années qui suivirent, je connus d’autres scénarios avec d’autres calamités d’enseignants, que ce soit dans le public ou dans le privé. Tantôt, on me saquait pour mon look, tantôt pour mon nom de famille, tantôt même pour la profession de mon père. Aussi et plus inconcevable encore, parce qu’on devinait que je ne pouvais être un client potentiel amateur d’heures sup’. Parfois, il s’agissait aussi de mes idées. On m’accusait alors systématiquement d’insolence ou d’être un élevé perturbateur. Pareil, lorsque je quémandais des explications plus approfondies sur le cours. En tous les cas, je n’ai pas survécu longtemps à leur machinations de crados, je les ai tous plantés plus tôt que prévu. Je ne voulais plus entendre parler de quoique ce soit qui se rattache aux études. Soutenant fermement que jamais aucun prof n’avait suscité en moi la moindre envie de me pencher avec intérêt sur la matière qu’il dispensait, je fus libéré».

Mariem Bennani

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