Le voyage du Président français au Levant ne restera pas comme un événement susceptible de faire avancer le conflit israélo-palestinien.
Pour la presse française une seule chose a été retenue. C’est, bien sûr, le petit incident entre le président français et le très pressant service de sécurité israélien. On a surtout souligné l’imitation, voulue ou non, du célèbre incident impliquant le Président Chirac. Le Président Macron, qui parle un anglais très correct, comme tout le monde le sait, a voulu s’exprimer avec un accent français caricatural et à couper au couteau. Cela laisse pour le moins perplexe et c’est à vrai dire sans aucune importance. La comparaison avec Chirac a tout de même un grand intérêt. Cela permet de souligner la dérive, au fil des décennies, vers un grand flou de la diplomatie française. Paris avait une politique arabe prenant en compte le combat des Palestiniens pour un Etat, reconnaissance d’une dignité bafouée. Aujourd’hui, on ne sait plus. Ce qui est sûr, c’est que les Palestiniens n’attendent rien ou presque de la France de Macron.
Le nom du président français, lorsqu’il est prononcé à Jérusalem-Est ou en Cisjordanie, suscite peu de réactions chez les Palestiniens. Sans illusions sur leur sort immédiat, ils n’attendaient rien de particulier de sa visite à Ramallah, où il a été reçu à la Mouqata’a, le palais présidentiel de Mahmoud Abbas, le chef de l’Autorité palestinienne.
«Il n’y a pas d’attitude spécifique de l’opinion publique palestinienne à l’égard d’Emmanuel Macron, car il n’a pas été actif dans le conflit du Moyen-Orient et sur la question Israël-Palestine», estime le politologue Ghassan Khatib, vice-président de l’université de Birzeit. «Il est sans doute le président français le moins impliqué dans le conflit. Cela vaut pour lui, mais pour l’Europe en général. Ce manque d’intérêt et d’implication nous est dommageable car la prise de distance européenne laisse le champ libre aux Américains qui nous sont très hostiles et sont très partiaux envers Israël».
Dans cette approche positive de l’Etat hébreu par l’Occident, malgré une politique répressive, il y a bien sûr toujours le souvenir de la seconde guerre mondiale, constamment réactualisé. Le président français a assisté aux commémorations des 75 ans de la libération du camp nazi d’Auschwitz-Birkenau. «Vocation mémorielle». L’élément de langage a été rabâché par l’entourage d’Emmanuel Macron pour qualifier sa première visite en Israël depuis son élection, afin de désamorcer toute lecture politique. Maintes fois reportée, la venue du chef d’Etat français se fait à l’occasion du cinquième Forum de la Shoah à Jérusalem. Y ont participé une quarantaine de dirigeants et têtes couronnées occidentaux, pour les 75 ans de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau. Les commémorations, dont l’intitulé officiel est «Se souvenir de l’Holocauste, combattre l’antisémitisme», entendent aussi mobiliser la communauté internationale face à la recrudescence des actes anti-juifs en Europe et aux Etats-Unis.
La France s’accroche toujours, semble-t-il, pour la région dont on a si peu parlé, à une solution à deux Etats, un État palestinien viable aux côtés de l’État israélien, avec Jérusalem comme capitale commune. Mais la colonisation israélienne en Cisjordanie se poursuit de plus belle et rend chaque jour plus illusoire la perspective de l’existence de ce futur État palestinien. Emmanuel Macron a aussi rencontré le Président israélien Reuven Rivlin et le Premier ministre, Benyamin Netanyahou, tout comme le grand rival de ce dernier aux élections législatives, Benny Gantz. «Macron aurait sans aucun doute préféré ne pas venir pour éviter de faire un cadeau de campagne à Nétanyahu, estime le politiste Denis Charbit, de l’université ouverte d’Israël. Mais il ne pouvait pas reculer devant la symbolique de cet anniversaire…» Depuis le «mon cher Bibi» lancé au leader populiste à Paris en 2017, les relations entre Macron, un temps admirateur de la «start-up nation» israélienne et Nétanyahu, se sont refroidies. Entre l’offensive au bulldozer du duo Trump-Nétanyahu contre le consensus international et des positions irréconciliables sur le dossier iranien, sans compter la triple inculpation du Premier ministre: «Bibi» est redevenu encombrant. En témoigne le coup de pouce de Macron au général Gantz, lors des législatives d’avril. A quatre jours du scrutin, le président français avait reçu à l’Elysée Yaïr Lapid, le numéro 2 du parti de l’ex-chef d’état-major israélien.
En fait on a assisté à une visite a minima et une marginalisation des Palestiniens. «Minimum protocolaire et syndical», glisse une diplomate, au moment délicat où l’Etat hébreu oscille entre paralysie politique, à deux mois d’un troisième scrutin en un an, et fièvre annexionniste, nourrie par l’imminence du dévoilement du «deal du siècle» de Trump, censé tirer un trait sur le conflit avec les Palestiniens (Il devrait être connu quand cet article paraîtra et nous y reviendrons, bien sûr).
Voilà l’essentiel, depuis les guerres américaines et européennes en Afghanistan, en Irak, en Lybie, ou en Syrie, la cause palestinienne est devenue marginale. Or, c’est une erreur fondamentale. Car la Palestine est la cause première de l’insécurité dans la région, ou de la montée des fanatismes. Passer par pertes et profits une injustice historique, mère de toutes les injustices du monde arabe, au nom de la menace iranienne et de nouveaux désordres, c’est se condamner à ne rien résoudre dans la durée. La France et l’Europe pourraient au moins le dire, mais ne disent rien.
Patrice Zehr