Mais je voulais fêter cette fin d’année !

Driss, 32 ans, entrepreneur, est marié et sans enfant. Fêter la fin de l’année 2020, c’est le pari tenu par ce jeune époux. Voici son récit.

«Depuis ma tendre enfance, j’en pinçais déjà grave pour l’ambiance des fêtes de fin d’année. Je ne me lassais jamais d’admirer tout cet enchantement se brodant autour de ces évènements. Et cela continue encore. Vraiment célébrer Noël et la soirée du 31 décembre chaque année a toujours relevé pour moi du sacré. D’ailleurs, je n’ai jamais lésiné sur les moyens pour choisir le meilleur des programmes festif. Puisse-t-il se trouver ici ou dans un pays étranger, j’étais preneur.  

Mais en cette année de SARS-CoV2 et toutes les mesures officielles prises pour tenter de limiter sa propagation, il m’a paru évident d’oublier la virée pour célébrer la fin de l’année. Par contre, il était hors de question d’envisager de faire une croix sur la consécration d’un évènement si bienfaisant sur mon psychique. Je décidais donc de me muer en «party planner» de notre salon déjà scintillant de confettis et de paillettes.

Etant plus déterminé que jamais à ne rien céder sur ce terrain, je dressais vite une liste pour ma table de fiesta. J’obligeais dans la foulée mon épouse à nous activer immédiatement aux achats. Je voulais qu’on soit les premiers à se servir dans les étalages nouvellement ravitaillés pour la saison. Mais, je m’étais mis le doigt dans l’œil d’avoir cru un instant être le seul à y avoir pensé. A trois semaines d’intervalle, qui l’aurait cru! Et pourtant, il y avait d’ores et déjà foule, sans compter le comportement très contrariant de certains!

Ainsi, pendant que mon épouse s’occupait du contenu de sa moitié de liste, je remarquais de loin le nombre de fois où elle avait été bousculée. Il y en avait qui carrément ne se gênaient pas pour se servir dans son chariot. Pire encore, deux fois de suite, on lui avait arraché ce qu’elle s’apprêtait à saisir. Et puis quoi encore? Je jure que ce n’est pas ma nature sur le qui-vive, comme elle l’a sous-entendu, qui m’a sorti de mes gongs. J’ai plutôt entrevu un manque de civisme décuplé en puissance.

Il y avait eu aussi cette espèce d’abruti sur qui je m’étais jeté pour lui faire la peau. Un lion sur sa proie n’aurait pas mieux fait. Je n’avais pas pu rester Zen en le voyant se coller au train de mon épouse de rayon en rayon. A mon grand étonnement après avoir déboulonné ce voyou qui n’avait pas demandé son reste, c’est madame qui a vu rouge. Elle m’en voulait à mort de l’avoir ridiculisée en agissant de la sorte. Pas le moins du monde d’accord, j’évitais toutefois comme la peste de la contredire. Clairement, le sale caractère de ma femme était bien capable de me condamner à passer les fêtes seul.

Alors, je tentais de la cajoler pour qu’elle oublie totalement l’incident et qu’elle se focalise sur nos emplettes. Tout roulait parfaitement jusqu’à ce que débarque au rayon boucherie avec à mes côtés une dame hurlant au téléphone. Tous nous étions obligés de l’écouter pester contre le coronavirus et son fils réfractaire au port du masque. Sans calculer les gens faisant la file, ni moi devant, tout en continuant sa parlotte, la voilà hélant d’un geste le bougre de service pour l’amener vers elle. Ma révolte pour remettre les pendules à l’heure fut magistrale. J’eus pour bizarre réplique un toisement noir du regard et qu’on me tourne les talons dédaigneusement.

Le comble du comble c’est à la caisse qu’il s’était déroulé. Pendant que nous attendions notre tour, une jeune femme avec une poussette s’était dirigée directement vers nous pour nous demander où se trouvait le chef de rayon. Fatigué d’être piqué à tout bout de champ, je lui ai répondu d’aller se faire pendre et que rien chez nous n’indiquait que nous étions des employés du magasin. Sans oublier de rajouter, qu’elle manquait d’éducation en ne commençant pas par user des codes de politesse pour solliciter de l’aide. Houlà alors la sortie de griffes de l’idiote vaniteuse!

Allez savoir si ces désobligeantes attitudes ne sont pas liées au lourd poids de la liberté garrottée, ou à la phobie de l’infime négligence de protection du virus qui mène à la tombe. En tous les cas, je n’admettrai jamais en être victime, ou devoir culpabiliser, ou m’excuser pour avoir résisté assez violemment. Blague à part, les déboires avec ce corona virus, j’ai de quoi en faire plusieurs films. Quant à ce jour de course, mon drame a été de le voir partir en cacahuètes.

Mon épouse exaspérée par mes altercations à la chaine, avait fini par ne plus se contenir. Elle me reprochait haut et fort mon manque de retenue ainsi que mon insupportable tendance à vouloir corriger les tares des autres. Evidemment, je contrattaquais pour me défendre. Le champion en pingpong des mots que je suis s’est vu largué à la barrière avec ses chariots mais sans aucun sou en poche. C’est comme ça que nous sommes sortis de cette grande surface non seulement bredouilles, mais aussi chacun de son côté.

Le plus marrant c’est que je ne rageais pas contre le fait de me taper des kilomètres à pied pour rentrer à la maison. Avec ma femme, c’était devenu une habitude. Je pleurais surtout de devoir me farcir tout seul la quête des cotillons assortis aux bougies, des boissons, du chocolat, du fromage, des fruits exotiques, du caviar, du pâté, des marrons, du gigot, des champignons, des endives, et même des choux de Bruxelles. Mais qu’on se rassure, je ne me suis pas dégonflé pour autant. Parce que même en pyjama, je compte bien danser, chanter et aux douze coups de minuit, embrasser ma femme tout en effrayant l’ennemi coronavirus avec des feux de Bengale.»

Mariem Bennani

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