Qui n’a pas été «scotché» par le Discours royal de ce 6 novembre 2018, prononcé à l’occasion du 43ème anniversaire de la «Marche Verte»?
Un Discours où SM Mohammed VI a pris tout le monde par surprise en s’adressant directement à l’Algérie pour lui faire une proposition historique: oser la paix…
Ce n’est, certes, pas la 1ère fois que le Roi fait une offre de rapprochement à Alger, comme il l’a lui-même rappelé («Dieu m’est témoin que depuis mon accession au Trône, j’ai appelé avec sincérité et bonne foi à l’ouverture des frontières entre les deux pays, à la normalisation des relations maroco-algériennes», a dit le souverain)…
Mais la proposition de ce 6 novembre est inédite et appelle l’attention sur plusieurs de ses aspects.
L’approche est exceptionnelle (le Roi s’adresse à l’Algérie en ouverture du Discours, sans autre introduction), l’intention claire et le propos bienveillant («C’est en toute clarté et en toute responsabilité que je déclare aujourd’hui la disposition du
Maroc au dialogue direct et franc avec l’Algérie soeur, afin que soient dépassés les différends conjoncturels et objectifs qui entravent le développement de nos relations»)…
Pour autant, le Roi ne s’arrête pas au voeu pieu. Il suggère un cadre pour que cette proposition puisse être mise en oeuvre, concrètement. «Je propose à nos frères en Algérie la création d’un mécanisme politique conjoint de dialogue et de concertation». Proposition toute en élégance… Pas de formule toute prête pour ce mécanisme. Tout est à décider ensemble. «Le niveau de représentation au sein de cette structure, son format, sa nature sont à convenir d’un commun accord. Le Maroc est ouvert à d’éventuelles propositions et initiatives émanant de l’Algérie pour désamorcer le blocage dans lequel se trouvent les relations entre les deux pays voisins frères», explicite SM Mohammed VI.
Une commission commune maroco-algérienne avait déjà été mise sur pieds, il y a 30 ans, pour tenter de résoudre le problème des frontières… Mais sans succès… Rien à voir avec le mécanisme proposé aujourd’hui, qui ne se limitera pas à tel ou tel problème (frontières, Sahara…). C’est de l’ensemble des relations bilatérales qu’il est question. D’où la précision du Roi: «En vertu de son mandat, ce mécanisme devra s’engager à examiner toutes les questions bilatérales, avec franchise, objectivité, sincérité et bonne foi, sans conditions ni exceptions, selon un agenda ouvert».
Le Roi du Maroc qui, dans un geste fort, se dit prêt à balayer plus de 4 décennies d’hostilité du voisin de l’Est et de guerre qui ne dit pas son nom, laisse de côté la rancune et n’évoque que les perspectives de coopération qui pourraient s’ouvrir aux deux pays voisins, mais aussi à toute la région. Ainsi, parlant du mécanisme, il braque la lumière sur ces perspectives: «le mécanisme pourra constituer le cadre pratique d’une coopération, centrée sur les différentes questions bilatérales, notamment celle qui a trait à la valorisation des opportunités et des potentiels de développement que recèle la région du Maghreb. Son rôle sera aussi de contribuer au renforcement de la concertation et de la coordination bilatérales pour permettre de relever efficacement les défis régionaux et internationaux, notamment ceux qui sont liés à la lutte anti-terroriste et à la problématique migratoire».
Dernier point: cette offre royale à l’Algérie a d’autant plus de force et de crédibilité qu’elle n’est faite sous aucune pression.
Le Maroc n’est pas en position de faiblesse, ni à l’ONU, ni sur la scène internationale en général. Mais le Roi du Maroc souligne une anomalie évidente: «l’intérêt de nos peuples réside dans leur unité, leur complémentarité, leur intégration ; et nul besoin qu’une tierce partie joue, entre nous, les intercesseurs ou les médiateurs».
C’est en effet ce que de nombreux Marocains pensent…
Pourquoi a-t-on besoin que des Etats tiers se mêlent de nos différends, qu’ils nous obligent à des règles de concertation et qu’ils décident de ce que nous devons faire sous peine de sanctions ? Cela se fait-il avec les grandes puissances?
Non, assurément. Ni avec la Chine, ni avec la Russie, ni avec d’autres Etats forts, malgré parfois leurs violations du droit international…
Reste maintenant à savoir si Alger saisira la main tendue ?
Y aura-t-il une réponse à la proposition du Maroc ? La question est de savoir qui décide là-bas ? Notamment en cette période pré-électorale que l’on dit traversée par des luttes politiques internes. Tout ce que l’on peut supposer, s’il n’y a pas de réponse concrète de la partie algérienne d’ici-là, c’est qu’à la rencontre de Genève, les 5 et 6 décembre prochains, sous la supervision de Horst Kohler, le climat pourrait être moins enclin aux hostilités.
Bahia Amrani