Maroc-Espagne | La montée au créneau des pêcheurs marocains

Le secteur de la pêche va-t-il essuyer les foudres de la crise Maroc-Espagne? Près de deux ans après la mise en vigueur de l’accord de pêche conclu entre le royaume et l’Union européenne (UE), les pêcheurs marocains haussent le ton et demandent aux autorités marocaines de ne pas reconduire l’accord. Un lobby marocain de la pêche se prépare déjà pour bloquer les prochaines négociations.

Va-t-on vers un nouveau conflit ouvert sur la pêche avec notre voisin du nord? Alors que la crise entre Madrid et Rabat bat son plein à cause de l’affaire «Brahim Ghali», les pêcheurs marocains montent au créneau cette semaine pour dénoncer le non respect de l’accord de pêche Maroc-UE par les pêcheurs espagnols. Les patrouilleurs de la marine royale doivent surveiller la situation, insistent nos pêcheurs mécontents depuis plusieurs semaines.

L’entrée en vigueur de l’accord  de pêche en juillet 2019, poursuivent-ils, a permis à une centaine de navires espagnols de pêcher dans les eaux marocaines, dans des conditions de pêche favorables aux marins ibériques. Au terme de la première année de la mise en application dudit protocole, ceux-là devaient débarquer 25% de leurs captures dans les eaux marocaines, rappellent nos pêcheurs. Or, disent-ils, après deux ans de la mise en vigueur de l’accord, les débarquements n’ont pas encore atteint ce pourcentage tel que fixé par le contrat ratifié par le Maroc et l’Union, en janvier 2019 et qui s’étale sur une période de quatre ans.

Dans un entretien téléphonique, Larbi Mhidi, président de la Confédération nationale de la pêche côtière (CNPC) ne mâche pas ses mots. Il accuse les pêcheurs espagnols de vouloir «pêcher dans les eaux marocaines sans respecter les termes de l’accord Maroc-UE, tandis que les armateurs marocains, eux, sont soumis à toutes sortes de conditions pour pouvoir pêcher dans leurs « eaux »». A titre d’exemple, «pour pouvoir accéder aux eaux poissonneuses de Boujdour, nous devons réaliser des investissements à terre dans cette région», argumente Larbi Mhidi.

Ce dernier affirme que les stocks de poissons marocains pourraient s’épuiser si les bateaux européens continuent de pêcher dans les eaux marocaines. «La situation étant très critique en ce qui concerne les réserves halieutiques et ce depuis plusieurs mois, en témoigne d’ailleurs certains armateurs qui gardent leurs bateaux amarrés sur les quais de certains ports», assure le président de la CNPC qui «ne veut rien savoir». «Nos stocks ne permettent plus qu’un nouvel accord soit conclu avec l’Union européenne», prévient ce professionnel de la pêche côtière, assurant que «Le secteur marocain de la pêche passe actuellement par des moments très difficiles à cause de la baisse de la ressource. C’est vraiment grave». «Je souhaite, poursuit-il, que le prochain gouvernement revienne sur la décision de continuer à renouveler l’accord de pêche avec l’UE». Car, selon lui, «d’ici quelques années –si on ne fait rien- on n’aura plus de poisson dans nos eaux».

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Un lobby marocain se prépare déjà…

A la CNPC, la tension se fait en tout cas de plus en plus vive autour de ce sujet, considéré par les professionnels comme un test pour le gouvernement marocain de préserver les ressources halieutiques. La situation est d’autant plus alarmante que les pêcheurs européens ne respectent pas toujours les accords de pêche avec le royaume, soutiennent nos professionnels dans cette confédération.

Ces derniers ont déclaré que les autorités marocaines doivent «comprendre que les pêcheurs marocains ont besoin de travailler». Mais, disent-ils, «avec le déclin des réserves et la présence massive des bateaux européens, cela n’est pas faisable».

A mi-chemin de l’accord de pêche Maroc-UE, pêcheurs et armateurs marocains s’impatientent de voir les bateaux européens (plus de 110 dont 92 navires espagnols) quitter les eaux marocaines, soufflent nos professionnels qui ne décolèrent pas.

Ils confient à Le Reporter qu’un lobby marocain se prépare déjà pour bloquer les négociations concernant le prochain accord de pêche. «Nous comptons passer à la vitesse supérieure. En dernier ressort, si notre gouvernement refuse de nous entendre, nous envisageons plusieurs actions pour faire comprendre à nos responsables que la situation de nos eaux poissonneuse est grave», préviennent nos professionnels.

La profession, disent-ils, pourrait aller jusqu’à déposer «une plainte judiciaire» au sujet de «cette diminution drastique» des réserves halieutiques si le prochain gouvernement compte reconduire l’accord de pêche Maroc-UE. On apprend aussi qu’une enquête devrait être diligentée sur la diminution des réserves marocaines.

Du côté de la Fédération des chambres des pêches maritimes (FCPM), la colère gronde aussi, même si son président Mohamed Oumouloud préfère temporiser. «Ce dossier de la pêche doit être traité autrement dans l’avenir. Désormais, c’est en présence des professionnels que ça doit se discuter», précise-t-il. Car, dit-il, le protocole de pêche tel qu’il est actuellement «n’a pas été concerté, épluché, ni notifié, auparavant avec les pêcheurs marocains, dans le cadre de l’accord de pêche Maroc-UE», explique le président de la FCPM, lequel évoque également une pénurie au niveau des stocks.

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Cet inconditionnel de la mer a par ailleurs pointé les pêcheurs espagnols. «Nous avons le regret d’apprendre que les bateaux de pêche espagnols n’ont pas respecté les termes de l’accord conclu entre le Maroc et l’Union européenne», a-t-il dit. «L’urgence impose une accélération des efforts pour surveiller la flotte européenne dans nos eaux», a-t-il dit. Normalement, précise-t-il, toute la pêche des bateaux européens doit être débarquée au Maroc. Mais, poursuit-il, «étant donné qu’il n’y a pas beaucoup de surveillance, les bateaux européens en profitent et c’est rare que leur capture soit débarquée chez nous».

Un point de vue que partagent également les professionnels de la pêche artisanale. Le président de l’Association des propriétaires des barques de la pêche artisanale, Moulay Hassan Talbi, pour ne citer que lui, n’y va pas par quatre chemins. Il demande aux autorités marocaines d’agir «fermement» pour garantir la pleine application du protocole conclu avec l’UE.

«Si renouvellement il devait y avoir dans le futur, c’est à terre que ça doit se discuter. Surtout que nos ressources halieutiques ont beaucoup diminué. Le gouvernement marocain doit en tenir compte lors des prochaines discussions», renchérit Moulay Hassan Talbi. Les conséquences redoutées par ce professionnel de Dakhla seront encore plus graves si les espagnoles continuent à pêcher dans les eaux marocaines, insiste-t-il.

Le secteur de la pêche va-t-il essuyer les foudres de la crise Maroc-Espagne? Ce secteur subirait-il les contrecoups de l’affaire «Brahim Ghali», du Polisario qui s’était présenté, fin avril dernier, dans un hôpital de Logroño, au Nord de l’Espagne, sous une fausse identité et avec un médecin algérien, vraisemblablement décédé depuis les années 2000? Les relations bilatérales entre les deux pays, en dents de scie depuis le début de «Brahim Ghali Gate» sont en tout cas entrées dans une ère glaciaire. Et elles pourraient désormais tomber dans les «abysses», prévenaient cette semaine nos professionnels de la pêche.

En Espagne, certaines déclarations laissent penser que Madrid souhaite tourner la page de la crise avec le Maroc. Mais la colère de nos pêcheurs marocains, elle, ne semble pas baisser pour autant.

Naîma Cherii

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