Le ministre des Affaires étrangères du Maroc, Salaheddine Mezouar n’ira pas en France, vendredi 23 janvier, comme annoncé quelques jours plus tôt.
Le report de la visite a été confirmé.
Un report sine die ?
Les récents attentats terroristes en France mettent la France et le Maroc dans l’obligation de ramener leur coopération en matière sécuritaire, judiciaire et de renseignement, à ce qu’elle était avant la brouille. Voire de l’améliorer.
Pourtant, l’heure ne semble pas encore avoir sonné pour cela.
Pour prendre un nouveau départ, il faut un solde de tous comptes pour le passé et une immunité pour l’avenir…
Immunité générale des relations franco-marocaines.
Ce qui est loin d’être évident…
Allant de surprise en surprise, les relations Maroc-France commencent à ressembler à ces séries télévisées connues pour leurs interminables rebondissements.
D’abord, on croit les deux pays fâchés. C’est le cas depuis une année. Et puis, les attentats de Paris ont lieu. Le chef de la diplomatie marocaine, Salaheddine Mezouar se rend en France. On suppose que la réconciliation est proche. Il présente les condoléances à l’Elysée, mais ne participe pas à la marche de Paris à laquelle prennent part de très nombreux pays (motif: la présence de caricatures du Prophète dans les défilés). On se dit que la réconciliation n’est pas pour tout de suite. Mais le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, annonce au Sénat qu’il compte se rendre au Maroc. On pense alors que la réconciliation est malgré tout en marche.
Et voilà qu’aux obsèques de Tignous, dessinateur de Charlie Hebdo, la garde des sceaux, Christiane Taubira, critique la liberté d’expression au Maroc, mettant directement en cause le Roi. On imagine que, cette fois-ci, le temps de la réconciliation s’est bel et bien éloigné. Or… Surprise… Salaheddine Mezouar annonce qu’il s’envolera pour Paris le vendredi 23 janvier. Le Quai d’Orsay confirme et ajoute que le déplacement de Laurent Fabius au Maroc est toujours à l’ordre du jour. Là, c’est indiscutable, la réconciliation semble à portée de main ! Hé non, pas si vite, mercredi 21 janvier, coup de théâtre, la visite de Mezouar est reportée. Côté marocain, aucune annonce. Côté français, le Quai d’Orsay indique, formule laconique de son porte-parole Romain Nadal: «M. Mezouar est le bienvenu en France. Nous travaillons à identifier avec les autorités marocaines une nouvelle date pour cette visite».
La veille, une dépêche de l’agence Reuters faisait savoir que le Maroc conditionnait la réconciliation avec la France à la mise en place d’une immunité, sur le sol français, pour tous les responsables marocains. Affirmation aussitôt démentie dans les colonnes du «Figaro» par l’ambassadeur du Maroc en France, Chakib Benmoussa… Tandis qu’au Maroc, était entamée en grande pompe une visite officielle du Président ivoirien Alassane Ouatara, accompagné de son épouse et d’une très importante délégation de ministres et hommes d’affaires.
Qu’était-il arrivé pour que la visite de Salaheddine Mezouar soit ainsi reportée ?
Tous les observateurs avaient braqué les projecteurs sur les relations maroco-françaises… Sous l’angle de la réconciliation qui, croyaient-ils, se profilait enfin.
Le coup de théâtre du mercredi 21 janvier pousse à considérer le serpent de mer qu’est devenue cette réconciliation sous un autre angle de vue, tant les questions qui se posent sont nombreuses.
Supputations autour du report
Il est vrai que les supputations foisonnent. Face à l’absence d’informations, l’imagination est fertile.
Les premières explications avancées par les observateurs se sont appuyées sur les faits les plus récents. A savoir la dépêche de Reuters qui affirmait que les négociations maroco-françaises devaient porter sur l’immunité des responsables marocains, lors de leurs éventuels séjours en France.
Dès l’annonce du report de la visite de S. Mezouar en France, il était donc normal d’y voir un échec de ces présumées négociations.
De même qu’il était normal d’y voir les conséquences d’un bras de fer, soit maroco-français, soit franco-français (entre ceux, en France, qui sont pour la reprise avec le Maroc et ceux qui sont contre).
Mais si, pour ceux-là, la question de l’immunité des officiels marocains en France et, plus généralement, la «question judiciaire», est la cause de la discorde, pour d’autres, il n’y a pas que cela.
Selon ces autres observateurs, le bras de fer se joue également autour de la tutelle tout court… La France serait contrariée par la politique de plus en plus offensive du Maroc en direction des pays d’Afrique subsaharienne (durant la même semaine, participation appuyée du Maroc au FEBAC 2015 du Mali et accueil grandiose du Président de la Côte d’Ivoire à Marrakech). De même qu’elle serait contrariée par la coopération de plus en plus étroite entre le Maroc et l’Espagne. Ce qui la pousserait à durcir sa position.
D’autres hypothèses circulent, les unes farfelues, les autres se voulant plus sérieuses… Le fait est que les relations maroco-françaises intéressent une opinion publique qui déborde les seuls cadres de la France et du Maroc.
Et pourtant, l’alliance sécuritaire…
Au-delà des supputations, les questions qui se posent aux observateurs sont claires autant que logiques. Pourquoi ce report ? Quelles raisons font que le Maroc et la France, qui ont tout intérêt à coopérer dans le domaine du renseignement, aujourd’hui central dans la lutte contre le terrorisme –et qui l’avaient si bien fait dans le passé- continuent de retarder la reprise de cette coopération ?
Au moment où de nombreux pays sollicitent le Maroc, dans ce domaine où son expertise est reconnue, son plus ancien allié renoncerait à cette coopération ? L’opinion publique marocaine a découvert, avec consternation, que le tueur de l’hyper casher, Amedy Coulibaly, avait séjourné quelques fois au Maroc entre 2009 et 2014, avec un dernier séjour du 30 mai au 4 juin dernier. Qu’est-il venu faire au Maroc ? Qui a-t-il vu ? Où résidait-il ? Une enquête a-t-elle été ouverte ? Quelles réponses ? N’y a-t-il pas urgence à ce que la France et le Maroc joignent vite leurs efforts pour faire barrage aux milliers d’extrémistes d’origine française et marocaine qui ont fait allégeance à Daech ou à Al Qaïda ?
Ces relations ombrageuses où s’enlisent le Maroc et la France ne sont dans l’intérêt ni de l’un, ni de l’autre.
Or, raisonner sur le mode de «qui y perdra le plus» ne résoudra pas le problème. De nombreuses voix en France l’ont exprimé en d’autres termes (Charles Pasqua, Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, ou encore, l’ancien directeur central du renseignement intérieur, Bernard Squarcini). En ces temps de menaces graves, ce qu’il faudrait aux deux pays, ce serait de s’employer à garantir l’immunité à leurs relations bilatérales autrefois exemplaires et si enviées.
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