Maroc : Guéguerres partisanes et arbitrage royal

Roi du maroc 2015

En adressant un mémorandum au Roi, pour se plaindre du chef de gouvernement, l’opposition a créé l’événement, certes, mais la démarche lui a-t-elle été favorable ?

Jeudi 26 mars, les 4 partis de l’opposition –USFP, Istiqlal, PAM, UC- qui ont depuis longtemps décidé de faire front commun, ont fait parvenir à SM Mohammed VI un mémorandum s’y plaignant du chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane (voir l’intégralité du mémorandum plus loin).
Les chefs d’accusation peuvent se résumer en deux points essentiels. Un: Abdelilah Benkirane impliquerait «l’institution Royale dans les rivalités politiques entre les partis» en faisant «des déclarations contraires à la Constitution». Deux: il prétendrait «être à la tête d’un parti, seul à mener des réformes (…) et que les autres partis, particulièrement ceux ne participant pas au gouvernement, s’emploient à entraver l’action de l’Exécutif qu’il dirige et tentent de le destituer en usant de méthodes illégales».
A plusieurs reprises, dans le mémorandum, les partis de l’opposition soulignent que ceci a lieu «à l’approche des échéances électorales».
L’initiative en elle-même a créé une effervescence politique.

Mais le fait que 24h plus tard (à peine), l’Opposition ait été reçue par deux Conseillers du Roi –Fouad Ali Al Himma et Abdellatif Mennouni- et que l’USFP ait publié le mémorandum, alors que son chef de file, Driss Lachgar donnait une conférence de presse à ce sujet, a largement exacerbé l’effervescence, la poussant à son paroxysme.
Il n’était plus question que de cela, dans tous les milieux politico-médiatiques, en marge de toutes les conférences et rencontres et, bien sûr, dans tous les salons.
Que se disait-il ?

Mêler le Roi…

La question qui a le plus suscité la polémique, c’est le fait même que l’Opposition recoure à l’arbitrage royal.
Certains avaient pour cela des arguments politiques, d’autres, des arguments juridiques.
Sur le plan politique, il a été reproché à l’Opposition de se plaindre aujourd’hui de ce que certains de ses membres faisaient hier, allusion au PAM qui a été longtemps accusé de se prévaloir du Roi pour gagner des parts sur l’échiquier politique. Il a également été reproché à d’autres membres d’avoir renié leurs positions antérieures. Ici, le tir groupé des critiques mitraillait l’USFP à laquelle il était rappelé ses positions récentes où ce parti réclamait une monarchie parlementaire au Maroc, c’est-à-dire une monarchie où le Roi règnerait mais ne gouvernerait pas. «Et maintenant, ils demandent au Roi de se mêler de guéguerres électorales?», répétaient les détracteurs.
Sur le plan juridique, les débats ont porté sur l’interprétation de l’article 42 de la Constitution (Voir cet article en encadré). Si, dans le mémorandum, l’Opposition s’est appuyée, pour sa demande d’arbitrage royal, sur cet article –dès le 1er paragraphe- pour les détracteurs, l’article 42 ne prévoit pas ce cas d’arbitrage, la coalition des partis d’opposition n’étant pas considérée comme une «institution».

Chef de parti, chef de gouvernement ?

Quant au reproche que fait l’opposition à Abdelilah Benkirane, dans ce mémorandum, selon lequel il se servirait de son statut de chef de gouvernement pour favoriser son parti, cela a interloqué tous les constitutionnalistes. Dans les démocraties classiques, tout chef de gouvernement l’est parce que son parti est arrivé en tête des élections et il est tout à fait normal que le chef du parti majoritaire dirige le gouvernement en en faisant bénéficier d’abord son propre parti. Certains détracteurs sont allés plus loin, riant de ce que l’Opposition se plaigne que la majorité ne la consulte pas… Il est vrai qu’au Maroc, on a l’habitude de recourir au «consensus national» et que, dans une démocratie en construction comme celle du Royaume, les efforts de toutes les forces vives sont sollicités (pour les lois électorales, Majorité et Opposition sont autour d’une même table, par exemple). Mais de là à exiger que le chef de gouvernement consulte systématiquement l’opposition… Aux yeux des juristes, les choses sont claires, aucune règle de droit constitutionnel ne l’impose. Dans ces débats, il est en général souvent reproché à l’Opposition d’avoir une approche approximative du droit constitutionnel.

Le PJD ? Soyons démocrates !

Campagne électorale permanente

Ce qui n’a également pas été compris par l’opinion publique, c’est le reproche que fait l’opposition au PJD et à sa tête A. Benkirane de mener une campagne électorale. Un parti n’est-il pas tenu de mener campagne auprès de ses électeurs, que ce soit à l’approche d’élections ou non ? Le PJD avait décidé –son jeune ministre, Mustapha Khalfi, l’avait d’ailleurs annoncé dès le début- qu’il s’inspirerait du modèle américain, en menant une campagne permanente «permanent campaign». Au lieu de le lui reprocher que l’Opposition n’en fait-elle pas autant ? Ce serait de bonne guerre. C’est même la règle sous d’autres cieux où la démocratie est installée depuis plus longtemps qu’ici.

Quelles conséquences pour l’Opposition ?

Driss Lachgar ayant semblé prendre la tête de cette initiative, c’est sur lui que la plupart des critiques s’est abattue. Mais l’Opposition, dans son ensemble, est fustigée. «Ils mettent le Roi dans l’embarras. Qu’est-ce qu’ils attendent du Souverain ? Qu’il apporte son soutien à un camp contre l’autre ? Si Benkirane a enfreint la loi, ils n’ont qu’à l’attaquer en justice, sinon, il n’y a rien à demander au Roi dans une compétition politique. Ils ne se rendent pas compte qu’au lieu d’enfoncer Benkirane et le PJD, ils rendent service à ce parti et à son chef. Parce que les Marocains ont l’impression qu’ils se liguent tous contre le chef de gouvernement et qu’en plus ils sont tellement faibles qu’ils demandent le secours du Roi. Ils sont nuls !», fulmine cet homme politique, ancien militant de l’USFP et scissionniste de ce parti.
Rares sont ceux qui ont applaudi cette initiative de l’Opposition. Même ceux qui veulent également en découdre avec le PJD et A. Benkirane en concluent que c’est leur rendre service que de mener une telle opération contre eux et que cela manque clairement d’intelligence. Notamment… A l’approche d’échéances électorales.

La Chambre des Conseillers participe à une mission d’observation des élections présidentielles américaines

Et l’électeur, dans tout cela ?

Car, en effet, à l’approche d’échéances électorales, il était attendu de l’Opposition qu’elle se soucie davantage de sa base.
«L’arbitrage final, c’est l’électeur qui le fait, en votant pour ou contre… Or, l’Opposition continue de penser que ce qu’il lui faut, c’est l’appui d’en haut. Elle n’arrive pas à comprendre que le plus important, c’est d’aller à la conquête des voix. C’est là que ça se joue. Si elle conquiert l’électorat, elle remportera les élections et sa voix sera entendue en haut comme en bas. Mais en dédaignant l’électorat, elle donne l’impression de n’avoir rien compris aux dernières évolutions du pays, de continuer de croire au bon vieux temps, où il suffisait d’être bien avec le ministère de l’Intérieur pour être assuré d’un siège au Parlement. Aujourd’hui, il faut gagner ce siège aux urnes. Et c’est l’électeur qui décide», commente –narquois- un élu de la majorité.
A une poignée de mois des élections, l’Opposition aura-t-elle retenu la leçon ?

BA

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Article 42 de la Constitution de juillet 2011


Le Roi, Chef de l’Etat, son Représentant suprême, Symbole de l’unité de la Nation, Garant de la pérennité et de la continuité de l’Etat et Arbitre suprême entre ses institutions, veille au respect de la Constitution, au bon fonctionnement des institutions constitutionnelles, à la protection du choix démocratique et des droits et libertés des citoyennes et des citoyens, et des collectivités, et au respect des engagements internationaux du Royaume. Il est le Garant de l’indépendance du Royaume et de son intégrité territoriale dans ses frontières authentiques.
Le Roi remplit ces missions au moyen de pouvoirs qui lui sont expressément dévolus par la présente Constitution et qu’il exerce par dahir. Les dahirs, à l’exception de ceux prévus aux articles 41, 44 (2ème alinéa), 47 (1eret 6èmealinéas), 51, 57, 59, 130 (1eralinéa) et 174sont contresignés par le Chef du Gouvernement.

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La majorité… Silence radio !


Laenser mezouar benkirane benabdellah chefs partis majorite maroc 2015



Ce qui a contrasté avec tout le tohu-bohu soulevé par le mémorandum de l’Opposition adressé au Roi, c’est le silence de la Majorité.
Certes, le mémorandum a pour objet une plainte contre le chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, en particulier et non contre toute la majorité.
Mais ni A. Benkirane, ni son parti, le PJD, ni les autres partis de la majorité –RNI, MP, PPS- n’ont fait de commentaires à ce sujet.
Walou. Silence radio !
Seul, un quotidien arabophone indépendant, Al Ahdath Al Maghribiya, dans son édition du 8 avril, a rapporté que les Conseillers du Roi, Fouad Ali El Himma et Abdellatif Mennouni, après avoir reçu les chefs des partis de l’opposition, sont allés chez le Chef de gouvernement (dans son domicile), pour l’informer du contenu du mémorandum. Personne n’en saura davantage… Du moins, publiquement.
Une stratégie du silence, choisie par Benkirane, qui lui sera sûrement plus profitable que le grand déballage de Driss Lachgar…

BA

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