D’habitude, elles se taisent, parce que c’est une tare et une «hchouma» d’être une femme seule, avec enfants. Aujourd’hui, elles racontent -non sans peine- leur combat, leur vie «gâchée».
Elles n’auraient jamais imaginé être trahies, encore moins par l’homme avec qui elles ont eu des enfants, un lien indéfectible entre eux. Et pourtant!
«J’ai élevé mes enfants seule. J’ai été à la fois leur mère et leur père, une double charge de travail, mais Al-Hamdouli l’Allah», nous raconte Mouna, quinquagénaire qui a tout abandonné pour ses enfants.
Le combat d’une vie
Sa vie n’a pas été facile. «Courageuse», «capable», des adjectifs qui reviennent dans la bouche des personnes l’ayant fréquentée. Sur le pas de la porte, un homme, un voisin, l’ayant connue depuis de nombreuses années, dit qu’elle est «un homme et demi» (Rajel o nouss), contrairement à l’adage qui dit plutôt «une femme et demie». C’est dire le courage dont elle a fait preuve.
«J’ai vendu mes biens, enchaîné des boulots en tous genres… J’ai fait tout mon possible pour mes enfants. Pour qu’ils n’aient besoin de rien et qu’ils ne se sentent pas inférieurs aux autres enfants ayant leurs deux parents», raconte Mouna avec émotion. Issue d’une famille très à cheval sur la notion de la «famille», pour elle, accompagner son époux jusqu’à ce que la mort les sépare était une évidence. Comme l’avaient fait sa mère, sa grand-mère… Sauf que la vie en a voulu autrement. Du jour au lendemain, elle s’est retrouvée seule, avec deux enfants en bas âge ne comprenant pas la situation, une entreprise à faire tourner, des employés à payer, des problèmes financiers monstres et pas l’ombre d’un quelconque soutien.
Faire grandir ses enfants privés de figure paternelle dans une société dans laquelle l’homme est hissé sur un piédestal, où il jouit d’une importance capitale au sein de la famille, incarnant son noyau auquel tous les membres se rattachent, n’est pas une mince affaire. «J’ai subi le dédain de la part de bon nombre de personnes. Le plus banal des exemples, c’est à l’école. On demandait à mes enfants d’appeler leur père et non leur mère. Quand je me présentais à la direction de l’école, on me faisait comprendre que je n’étais pas apte à être la tutrice de mes enfants».
En plus des problèmes incombant à la vie de mère, elle a été confrontée aux médisances de certaines personnes faisant des raccourcis faciles, des femmes ou des hommes à la mentalité aussi fermée qu’obscène. «J’ai mis ma vie sentimentale de côté pour préserver mes enfants d’un autre choc émotionnel; ça n’avait pas l’air de rentrer dans la tête de certains au début. Quoi que l’on fasse, on est systématiquement la coupable. Mais tout cela est passé maintenant», conclut-elle.
Tout quitter pour se refaire
Après son divorce, Leila a tout quitté pour vivre à l’étranger. «J’ai pris mes enfants sous le bras et j’ai tenté d’oublier ma vie, pour me reconstruire».
Vivre au Maroc en étant une femme seule, divorcée et en plus mère de deux enfants était inenvisageable pour elle. Elle a essayé pourtant, pendant deux ans, mais la pression de la famille la traitant de ratée et le regard méprisant de la société l’ont empêchée de vivre sereinement et d’imaginer une existence tranquille dans son pays. «Aujourd’hui, je peux dire que j’ai eu de la chance dans mon malheur. Je sais très bien qu’il y a d’autres femmes dans ma situation, qui se retrouvent sans revenus, ni toit sur la tête et avec la culpabilité, lourde comme un fardeau, sur les épaules».
Sans l’aide de sa sœur qui l’a accueillie chez elle, le temps qu’elle retrouve son équilibre, elle n’y serait jamais arrivée. «Au Maroc, personne ne se soucie des femmes ayant vécu ma situation. Aucune aide financière n’est prévue, si ce n’est ces deux centimes de pension alimentaire que se doit de verser le père et qu’il n’a jamais versés dans mon cas», dit-elle, amère. Elle n’a pas voulu traîner le père de ses enfants en justice pour cette affaire de pension alimentaire. «Déjà les enfants sont fragilisés par la séparation avec leur père, alors s’ils savent qu’il est en prison, cela serait encore pire».
Pointée du doigt à chacun de ses mouvements, elle se sentait épiée, mais aussi redevable aux autres. Se sentant obligée de quémander la grâce de l’entourage pour avoir la conscience tranquille, elle se transforma d’une femme moderne, dynamique et aux idées progressistes en une femme qui porte «jellaba» et ponctue ses phrases de louanges à Dieu et au prophète Sidna Mohamed (SAW). «J’ai agi comme ça pour avoir la paix et ça avait bien marché à l’époque! Mais c’était invivable à long terme», dit-elle en riant. «Dès que tu es une femme seule, tout le monde se met à parler dans ton dos, inventer des choses pour salir ta réputation, alors je leur ai renvoyé l’image qu’ils se font de la femme parfaite», s’explique-t-elle.
Des femmes comme celles-ci, dignes et d’un courage à toute épreuve, malgré le regard pesant d’une société profondément patriarcale -en façade-, sont nombreuses et dessinent le paysage d’un Maroc qui a résolument changé.
En 2011, une femme sur cinq avait le statut de chef de ménage, 22% d’entre-elles vivaient seules.
Yasmine Saih