Maroc-UE : La raison

Maroc-UE : La raison

Le complexe dossier des relations Maroc-UE a connu un nouvel épisode, cette semaine.

Exaspéré par les obstacles dressés devant ses produits agricoles à l’entrée du marché européen, le Maroc a appelé l’UE à clarifier ses positions.

Il y avait, certes, un litige portant sur l’Accord agricole Maroc-UE de 2012.

La Cour de justice européenne, saisie par les séparatistes du Polisario sous la conduite de l’Algérie, avait invalidé cet Accord, en 1ère instance, en 2015, au motif qu’il englobait le Sahara. Mais, 1 an plus tard, en appel, ce jugement a été cassé.

La question du Maroc est alors simple: l’Accord agricole Maroc-UE de 2012 sera-t-il, oui ou non, pleinement appliqué ?

Si oui, l’UE doit remplir ses engagements.

Si non, le Maroc n’aura d’autre choix que de se défaire des siens.

Comment a été déclenchée cette crise ?

Quelles sont ses étapes, passées et à venir ?

Quels risques et quels enjeux ?

Lundi 6 février, coup de tonnerre dans le ciel de l’Union européenne (UE). Un communiqué du Maroc a toutes les allures d’un ultimatum.

Signé du ministère de l’agriculture et de la pêche, le communiqué au ton ferme est sans ambiguïté.

Il y est d’abord rappelé que «le Maroc et l’Union Européenne sont liés par un accord agricole dont l’application est effective sur le territoire du Maroc» et que la Justice européenne a «confirmé le protocole agricole entre le Maroc et l’Union Européenne».

Il s’agit de l’Accord agricole Maroc-UE de 2012. Cet Accord, attaqué devant la Cour de justice européenne par les séparatistes du Polisario dont l’argument est qu’il ne doit pas s’appliquer au Sahara, avait été invalidé en 2015 par un arrêt de cette Cour. Mais cet arrêt a été cassé, en 2016, suite à un pourvoi en appel devant la même Cour.

Le Maroc en conclut donc, dans le communiqué du ministère de l’agriculture, que l’Accord «doit désormais s’appliquer conformément à l’esprit qui a présidé à sa négociation et sa conclusion» ; et que «l’Union Européenne doit assurer le cadre nécessaire pour l’application des dispositions de cet accord dans les meilleures conditions». Et d’insister: «la Commission Européenne ainsi que le Conseil Européen ont la responsabilité de neutraliser les tentatives de perturbation, par des positions et un discours clairs et cohérents avec des décisions que ces instances ont, elles-mêmes, portées et adoptées».

A quoi fait allusion le communiqué ?

L’élément déclencheur

Il y a eu, certes, un élément déclencheur de ce ras-le-bol exprimé par le Maroc. C’est la déclaration du Commissaire européen chargé du climat et de l’énergie, l’Espagnol Miguel Arias Cañete, qui a estimé que, suite à l’arrêt de la Cour de justice européenne, auquel il a donné sa propre interprétation, l’UE tiendra «dûment compte du statut distinct et séparé du territoire du Sahara occidental selon le droit international». MA Cañete parlait alors de ne pas englober le Sahara dans le projet d’échange d’électricité renouvelable, signé le 17 novembre dernier à Marrakech en marge de la COP22, par le Maroc et 4 pays européens (l’Allemagne, la France, l’Espagne et le Portugal).

Sa déclaration a aussitôt été applaudie par l’ambassadeur algérien à Bruxelles, qui a estimé qu’elle «instaure un nouveau positionnement politique et juridique» de l’UE sur la question du Sahara.

Mais ce n’était là que la goutte qui fait déborder le vase. Avant cela, il y avait eu, ici et là, des velléités d’empêcher les produits marocains d’entrer sur les marchés européens. La plus récente concerne le navire Key Bay, soumis à un contrôle lors de son escale à Las Palmas, sous prétexte qu’il transportait des huiles de poisson du Sahara (et contre lequel le Polisario a déposé plainte en France)…

Cela, au moment où, devant la commission des affaires étrangères du Parlement européen, le Directeur général Afrique du Nord et Moyen Orient du service d’action extérieure de l’UE, Nicholas Westcott, affirmait que «l’UE n’a pas vocation à s’interposer dans un conflit géré par les Nations Unies qu’elle espère voir régler sur la base d’une solution politique juste et mutuellement acceptable par les parties, notamment avec l’avènement du nouveau secrétaire général, Antonio Guterres».

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Le Maroc ne pouvait laisser se poursuivre ce flou dans l’attitude de l’UE. Il a donc décidé de demander des éclaircissements.

Ce qu’explique Aziz Akhannouch

C’est ce qu’explique le ministre de l’Agriculture et de la Pêche maritime, Aziz Akhannouch qui, dans des déclarations à deux agences étrangères, l’AFP et EFE, a estimé que «il y a eu un jugement. Il faut maintenant que les choses soient claires, sincères, sur l’avenir que nous voulons développer entre le Maroc et l’UE».

Aziz Akhannouch n’a pas manqué d’exposer les griefs. «Nous avons un contrat commercial de libre-échange, un partenariat gagnant-gagnant (…). Malheureusement, il y a des zones d’incertitude sur tout ce qui se prépare à Bruxelles», a-t-il lancé, ajoutant: «nous n’avons pas de temps à perdre à aller devant les tribunaux. On ne veut pas rentrer dans la cuisine interne des institutions européennes (…). J’ai signé un contrat avec l’UE, je veux simplement savoir si cet accord est toujours d’actualité». Et d’insister: «l’UE doit dire clairement et sérieusement si elle veut un partenaire solide et crédible et avec qui elle veut travailler».

Se plaignant de ce que «les actes visant à dresser des obstacles devant l’entrée des produits marocains sur les marchés européens causent des préjudices aux exportateurs marocains» ; et expliquant que «les agriculteurs marocains veulent que leurs incertitudes soient dissipées quant au sort de leurs produits agricoles ou de pêche une fois arrivés aux frontières de l’UE», le ministre de l’agriculture a estimé que la situation actuelle est le résultat de «discordances, par rapport au Maroc, entre la Commission européenne, le Conseil de l’Europe, la Cour de justice et le Parlement européen» et que «cette problématique doit être réglée au sein de l’UE».

Puis de conclure que «si nous n’avons pas de réponse claire à ces incertitudes, il est normal que nous cherchions ailleurs».

Quels risques et pour qui ?

Dans le communiqué, non plus, il n’est pas fait usage de langue de bois. «Les actes visant à dresser des obstacles devant l’entrée des produits marocains sur les marchés européens doivent être sanctionnés et traités avec la plus grande fermeté de la part de notre partenaire européen», peut-on y lire.

Sinon quoi ? Sinon «l’absence d’un engagement franc de la part de l’UE imposera au Maroc un choix décisif où il sera question de préserver un partenariat économique patiemment entretenu, ou de s’en défaire sans retour pour se focaliser sur la construction de nouvelles relations et circuits commerciaux», poursuit le communiqué, qui précise un peu plus ce qui a poussé à la mise en garde. «Le Maroc et l’Union Européenne partagent une riche expérience de coopération. L’accord agricole et de la pêche compte parmi les exemples les plus réussis et il est primordial de le préserver au risque de déclencher de lourdes conséquences au plan socioéconomique, dont l’UE assumera l’entière responsabilité».

Les risques sont clairement exposés: «toute entrave à l’application de cet accord est une atteinte directe à des milliers d’emplois d’un côté comme de l’autre dans des secteurs extrêmement sensibles, ainsi qu’un véritable risque de reprise des flux migratoires que le Maroc, au gré d’un effort soutenu, a réussi à gérer et à contenir».

Pourquoi évoquer les flux migratoires ? Le ministère de l’agriculture ne manque pas de le clarifier. D’abord, la perte d’emplois accentue la migration. Ensuite: «le Maroc a conduit une politique volontariste et fortement engagée dans le secteur agricole pour œuvrer à la stabilité des populations et leur sécurité alimentaire à travers une expérience reconnue au niveau du continent».

Les mots ne sont pas mâchés dans le communiqué. Il en ressort clairement que les plus gros risques sont pour l’UE, le Maroc, lui, ayant prévu un plan B. «De telles nuisances mettent en péril un édifice de coopération construit sur de nombreuses années ne laissant de choix au Maroc que de s’en détourner au profit d’une accélération de partenariats initiés dans des pays et régions diverses notamment la Russie, la Chine, l’Inde, le Japon, les pays du Golfe ainsi qu’auprès de nos voisins africains», est-il précisé.

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Dernière mise en garde: il n’y a pas que l’Accord agricole qui soit en jeu. S’il est remis en cause, ce sont tous les autres accords avec l’UE qui le seront également.

Aussi, le Communiqué se termine par ces mots: «le Maroc s’inscrit dans une démarche constructive avec son partenaire historique. Il est, toutefois, nécessaire que l’Union européenne veille à la préservation de ces relations avec un pays qui a démontré sa fiabilité en tant que partenaire et ce, dans un cadre global où les échanges commerciaux dans les secteurs agricole et de la pêche sont une partie d’un tout».

Réaction immédiate de l’UE

La réaction de l’UE n’a pas tardé. Ayant fort à faire, déjà, avec le Brexit, l’administration Trump qui s’en prend à l’Europe et l’immigration clandestine qui repart de plus belle en Méditerranée, il n’était pas question, nous expliquent nos sources européennes, d’ouvrir un nouveau front ou de laisser la situation se détériorer au sud de la Méditerranée. De plus, les pays européens qui ont d’excellents rapports avec le Maroc ont aussitôt réagi, via soit les canaux diplomatiques, soit les lobbies.

Le communiqué a été rendu public lundi, dès mardi le feu a été éteint.

Le ministre délégué aux Affaires étrangères, Nasser Bourita, a fait le déplacement à Bruxelles. Une réunion a eu lieu entre la Haute Représentante et vice-Présidente de la Commission européenne, Federica Mogherini et lui, à laquelle a participé (en partie) le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker.

Le communiqué qui a sanctionné cette réunion s’est voulu rassurant.

On y lit que «l’Union européenne prendra les mesures appropriées pour sécuriser l’accord agricole et préserver le partenariat avec le Maroc» ; que «le Maroc est un partenaire clé de l’Union européenne et l’Union européenne est un partenaire clé pour le Maroc» ; que «les deux parties demeurent attachées à ce partenariat et engagées à le défendre» ; que «le partenariat entre l’Union européenne et le Maroc est le fruit d’une construction patiente de près d’un demi-siècle, un partenariat modèle, riche et multidimensionnel» ; que les deux parties «sont déterminées à le préserver et à le développer, dans ses différentes dimensions» ; qu’elles «ont reconnu l’importance de maintenir des relations commerciales stables».

Et après ?

A quoi faut-il s’attendre, maintenant ? Dans le communiqué de l’UE, les deux parties disent avoir «convenu que les équipes techniques se réuniraient bientôt pour élaborer en détail la voie à suivre» ; que «les discussions entre l’Union européenne et le Maroc se poursuivront dans un climat de sérénité et de confiance mutuelle, pour s’entendre sur les arrangements nécessaires à la poursuite et au développement des relations entre les deux parties, notamment dans le domaine agricole» ; et qu’en attendant, «des mesures appropriées seraient prises si nécessaire pour sécuriser la mise en œuvre de l’Accord de libre échange des produits agricoles transformés et produits de la pêche entre l’Union européenne et le Maroc en vigueur et préserver les acquis du partenariat dans ce domaine».

Enfin, les deux parties ont exprimé «leur volonté de reprendre le travail et d’élargir la coopération dans tous les domaines d’intérêt commun. De même qu’elles «se sont mises d’accord pour travailler de concert afin de renforcer les synergies mutuelles de leur partenariat sur des questions régionales et panafricaines».

C’est donc finalement la raison qui l’a emporté…

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