Mauvaise nouvelle pour le chef de gouvernement, Saâd-Eddine El Othmani et son ministre de l’Emploi et de l’Insertion professionnelle, Mohamed Yatim: au deuxième trimestre 2017, le taux de chômage a atteint 10,7%.
Dans sa dernière note présentant les principaux indicateurs du marché du travail dans le Royaume, le Haut-Commissariat au Plan (HCP), présidé par Ahmed Lahlimi, n’est pas allé par quatre chemins au sujet du chômage. Il a dressé en toute objectivité un tableau négatif de la situation de l’emploi dans le Royaume.
Les 15-24 ans les plus touchés
Selon le HCP, le nombre des chômeurs est passé de 1.233.000 à 1.296.000 personnes entre le premier trimestre de 2016 et celui de 2017, soit une hausse de 63.000 personnes enregistrées exclusivement en milieu urbain, précise le HCP. Par milieu de résidence, le taux de chômage est ainsi passé de 15% à 15,7% en milieu urbain et de 4,2% à 4,1% en milieu rural, relève la note, ajoutant que le taux de chômage le plus élevé est enregistré parmi les jeunes âgés de 15 à 24 ans (25,5%) et les adultes âgés de 25 à 34 ans (16,6%).
S’agissant du sous-emploi, le HCP a relevé que son taux est passé de 9,7% à 9,8% au niveau national, entre les premiers trimestres de 2016 et de 2017. En milieu urbain, ce taux est passé de 9,3 à 9,4%. En milieu rural, le sous-emploi a atteint des proportions plus inquiétantes, puisqu’il a crû de 10,1% à 10,3 % en une année seulement. Le Haut-Commissariat au Plan précise que le volume des actifs occupés en situation de sous-emploi a augmenté de 1.034.000 à 1.057.000 personnes au niveau national (de 539.000 à 550.000 personnes en milieu urbain et de 495.000 à 507.000 en milieu rural).
Selon le sexe, le taux de sous-emploi a atteint 11,1% parmi les hommes au niveau national (9,4% en milieu urbain et 13,5% en milieu rural) et 5,7% parmi les femmes (9,8% en milieu urbain et 2,8% en milieu rural), précise le HCP.
Par ailleurs, le HCP a relevé que les jeunes sont les plus touchés par le manque d’opportunités d’emploi dans le Royaume, notant que la tendance haussière du chômage touche particulièrement les jeunes âgés de 15 à 24 ans, lesquels représentent 25% des chômeurs à l’échelle nationale. Le plus alarmant, c’est que le Haut-Commissariat au Plan a tiré la sonnette d’alarme, rappelant que les jeunes sont les plus vulnérables sur le plan social et peuvent constituer une proie facile à la délinquance et à l’extrémisme. La note du HCP rappelle aussi qu’il est primordial de mettre en œuvre des politiques adéquates qui puissent permettre de relancer le marché de l’emploi à l’échelle nationale, surtout en matière d’emploi des jeunes.
Conjoncture exceptionnelle et politiques inadéquates
Les politiques de l’emploi mises en place par les gouvernements successifs n’ont pas réussi à limiter les dégâts causés par le chômage. De l’avis de l’économiste Idriss Abassi, enseignant à la Faculté des sciences juridiques et économiques de Rabat, la hausse du taux de chômage au Maroc est le résultat d’un problème de conjoncture. Il rappelle que cette année, le Maroc a vécu six mois sans gouvernement et donc sans loi de Finances. Ce qui a influencé négativement la loi de Finances 2017, qui vient d’être adoptée par la Chambre des représentants.
Selon Abassi, la commande publique est une variable clé concernant le moteur de la croissance au Maroc. Il considère que le blocage des négociations pour la formation du gouvernement est pour beaucoup dans l’augmentation du taux de chômage. «Les investisseurs étrangers, à titre d’exemple, ont hésité à investir au Maroc au moment où le Royaume n’avait pas de gouvernement».
L’économiste Omar El Kettani, lui, ne partage pas l’avis du professeur Idriss Abassi. Il estime qu’il existe un lien de cause à effet entre le chômage et les politiques publiques qui ne parviennent toujours pas à trouver une solution au chômage des jeunes Marocains. «L’Etat a mené une politique axée principalement sur les réformes dites urgentes, comme la réforme de la retraite et de la Caisse de compensation. Cette situation a fait qu’un effort colossal d’investissement a été orienté et concentré sur le capital, au détriment de la création d’emplois. Le social reste, à ce jour, le parent pauvre de l’économie marocaine en quête de remise à niveau», estime El Kettani.
Tous égaux devant le chômage
Le combat des femmes marocaines en faveur de plus d’égalité n’aboutit pas dans plusieurs domaines, sauf quand il s’agit du chômage. Par conséquent, les femmes marocaines sont les plus touchées par ce phénomène. En effet, le chômage des femmes est passé de 13,8% au premier semestre de l’année 2016 à 14,7% durant la même période de 2017. Dans le détail, ce sont les femmes citadines qui sont les plus touchées par le chômage avec 25,2%, contre 3,1% dans le monde rural. Cette situation a poussé l’OCP Policy Center à étudier plus en profondeur le phénomène du chômage des femmes marocaines. Selon une publication récente de ce think tank intitulée «Egalité de genre, politiques publiques et croissance économique au Maroc», ce sont les femmes diplômées de niveau supérieur qui souffrent le plus du chômage. Sur ce point, les associations de défense des droits des femmes estiment qu’à ce jour, la gent féminine au Maroc est laissée pour compte, ce qui ne permet pas au Royaume d’utiliser toutes les compétences humaines dont il dispose. Elles ajoutent que cette situation résulte principalement de l’omniprésence de certaines traditions archaïques et dépassées qui limitent le rôle de la femme aux tâches ménagères, alors qu’elle dispose d’atouts et du savoir-faire nécessaires pour contribuer pleinement à l’essor socio-économique du pays. Encore faut-il que les décideurs lui donnent la possibilité de le faire.
Les spécialistes en recrutement estiment que, de nos jours, le diplôme à lui seul ne protège plus contre le chômage. Ils rappellent que dans le passé, avoir un diplôme donnait automatiquement accès au marché du travail. Depuis, les temps ont changé. En effet, la croissance démographique et l’impossibilité pour l’Etat d’absorber, à lui seul, la très forte demande en emplois ont fait que de plus en plus de jeunes diplômés se retrouvent face au chômage qui peut durer plusieurs années. Les mêmes sources expliquent que les chômeurs doivent songer à intégrer les secteurs qui offrent le plus d’opportunités en attendant des jours meilleurs. Les syndicalistes, eux, estiment que le chômage, notamment des jeunes, est une bombe à retardement qu’il faudrait désamorcer au plus vite, pour éviter toutes conséquences imprévisibles dans les années à venir.
Le chef du gouvernement et son ministre de l’Emploi, ancien syndicaliste, promettent de faire de la lutte contre le chômage leur priorité. On verra bien…
Mohcine Lourhzal