Un jour après l’effondrement d’une vielle bâtisse située au N° 27 à Derb Lamaïzi, au niveau de l’Avenue royale, à l’aube du dimanche 17 septembre (aux environs de 3 heures), tuant deux personnes et endommageant d’autres maisons, les habitants de ce quartier étaient encore hébétés par la tragédie. Les dégâts auraient été plus graves si les autres occupants de la bâtisse n’avaient pas réussi à sortir à temps. «Nous sommes toujours sous le choc, mais pas surpris. La bâtisse menaçait ruine et risquait de s’effondrer depuis longtemps», a-t-on souligné à Derb Lamaïzi.
L’immeuble de trois étages avait déjà fait l’objet d’une décision de démolition, le 23 juin 2012, selon un communiqué du ministère de l’Aménagement du territoire national, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la ville. Trois familles des cinq qui y vivaient ont été relogées, la quatrième était sur le point de quitter l’édifice, alors que la dernière refusait de quitter la construction, indique-t-on auprès des mêmes sources.
Série d’effondrements et la SONADAC au cœur des critiques
Les cas d’effondrement dans cette zone ne sont malheureusement pas rares. La tragédie du 17 septembre est l’une des catastrophes d’une longue série d’effondrements dans cette zone de la médina, où des centaines de constructions sont dans un état de vétusté très avancé, souligne Tareq Naji, un associatif local. Il y a donc toujours péril en la demeure! «Dans ce quartier, un effondrement peut survenir à tout moment à cause de la vétusté des immeubles et il faut «s’attendre au pire durant l’hiver», prévient-il.
Et de poursuivre: «Ce dossier d’expropriation et de relogement des habitants de l’Avenue royale est entaché de plusieurs irrégularités. Il s’agit d’un projet d’expropriation, lancé en 1989, mais dont la procédure d’expropriation a été actualisée en 2009, conformément à une circulaire du ministère de l’Intérieur. Mais en 2011, il y a eu une nouvelle décision pour l’évaluation et le recensement des habitants. Or, cette décision n’est pas appliquée, en réalité. On applique toujours la procédure de 1989. Les gens sont arnaqués et les autorités ferment les yeux sur toutes les irrégularités qui accompagnent les opérations de relogement, lesquelles, disons-le, connaissent un retard important. Et ce, malgré les moyens dont est dotée la société SONADAC, chargée de ces opérations depuis maintenant 27 ans». En effet, poursuit cet associatif, la Commune de Casablanca avait cédé à cette société un terrain de 360 ha à seulement 130 dirhams le m2, dans la zone de «Mquiliba» au niveau de l’arrondissement de Hay Hassani (Zone de Nassim). «Un projet de 2.000 logements sociaux devait y être réalisé et bénéficier aux familles de l’Avenue royale, ainsi qu’aux habitants d’un bidonville situé sur le site. Le projet avait été autorisé en 2013 par le wali Mohamed Boussaid mais, à ce jour, il n’a pas encore vu le jour», déplore Tareq Naji. Par ailleurs, celui-ci fait savoir qu’une amicale constituée par les habitants de l’Avenue royale verra le jour d’ici quelques semaines. «Nous avons déjà entamé la procédure légale pour la création de cette amicale. Son rôle est surtout d’ouvrir un dialogue avec la SONADAC, ainsi qu’avec l’ensemble des intervenants, concernant les problèmes rencontrés dans le relogement des habitants. La manière dont se font les indemnisations des propriétaires et la procédure adoptée pour le recensement et le relogement figurent également parmi les préoccupations de l’amicale», explique notre interlocuteur. Celui-ci, qui n’y va pas par quatre chemins, conclut que la catastrophe du 17 septembre peut se reproduire à n’importe quel moment à cause, dit-il, des constructions délabrées, dont le nombre augmente d’année en année, en l’absence de restauration.
A Derb Lamaïzi, les familles côtoient la mort
Mardi 19 septembre, nous nous sommes rendus sur le lieu de la tragédie, où un véhicule de police avec deux agents était stationné. Visiblement, les habitants ne décoléraient pas. «On attend qu’il y ait d’autres morts pour faire quelque chose. Les responsables pensent que nous n’avons pas peur pour la sécurité de nos familles. Ils croient que cela nous plaît de rester ici. Ce n’est pas vrai. Mais nous ne pouvons pas non plus accepter la proposition des autorités. Payer 200 mille dirhams pour un logement social est au-dessus de nos moyens», déclarent des habitants de ce quartier.
En attendant leur relogement, les habitants retiennent chaque jour leur souffle et lancent un appel au gouvernement d’«El Othmani» pour intervenir dans ce dossier. A l’heure où nous mettions sous presse, des sources à l’Arrondissement de Sidi Belyout indiquaient que certaines familles devraient être relogées dans la périphérie de Casablanca
Des constructions lézardées et des murs fissurés, qui risquent de s’effondrer à n’importe quel moment, sans parler des infiltrations des eaux de pluie lors des intempéries hivernales. A Derb Lamaïzi, surnommé «zone de la mort» -parce que plusieurs personnes y ont laissé leur vie suite à des effondrements-, un constat inquiète, choque et révolte à la fois. Entre les décombres des bâtisses qui ont été abandonnées en l’état et des abris de fortune, ce quartier évoque un désastre. Plusieurs familles y côtoient la mort chaque jour, car l’immeuble où ils vivent est vétuste. Le constat que nous avons fait était d’ailleurs très inquiétant. D’autres, des familles sinistrées, vivent sous des tentes ou dans des abris de fortune, depuis près de neuf ans, dans l’indifférence la plus totale! Leurs habitations s’étant effondrées totalement ou partiellement, il était impossible de continuer d’y vivre. «L’effondrement de mon immeuble, qui a eu lieu il y a près de neuf ans, nous a jetés à la rue. Je n’avais pas d’autre choix que de m’installer avec ma famille dans ce taudis. Car je ne pouvais pas accepter la proposition des autorités», souligne Mohamed qui vit dans un abri de fortune. Sanae, une autre sinistrée, semble très marquée. «‘‘Tkarfasna bezzaf’’. Dans ce taudis, nous avons supporté les hivers, ces dernières années et il semble que nous allons y passer encore un autre hiver, tant notre situation semble ne préoccuper personne. Nous avons été recensés pour bénéficier d’un logement à Errahma, à 200 mille dirhams. Mon mari ne travaille pas et ne pouvons jamais nous acquitter de la traite mensuelle qui nous a été fixée à 1.600 DH», lance Sanae, qui a relaté la situation de sa famille.
Dans le cadre du projet de l’Avenue royale, les autorités avaient proposé un relogement dans la ville nouvelle d’Errahma, dans la périphérie de Casablanca. Pour cela, chaque famille relogée devait s’acquitter de 200 milles dirhams, avec une traite mensuelle de près de 1.800 DH. Proposition refusée par les familles qui déclarent au «Reporter» n’avoir pas un revenu régulier pour s’acquitter de ce montant. Plusieurs familles, comme celle de Fatima E.B, ont d’ailleurs reçu une mise en demeure de la banque (CIH), nous assure-t-on. «Par cette mise en demeure, nous vous signalons que vous avez un retard quant au paiement de votre crédit (en plus des intérêts). Le montant en question ayant atteint 153.658 DH, nous vous demandons de vous présenter à nos bureaux dans un délai de huit jours», lit-on dans une lettre de mise en demeure, adressée à Fatima E.B et dont «Le Reporter» détient une copie. D’autre sources, non sans étonnement, ne manqueront pas de signaler dans ce cadre un autre problème. «Les autorités locales délivrent à de simples journaliers des documents attestant que ces derniers ont un salaire régulier et qu’ils peuvent ainsi honorer leurs engagements vis-à-vis de la banque. Ce qui leur permet ainsi de contracter un crédit de logement et donc de bénéficier de ces opérations de relogement. Or, le fait est que ce n’est pas normal», précisent ces mêmes sources. Preuve à l’appui, celles-ci nous montrent un document administratif délivré par la 5ème annexe administrative de Moulay Youssef, dont «Le Reporter» détient aussi une copie. «Plusieurs familles, après seulement quelques mois, n’arrivent plus à payer leur traite. Plusieurs dossiers sont d’ailleurs devant la justice à cause de ce problème», a-t-on indiqué.
A Derb Lamaïzi, les habitants évoquent aussi un autre sujet. «Cela fait plusieurs années que les gens, avant même que l’état des immeubles ne connaisse une dégradation avancée, voulaient prendre l’initiative de restaurer leurs appartements. Mais les autorités locales les en empêchaient, sous des menaces. «L’absence d’entretien a toujours été fatale aux habitations, dont la dégradation est due au facteur temps. Tous les architectes vous diront que le poids des années joue un rôle important dans la vétusté de l’état des bâtisses», tient à préciser un associatif. C’est dire que, pour ce dernier, le danger continue de guetter les habitants de ce «quartier de la mort».
Reportage réalisé par Naîma Cherii