Nisrine, 30 ans, est chargée de clientèle dans un centre d’appel. Elle est mariée et maman de deux enfants. Elle raconte son «angoisse-revolving»…
«Au secours! Le monstre «fins de mois sans» m’attaque, s’enracine et s’étend. Comme ligotée, je n’ai hélas pas eu d’autre choix que de le voir prendre ses aises dans ma vie. En plus, c’est qu’il est cruellement sournois. Il faut voir comment il s’est arrangé pour passer au «quinze du mois sans». C’est tellement dingue d’être défiée de la sorte! Jamais auparavant, je ne me serais aventurée à en parler, si ce n’est que ma situation est devenue catastrophique, presque sans issue. Aujourd’hui, c’en est trop. Je ne sais vraiment plus comment y faire face. J’ai un urgent besoin d’aide, de conseil, de soutien, de solution.
Honnêtement, ces deux dernières années, me retrouver sans un centime à la fin de chaque mois me rendait malade. C’est avec grande gêne que je sollicitais mon banquier pour des avances sur solde. Puis, n’en pouvant plus de mes démarches qui me causaient beaucoup trop d’humiliation, je me suis décidée à m’offrir une première autorisation de dépassement, puis une deuxième. Parfois, certains chèques aux petits montants, malgré un solde débiteur, passaient aussi. Même si cela n’a jamais été gratuit, la banque nous rendait quand même service. Cet avantage n’est plus autorisé par la grande hiérarchie, nous affirment les directeurs d’agence.
C’est bien de nous obliger à réajuster notre comportement de consommation et à nous serrer la ceinture, comme autrefois. Mais cela me semble illogique. Quel dommage pour toutes ces offres du marché! Nous serons alors plusieurs à ne plus pousser de caddy de supermarché pour le remplir de ces petites choses qui nous plaisent tant. Oui, parfaitement, peut-être qu’au final, c’est mieux de nous rendre en «karroussa» ou à dos d’âne au souk hebdomadaire du dimanche; encore qu’il faudrait avoir la chance d’habiter dans sa région. Pourquoi pas? C’est vrai! En période de dèche, ce n’est pas permis de faire la fine bouche… Mais oui, il suffit de prendre sur soi, on peut y faire quelques bonnes affaires d’achats. Des lentilles, des fèves et des blocs de savon «l’menjel » tout usage, corps, cheveux, linge, vaisselle. Une faucille pour la crasse qui épargne le porte-monnaie et le compte bancaire. Merci, mais pas pour moi; je me débrouille comment, alors?
Avec mon conjoint, nous nous étions mis d’accord pour que la lourde charge de gérer nos deux revenus me revienne. Les primes et autres n’étaient pas inclues dans ce deal. Cette dernière clause avait l’avantage de me délester de pas mal de tracas. Entre autres, celui des cafés et cigarettes. C’est aussi ce qui allait me donner cette idée idiote d’épargne. Perdante, je l’étais à mille pour cent, comme toujours. De ça, monsieur s’en balance. Il dit que ce n’est que justice rendue, me traitant toujours de dépensière ne sachant pas compter.
Donc, mon statut de gérante m’ordonnait d’assurer, en premier lieu, les mensualités de notre loyer et les autres charges obligatoires; ensuite, les frais de scolarité de nos deux bambins. Le reste partait en alimentation et en tout petits extras. Bien sûr, s’il n’y avait pas de dépenses dans l’imprévu… Genre petite maladie ou autre. Mes calculs minutieux et mes précautions fonctionnaient bien. Plus maintenant. Aujourd’hui, je n’arrive carrément plus à m’en sortir. Les nouvelles habitudes de consommation, puis cette cherté galopante de toutes les denrées alimentaires sont un cocktail Molotov dans mon budget. Il suffit qu’occasionnellement je transgresse mon planning, ne serait-ce que pour un seul déjeuner de fête, pour me retrouver le 15 du mois sans le sou et sans filet. Quelqu’un peut-il m’indiquer une recette miracle pour me sortir de cette spirale? Ah oui, c’est vrai, il y a mon épargne. Eh bien, engloutie, elle aussi!
Le plus triste, c’est que le montant de toutes mes épargnes ne m’a tirée d’affaire que deux mois d’affilée seulement… et rebelote! Bizarrement, je constate que l’effet boule de neige ne semble pas près de s’arrêter. Impossible de me délivrer de ce mauvais sort. A peine ai-je l’espoir que le mois suivant sera moins éprouvant que déjà la bronchite s’attaque à nous, tour à tour. Bingo pour les frais en consultations et traitements! Et v’lan que s’enchaînent, immédiatement après, d’autres branle-bas. Comme la date du contrat d’assurance de la voiture qui est échue. Il n’aurait manqué qu’une contravention pour m’achever. Pas encore, à ma place, c’est le pneu qui éclate. Cerise sur le gâteau, le diagnostic de la visite technique, le filtre à air est bouché! Même les orteils des petits sont sortis en guerre, s’attaquant à leurs baskets de sport.
Il n’y a que les remontrances détestables de mon époux qui restent immuables dans ces méandres. Désormais, je peux affirmer sans me tromper qu’il est atteint d’une pathologie incurable: la critique! Ce qui me le confirme, ce sont tout simplement les confidences dans mon groupe d’amies et mamans des copains de mes enfants, ainsi que celles de parfaites inconnues rencontrées par hasard dans une file d’attente, par exemple. Elles me révèlent que je ne suis pas la seule dans le royaume à être prise dans ce bourbier. Que nous sommes une armée sous consigne de «fin de mois sans», «quinze du mois sans» et, plus cruel encore, «mois sur mois sans». J’avais tort de me faire du mal.
Décidément, je me rends compte aussi dans la foulée que le masque de notre traditionnelle «hchouma», en ce qui concerne l’aveu du manque d’argent, est tombé. Cela permet au moins de se rendre compte qu’on n’est pas seul dans cette bataille».
Mariem Bennani