Mes gâteaux nous ont sauvés !

Houria, 28 ans, mariée, est aujourd’hui une femme heureuse. Cette jeune campagnarde à peine lettrée a changé son existence grâce à du pain et à de petits gâteaux. Voici comment.

«Lorsque j’avais entendu mon père dire à ma mère que mes études ne leur rapporteraient rien dans l’immédiat, sauf un autre malheur, je savais qu’il n’était pas contre le fait que je sois instruite. Mais jamais il n’avait pu oublier le décès de mon grand frère qui avait été fauché par un camion, alors qu’il se rendait à  l’école du patelin le plus proche. Perdre son aîné fut un drame qui continuait de le hanter. Heureusement, en quittant l’école, je savais lire et écrire. Pas vraiment à la perfection, mais suffisamment bien pour que je ne l’oublie jamais et que j’en fasse un bon usage.

Tout comme de nombreux enfants de la campagne, malgré mon jeune âge, on sollicitait mon aide pour quelques travaux ménagers et également dans les champs ou dans les étables. J’adorais ceux de la cuisine. Particulièrement l’exécution de la fabrication du pain sous l’œil vigilant de ma mère. Pour nous tenir compagnie, alors que nous étions en besogne, nous avions la radio. Je me sentais si importante lorsque ma mère me demandait de retranscrire dans un cahier les recettes de gâteaux transmises. Ma mémoire était infaillible lorsqu’il fallait les façonner dans notre petite cuisine de fortune dotée tout de même d’un four à gaz. Chaque fois que je mettais sur la table une de mes réalisations, on aurait dit que j’offrais des pépites d’or. Les miens ne tarissaient pas d’éloges à mon sujet. Tant était si bien que toutes les filles et femmes de la famille et même quelques-unes du voisinage étaient venues me supplier de leur apprendre ce que je savais produire.  Grâce à elles, ma notoriété dans le coin était lancée. J’eus alors de nouvelles élèves et quelques clientes. Je savais pertinemment que cela ne pouvait durer, il n’y avait pas assez de monde, ni pour mes cours, ni pour des commandes. Je rêvais de quitter le bled pour devenir riche et célèbre.

Lorsque mes parents m’avaient dit qu’on demandait ma main, je n’avais pas hésité à dire oui. Je savais de qui il s’agissait, puisque sa famille vivait dans les parages. Même mes parents qui n’étaient pas vraiment pressés de me voir lever l’ancre me firent des éloges à son sujet. Un gars courageux et tranquille, disaient-ils, les siens s’étaient portés garants de la droiture de leur fils. Il avait un logement et un travail en ville. Il était gardien dans un immeuble. Je le rencontrai, nous parlâmes un peu. Je le trouvais aimable et réservé. Il m’avoua ne pas se sentir très à l’aise à la campagne, il y avait très peu vécu. Cette révélation allait dans le sens de mes ambitions. J’étais rassurée du fait que nous n’y vivrons jamais. Quelques mois plus tard, après avoir célébré notre mariage, je fis mes adieux à mes parents. Dans cette nouvelle vie que j’entamais, tout était nouveau pour moi. Je n’avais jamais prévu que, pour m’adapter à la vie citadine, il me fallait du temps. Il n’était plus question de faire fortune avec des gâteaux, je n’osais même pas mettre le bout de mon nez dehors. Mon mari était patient, il comprenait ma situation. Pour m’éviter l’ennui, il m’avait présentée à une jeune femme qui dispensait des cours de pâtisserie chez elle. Pour y assister gratuitement, je devais l’aider à tout remettre en ordre dans sa cuisine. Jamais de ma vie je n’avais vu autant de machines et d’ingrédients. Une occasion en or se présentait à moi. J’appris énormément de recettes et techniques chez cette personne. Quelle sacrée différence avec ce que je faisais auparavant dans ma campagne!

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Mon bonheur allait être de courte durée pour des raisons que j’allais découvrir. Ma naïveté me faisait croire que tous les gens de la ville étaient gentils, adorables, surtout ceux pour qui on travaillait. Ma conviction s’était fortement amplifiée par la visite de femmes qui me souhaitaient la bienvenue. Mon époux se gardait bien de me révéler les difficultés auxquelles nous étions exposés. Je ne le sus qu’à travers les échos qui me parvenaient du garage. Plusieurs propriétaires parlaient très fort, je comprenais qu’ils s’adressaient à mon mari. J’apprenais que ma présence était indésirable et il fallait quitter les lieux. Nous avons effectivement plié bagage quelques jours plus tard sans le moindre dédommagement. Les petites économies de mon mari nous avaient permis d’atterrir dans un petit garage dont les murs n’étaient même pas cimentés. Je sus enfin que nous allions nous en sortir lorsque mon mari, qui avait un permis de conduire, trouva une place de chauffeur livreur 20 jours plus tard. Je pris mon courage à deux mains pour lui parler de mon désir de travailler. Je voulais me lancer dans la fabrication de pain à vendre sur place. Il n’avait pas dit non, il me demandait seulement de patienter encore un peu. Je fus soulagée et satisfaite le jour où il m’avait rapporté une vieille vitrine, un grand four à gaz d’occasion, des tôles, des bassines de plastique et quelques autres ustensiles. Ensuite, il s’occupa de peindre les portes et l’accueil du garage en blanc et la vitrine aussi. Il accrocha un drap pour séparer notre espace de vie du comptoir. Il s’attaqua ensuite à la réparation du four. Plus tard, il m’acheta les denrées nécessaires pour démarrer. C’est vrai, mes parents avaient vu juste, mon mari était un homme bien.

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Sans perdre plus de temps, j’entamais ma première journée de travail, un lundi aux aurores. Je commençais par le pain. Plus tard, je passais à la viennoiserie.  Mon premier jour de vente fut un succès et tous les jours qui suivirent. Mon mari, voyant que je m’en sortais beaucoup mieux que lui, a fini par quitter son job sans contrat, ni avantages sociaux. Il savait aussi que j’avais besoin qu’on me prête main forte pour que je puisse augmenter mes productions. Grâce à son aide,  j’ai vu mes bénéfices augmenter, surtout avec les commandes de gâteaux durant les périodes de fêtes. Aujourd’hui, nous nous sommes fraîchement installés ailleurs, nous ne sommes plus dans un garage, mais dans une maison comme tout le monde. Je ne travaille plus qu’à la commande pour des traiteurs et des particuliers. Mon mari, avec son triporteur flambant neuf,  s’occupe des courses et des livraisons. Enfin, nous avons trouvé le bon filon. Il y a un dicton chez nous qui dit: apprends le métier de ton père, tu en vivras. Moi, j’ai appris celui de ma mère: faire du pain et des gâteaux… En apportant des améliorations au métier, au fur et à mesure, bien sûr… Et ça a marché».

Mariem Bennani

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