Le Maroc prend sa plume. Il le fait rarement. Et encore moins pour écrire au Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon. La rafale épistolaire, c’est plutôt la spécialité des séparatistes du Polisario. Cette fois-ci, fait inédit, à quelques jours de la présentation -au Conseil de Sécurité- du rapport de l’envoyé personnel de Ban Ki-Moon, Christopher Ross, sur le Sahara, une lettre du Maroc est parvenue au
Secrétaire général onusien, mais aussi aux 15 Etats membres du Conseil de Sécurité (dont le Maroc n’est plus membre depuis le 31 décembre dernier, les deux années de son mandat, en tant que membre non-permanent, ayant expiré). Datée du 1er avril, elle porte la signature du ministre des Affaires étrangères, Salaheddine Mezouar et sera publiée comme document officiel.
Dans cette lettre, la diplomatie marocaine prend les devants, sachant que chaque année, au mois d’avril, lorsque le rapport sur le Sahara doit être présenté et que le mandat de la Minurso doit être reconduit, l’Algérie et le Polisario agitent la question des droits de l’homme et mobilisent leurs supporters, pour introduire et adjoindre à la Minurso un mécanisme de surveillance des droits de l’homme au Sahara.
L’année dernière, le Maroc avait été pris de court, découvrant in extremis que la partie adverse avait réussi à convaincre l’ambassadrice américaine auprès de l’ONU d’appuyer un projet de résolution allant dans ce sens. Il avait fallu l’intervention royale auprès du Président des Etats Unis pour stopper ce que le Maroc avait estimé être une injustice, compte tenu de tous les efforts accomplis par le pays en matière de droits de l’homme.
Cette année donc, avant qu’il ne soit attaqué sur ce sujet, le Maroc a décidé d’établir, par écrit et de façon solennelle, une sorte de récapitulatif de ce qui a été réalisé en un an dans le domaine des droits de l’homme et de ce qui est en cours. D’où le «je vous écris» du chef de la diplomatie marocaine à Ban Ki-Moon.
Qu’écrit Salaheddine Mezouar ? Il commence par préciser que «depuis l’adoption de la résolution 2099 en avril dernier, le Maroc a honoré l’ensemble de ses engagements et pris des mesures qui vont bien au-delà de celles recommandées par le Conseil de Sécurité». Soulignant que «ces efforts soutenus du Maroc» ont visé «à renforcer la promotion et la protection des droits de l’Homme sur l’ensemble du Territoire national», il les a énumérés.
Il s’agit du rapport du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) sur le nouveau modèle de développement pour le Sahara qui «commence à être opérationnalisé» sur le terrain «allant dans le sens des paramètres de bonne gouvernance locale…».
Il s’agit aussi, du récent engagement du gouvernement à «réagir à toutes les plaintes» qui lui seraient «soumises par le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH), notamment celles émanant de ses deux commissions à Laâyoune et Dakhla, dans un délai maximum de trois mois» ; avec, dans le prolongement de cette décision, «des points focaux qui seront identifiés dans les départements ministériels concernés afin de faciliter l’interaction du CNDH et accélérer l’examen des plaintes».
Il s’agit, en 3ème lieu, de l’adoption par le Conseil de gouvernement et le Conseil des ministres d’un projet de loi sur les tribunaux militaires qui sera soumis au Parlement à cette session d’avril et selon lequel «plus aucun civil ne pourra être jugé par un tribunal militaire».
Salaheddine Mezouar a enfin rappelé que le Maroc a accueilli, depuis avril 2013, le Rapporteur spécial sur la traite des personnes, ainsi que le groupe de travail de détention arbitraire ; et qu’il est prêt à accueillir une nouvelle visite du Rapporteur spécial de l’ONU chargé de la torture, afin d’examiner les mesures prises dans ce domaine. Ajoutant que la fréquence de telles visites au Maroc constitue un «exemple sans précédent dans la région et dans les annales du Conseil des Droits de l’Homme» ; et confirmant que le Maroc présentera, en mai prochain, un bilan de la mise en oeuvre des recommandations acceptées à l’occasion de l’Examen Périodique Universel de 2012.
Anticipant encore, celui qui a écrit au Secrétaire Général de l’ONU, au nom de son pays, a annoncé le dépôt «imminent par le Maroc des instruments de ratification du Protocole facultatif à la Convention contre la torture (OPCAT)».
Après en avoir fini avec les «efforts déployés par le Maroc et les initiatives qu’il a prises pour faire avancer ce processus politique mené sous l’égide des Nations Unies», le ministre a tourné les projecteurs vers les vis-à-vis, qualifiant les efforts de l’Envoyé personnel, Christopher Ross, de «louables et méritoires», mais estimant que «leur aboutissement nécessite de la part des parties à faire preuve de réalisme et d’un esprit de compromis». Insistant encore sur le fait que la démarche de Christopher Ross «doit s’appuyer sur la volonté politique de toutes les parties prenantes de contribuer de façon constructive et responsable à sa réussite», Salaheddine Mezouar a rendu la politesse à la partie adverse, rappelant que «l’appel du Conseil de sécurité, réitéré pourtant l’an passé, et demandant l’enregistrement des populations des camps de Tindouf n’a été suivi d’aucun effet» et que «l’Algérie, en tant qu’Etat hôte, doit prendre ses responsabilités conformément au droit international». Et de conclure: «l’Initiative d’autonomie présentée par le Royaume qui est à l’origine du processus politique actuellement conduit sous vos auspices illustre la détermination du Maroc à s’inscrire scrupuleusement dans le cadre des paramètres fixés par le Conseil de sécurité en particulier la nécessité de faire preuve de flexibilité et d’esprit de compromis».
Nul doute que la lettre suscitera très vite la réaction de ceux que Mezouar a appelés «les parties prenantes». Mais, cette fois-ci, c’est la partie adverse qui sera sur la défensive…
Bahia Amrani