Le secteur des viandes rouges, innovations, succès et points noirs…
Quelle signification a pour vous le SIAM et comment se déploie ce salon pour la FIVIAR?
Le SIAM est une manifestation qui permet de s’adresser d’abord au grand public, essentiellement, puis à tous les professionnels qui interviennent dans le secteur des viandes rouges, notamment les internationaux qui viennent voir les possibilités et les offres de partenariat économique et social. Pour nous, le SIAM se déploie de la manière la plus normale, c’est-à-dire par des stands ou encore par des animaux exposés. Cette exposition d’animaux présente le summum de notre production. Ce sont les meilleurs résultats qu’on a obtenus pour les faire justement connaître auprès du grand public et aussi auprès des éleveurs eux-mêmes, surtout ceux qui n’ont pas toujours l’occasion de visiter des fermes d’élevage modernes. Certaines associations exposent leurs animaux et tiennent aussi leurs stands. C’est le cas notamment de l’ANOC (Association Nationale Ovine et Caprine), la plus ancienne au Maroc du secteur de l’élevage. Cette association présente toutes les plus belles races du Maroc, à savoir notamment Sardi, Timahdite, Beni Mguilde, Boujaad et Dammane. Il y a aussi l’ANPVR (Association nationale des Producteurs de Viandes rouges) qui participe à cette manifestation par l’exposition d’animaux, notamment les bovins de très haute qualité. Je tiens à dire que les animaux qu’on expose ici sont nés et élevés au Maroc. Ils sont pareils à ceux exposés au SIAP en France.
Comment se porte aujourd’hui le secteur des viandes rouges? Quels défis en termes de développement et de marché?
D’abord, je voudrais souligner que, lorsqu’on parle de marché, pour nous, ce n’est pas uniquement les débouchés, puisqu’on produit suffisamment. Il n’y a pas d’importation de viandes rouges au Maroc. Certes, il y a une petite niche destinée au fast-food ou à l’armée… Mais c’est vraiment très petit. Tout le reste est produit localement. De même, qu’il n’y a pas d’exportation de viandes rouges et d’animaux. Maintenant, sur la question des marchés, ça reste, en effet, un des points noirs dans le développement du secteur des viandes rouges. Au niveau du développement de la race bovine, on s’était engagé, dans le cadre du contrat programme avec le gouvernement, à développer et à augmenter la productivité de notre cheptel. C’est un travail qui était axé sur l’amont, essentiellement, tout en sachant que les contraintes des viandes rouges étaient multiples, même pour la production. En 2008, rappelons-le, le Maroc produisait en termes de viandes rouges l’équivalent de la consommation de 9 kg/ citoyen/an. Dans le cadre du 1er contrat-programme, signé en 2009, on s’était engagé à augmenter ce chiffre, pour arriver à 14 kg en 2014. Or, cet objectif, on l’avait atteint déjà en 2013. Aujourd’hui, on produit l’équivalent de 15,5 kg par an pour chaque citoyen. Je dois dire que le 1er contrat-programme a apporté beaucoup au secteur. C’est d’ailleurs dans le cadre de ce programme que nous avons introduit une nouvelle notion… Dois-je le souligner: le cheptel marocain est fait de races qui sont destinées à la production laitière? Ces races n’ont pas beaucoup de capacités-viande. C’est ce qu’on appelle communément la race Holchtein, une race qui produit du lait, mais qui n’est pas performante en matière de production de viande. Pour obtenir une race adaptée au territoire marocain, la race locale a été au fil du temps croisée avec la race Holchtein importée. Ainsi concernant le cheptel des femelles, on a introduit ce qu’on a appelé le croisement industriel ou -en termes plus sympathiques- le croisement terminal. Il s’agit de mettre un reproducteur avec les femelles locales. On a ramené des semences de certaines races, avec lesquelles on a inséminé les vaches marocaines. Des taureaux culards… Ce sont les races les plus connues dans le monde et qui sont les plus viandeuses, comme la Charolaise, la Limousine ou encore la Blonde d’Aquitaine. Pour faire ceci, il fallait démocratiser l’accès à cette technique.
Les éleveurs marocains commencent-ils à croire à ce mode d’utilisation: l’insémination artificielle?
Avant la mise en œuvre du 1er contrat-programme signé en 2009, l’acte d’insémination artificiel était réservé à quelques fermes pilotes et quelques unités de production laitière. Côté prix, l’insémination artificielle coûtait entre 300 et 400 dirhams l’acte. Mais, aujourd’hui, le prix de l’acte d’insémination est à 135 dirhams. Pour inciter les petits producteurs à aller vers ce mode, l’Etat a mis à leur profit une subvention. Il a également mis à notre disposition les moyens matériels et c’est nous, les professionnels, qui, en fait, avons mis en place ce programme et ainsi démocratisé l’utilisation de l’insémination artificielle. Car, il fallait que les petits producteurs y croient. Aujourd’hui, c’est avec ce mode que nous avons d’ailleurs réussi à gagner pratiquement 50% de productivité, ce qui est exceptionnel.
Qu’en est-il du deuxième contrat-programme?
Le 2ème contrat-programme a consolidé ce qui a été fait en amont, à savoir continuer la production qui est, aujourd’hui, en constante augmentation. Avec ce deuxième contrat, il s’agit surtout de produire plus avec moins de bétail. Cela semble impossible mais, techniquement, on le fait. En effet, avec moins de cheptel femelle on produit plus et dans la qualité. Il faut savoir qu’avant le 1er contrat-programme, les éleveurs avaient des vaches qui produisaient des petits veaux qu’ils vendaient, trois ans après, à 15.000 DH. Aujourd’hui, les mêmes veaux valent 15.000 DH, après seulement un an. On a donc gagné en productivité. Il est également à signaler qu’au début du 2ème contrat-programme, soit en 2014, le poids moyen des carcasses des bêtes (abattues et mises en vente) était de 185 kg. Aujourd’hui, la rentabilité s’est beaucoup améliorée. En effet, le poids moyens de ces carcasses est de 280 kg, ce qui est exceptionnel!
Près d’une année après la publication du rapport de la Cour des comptes, qui a mis en cause l’état des abattoirs au Maroc, la gestion de ces établissements semble toujours être un point noir du secteur des viandes rouges…
C’est un héritage qu’ont traîné les collectivités locales. La gestion des abattoirs est en effet un point noir qu’on a dans le secteur de la production des viandes rouges. Notre partenaire, les collectivités locales, n’est pas toujours très flexible. Il faut dire qu’on a en face de nous des collectivités qui ont des abattoirs, mais qui ne les mettent pas aux normes. Elles ne veulent pas y investir. Aucun des présidents de commune n’a, à ce jour, joué le jeu pour dire qu’il fait de l’abattage, que cela lui coûte de l’argent et qu’il le fait mal. Aucun président ne s’est engagé à demander à des privés de le faire à sa place. Il faut dire qu’il manquait à la Cour des comptes, dans son rapport, une analyse de la comptabilité analytique sur la gestion des abattoirs par les collectivités locales. Le rapport en question n’a pas parlé de l’aspect financier, ni de l’aspect perte d’argent par les collectivités locales dans ce service. Ce qui est, à mes yeux, aberrant. Les collectivités font ce service et elles perdent de l’argent dans ce service. Au lieu de s’accrocher à faire cette prestation, les collectivités locales doivent se détacher de ce service. Elles doivent abandonner la gestion des abattoirs et laisser les professionnels assurer cette gestion. Car dans la situation actuelle, si un privé veut faire des abattoirs aux normes, il sera concurrencé par les abattoirs municipaux; alors que son prix de revient est très élevé par le fait qu’il a des charges d’amortissement, des charges d’exploitation et des charges que n’ont pas les abattoirs municipaux. Ceci étant, il faut signaler que les pires abattoirs, ce sont surtout les tueries rurales. Il y a des abattoirs où il n’y a même pas d’eau. Franchement, si aujourd’hui l’ONSSA doit faire prévaloir le texte sur le contrôle sanitaire, il fermerait tous les abattoirs. Beaucoup d’abattoirs doivent être fermés, car n’ayant pas les normes requises. Parmi les quelque 800 abattoirs existants, il n’y aurait plus que cinq abattoirs (valables) au Maroc.
Vous avez été élu, il y a une année, à la tête de la FIVIAR. Quelles sont aujourd’hui vos priorités et quels objectifs souhaitez-vous atteindre cette année?
En une année, je pense qu’on ne peut pas réaliser beaucoup de choses. C’est vrai qu’il y a du travail à faire. Mais je dois d’abord signaler que la FIVIAR est assez jeune. Aujourd’hui, elle n’a que huit ans. Et c’est très jeune dans la vie d’une fédération interprofessionnelle. La chose qui est intéressante, c’est qu’on a eu la reconnaissance de l’Etat en tant que seul représentant du secteur des viandes rouges. Il fallait aussi consolider, avec les membres de la fédération, leur travail sur le terrain. C’est un travail qui continue d’être fait.
Entretien réalisé par N. Cherii