L’Europe est face à son discours moral qui se fracasse sur la réalité. Elle veut se donner le beau rôle, mais elle est très largement responsable avec les USA de l’horreur migratoire actuelle en Méditerranée.
De l’Irak à la Libye, les populations civiles que l’Occident prétendait sauver fuient en masse des régions du monde déstabilisées et martyrisées par le fanatisme et le chaos.
Un trafic d’êtres humains rapporte maintenant autant que la drogue a des filières criminelles qui, de plus, ne sont pas sans relations avec le terrorisme.
L’Europe ne peut laisser des centaines de personnes se noyer et mourir au large de ses côtes. Elle ne peut non plus tout accueillir au risque de provoquer une vague de xénophobie incontrôlable, notamment en Italie, pays le plus concerné.
La liste des naufrages meurtriers est déjà longue cette année. Presque autant que celle des responsabilités. Car, de la justice italienne au personnel politique européen, en passant par les associations humanitaires, chacun désigne son coupable.
Pour le chef du gouvernement italien, Matteo Renzi, le problème n’est pas celui du contrôle des mers, mais celui de la mise hors d’état de nuire des passeurs «esclavagistes» en Libye. Le Premier ministre a ainsi évoqué, dimanche 19 avril, la possibilité d’«interventions ciblées pour détruire un racket criminel». Le chef de l’Etat français, François Hollande, a également dénoncé «une catastrophe» et qualifié les passeurs de «terroristes».
«Ces morts auraient tout à fait pu être évitées si l’UE avait lancé une véritable opération de recherche et de sauvetage», a dénoncé Judith Sunderland, directrice adjointe de la division Europe et Asie centrale de Human Rights Watch, citée par le journal Le Monde.
Mais la responsabilité géopolitique incombe largement à ceux qui ont détruit le régime libyen de Kadhafi sans préparer aucun avenir pour le pays et les populations qu’on prétendait sauver.
En raison de son positionnement géographique, la Libye a toujours vu les populations nomades sahariennes transiter par son territoire. Mais depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi, en 2011, le nombre de migrants fuyant vers l’Europe, en traversant un pays en plein chaos, a explosé. En 2014, on compte ainsi autour de cent soixante-dix mille arrivées en Italie. Ces flux sont devenus quasi impossibles à contrôler par l’administration du pays déchiré par les rivalités entre milices. Et la faillite de l’Etat libyen fait le jeu des passeurs de migrants d’origine subsaharienne!
En 2010, le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi faisait du chantage à l’Europe, réclamant cinq milliards de dollars pour stopper le flux migratoire venu d’Afrique subsaharienne. A l’époque, il se présentait comme l’ultime rempart à une Europe craignant une vague de migrants. Ce que le guide ne disait pas, c’est que son pays a de tout temps été une terre d’accueil, plus qu’un pays de transit.
Avant le printemps arabe et la guerre civile, la Libye accueillait plus de deux millions de migrants, principalement des Tunisiens, des Egyptiens et des Subsahariens. Aujourd’hui, les flux viennent principalement d’Afrique de l’Est: Ethiopie, Erythrée, Soudan et Somalie. Les routes passant par les Açores, le Maroc et l’Algérie étant désormais très surveillées, les Africains privilégient l’axe libyen.
La situation en Libye était au cœur de la réunion d’urgence qu’a tenue l’Union européenne sur la crise des migrants en Méditerranée. Dans le plan d’actions présenté, il est prévu un renforcement des opérations de recherche et de secours, mais également une offensive diplomatique auprès des pays de transit, en particulier ceux qui sont limitrophes de la Libye, principal embarcadère vers l’Europe, pour qu’ils contribuent à contenir les vagues de candidats à l’exil. Des mesures qui ne permettront cependant pas de mettre un terme à ce problème, selon le ministre espagnol de l’Intérieur, Jorge Fernandez Diaz. Et toute action musclée contre les repaires des passeurs va nécessiter une autorisation de l’ONU.
De son côté, l’Australie est citée en exemple par certains: Canberra se vante qu’aucun migrant n’a péri en mer en 2014 et en 2015, attribuant ce changement au tour de vis migratoire adopté par le gouvernement conservateur de Tony Abbott.
«Pas question, vous ne serez pas chez vous en Australie». Le message imprimé en gros caractères rouges sur les affiches publiées par le gouvernement australien est destiné à décourager les candidats à l’immigration. Réfugié politique ou non, absolument aucun ne sera admis sur le territoire sans un visa.
Plus aucun boat people, bateau portant à son bord des migrants -la plupart originaires du Sri Lanka, d’Iran, d’Irak, d’Afghanistan ou du Vietnam-, n’est désormais accepté dans les eaux territoriales. Une politique très stricte assurée par l’aide musclée de l’armée que l’Australie revendique elle-même comme «la plus dure jamais mise en place en matière de protection des frontières».
A méthode radicale, résultat radical: zéro arrivée maritime illégale enregistrée sur le sol australien ces derniers mois, selon les chiffres publiés par le gouvernement en janvier, février et mars 2015.
L’Europe doit urgemment trouver une autre solution que celle de l’Australie, mais elle doit trouver une solution.
Patrice Zehr