Il faut le préciser tout de suite, la compassion n’est pas une politique. Mais dans notre monde, c’est un progrès: il n’y a pas de politique acceptable sans humanité.
Ce qui est frappant dans les drames de Lampedusa, au-delà du carnage intolérable de vies humaines, c’est l’impuissance de l’Europe. Il faut empêcher des centaines de personnes désespérées de risquer et parfois de trouver la mort pour une vie meilleure qui n’est cependant jamais un véritable avenir. Le combat contre l’intolérable passe une fois de plus par la lutte contre la criminalité organisée, contre les mafias du désespoir.
Les témoignages recueillis par le magistrat d’Agrigento en Sicile, dans le cadre de son enquête contre le dernier maillon des mafias, sont les mêmes que ceux des derniers migrants arrivés à Lampedusa ou à Malte lors du terrible exode de la fin de l’été. Des histoires de réseaux criminels très bien organisés qui, pour 1.200 euros par personne, organisent depuis un centre de recrutement à Tripoli, en Libye, les voyages des migrants jusqu’à Lampedusa, raconte El Pais…
A Lampedusa, le naufrage continue. Après le départ des hauts dirigeants dans leurs berlines de luxe, emportant avec eux leurs promesses absurdes (comme les funérailles nationales promises par Enrico Letta, le chef du gouvernement italien), la Sicile fait de la nécessité une vertu afin d’offrir un lieu d’accueil aux survivants et un lopin de terre aux défunts. Un navire de guerre s’est chargé des 359 cercueils anonymes. Dont seize cercueils blancs. Et dix femmes enceintes qui ne se sont jamais réveillées du rêve d’une vie meilleure pour leurs enfants. Il faut donc faire quelque chose.
Le chef du gouvernement du premier pays concerné, Enrico Letta, a annoncé, lors d’un débat organisé par le quotidien La Repubblica, l’envoi (lundi 21 octobre) «d’une mission humanitaire navale et aérienne italienne qui devra faire de la Méditerranée la mer la plus sûre possible». Il a appelé l’Union européenne, sur la radio française Europe1, à mettre en œuvre «immédiatement» Eurosur, le système de surveillance des frontières de l’UE avec les pays de la Méditerranée.
La réponse de l’Europe devrait se faire à deux niveaux. À court terme, la Commission européenne travaille effectivement au renforcement de l’action en Méditerranée de Frontex, l’agence pour la gestion de la coopération aux frontières extérieures de l’UE, créée en 2005. Encore faut-il avoir de l’argent pour louer bateaux, hélicoptères et autre matériel de surveillance et de secours en mer. Or, son budget a été revu à la baisse, de 118 millions d’euros en 2011 à 85 millions cette année. «Tous les États membres de l’UE ont exprimé leur volonté politique d’une solidarité concrète pour les pays de la Méditerranée. Nous allons voir si ces paroles sont suivies d’actes», lance Michele Cercone, porte-parole de Cecilia Malmström, commissaire européenne pour les Affaires intérieures.
L’hebdomadaire Le point précise la position de la France. «De son côté, François Hollande s’est engagé la semaine dernière à « proposer une politique à nos partenaires qui s’articulerait autour d’un triptyque: prévention, solidarité, protection ». Paris soutient la proposition de la Commission européenne de dégager 30 millions d’euros pour répondre à l’urgence humanitaire et de renforcer l’action de Frontex: « Il faut améliorer les conditions d’accueil sur place des migrants et aider les pays qui ont la responsabilité de surveiller les frontières extérieures de l’Europe », dit-on dans l’entourage du président. La France veut aussi une action vis-à-vis des « pays de transit », Libye en tête, où la situation géographique mariée à la déliquescence de l’État fait la part belle aux passeurs. « Mais ça ne se fera pas en un jour », reconnaît-on à Paris».
Le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, a prôné le 12 octobre la tenue d’un sommet sur l’émigration «pour conjurer de nouvelles tragédies». «Si les événements récents au large de Lampedusa sont d’une horreur particulière et inadmissible, c’est -chaque année- un millier de jeunes Africains, dans la force de l’âge, qui terminent leur rêve d’eldorado dans la Méditerranée, dans la mer Rouge ou dans le Sahara», a affirmé M. Keïta dans une déclaration.
«Je voudrais appeler à un sommet international sur l’émigration, pour un dialogue inclusif entre les pays de départ et les pays d’accueil et pour que les responsabilités désormais assumées permettent de conjurer de nouvelles tragédies liées à l’émigration. Le Mali y serait avec toutes les bonnes volontés du monde, y compris et en tête le Souverain pontife (le pape François), l’Union Africaine, les pays de la Méditerranée et l’Europe», a-t-il déclaré.
Il faudra bien que tout le monde s’y mette pour éviter, au-delà des drames humains, des déséquilibres provoquant des désordres mondiaux.
Il ne faut donc pas oublier Lampedusa au nom du cœur, certes, mais aussi de la raison.
Patrice Zehr
Tres bon article, mes encouragement