Soleymane, 36 ans, éboueur, est marié et père d’un enfant. Ce jeune homme avant d’avoir eu un métier, a fait un long chemin… Son destin était chaotique. Voici son histoire.
«Je suis la graine d’un couple de vagabonds, cousins proches d’une famille de haineux complotistes qui les avaient délestés de leur héritage. Mes parents avaient été chassés sans pitié de leur chaume bâtie sans autorisation légale sur un terrain vendu à des tiers. Ainsi, complètement démunis, ils avaient trouvé refuge dans une bâtisse abandonnée en ruine du proche village qui abritait de nombreux clochards. A ma naissance, ma mère détruite par la sniff de cirage ou de colle mais n’ayant pas le cœur à me livrer en pâture à son entourage de «chemkaras» avait osé solliciter la bienveillance d’un de mes oncles, veuf, pour qu’il prenne soin de moi. Mais l’immuable malveillance familiale s’était abattue sur moi à la mort de ce dernier et je n’avais que 12 ans. Je n’avais pas tenté de retrouver mes parents, ce que je savais d’eux me l’interdisait. Alors avec quelques sous en poche, j’avais fui ces lieux où je n’avais plus ma place.
Je dois avouer qu’à mon âge, il n’avait pas été aisé de débarquer ni de survivre dans la grande ville. A de nombreuses reprises j’avais failli être intercepté par des individus aux avances très louches et d’autres fois par des chefs de gangs d’enfants des rues. Je n’avais eu que le mensonge ou le travail pour échapper à de sombres manigances. Mais le plus dur c’était de trouver un abri sûr pour dormir. Mon cauchemar avait provisoirement cessé quand un vendeur de légumes m’avait embauché pour l’aider. Malgré le fait qu’il m’avait permis de passer la nuit dans son magasin, je n’avais pas pu supporter longtemps son avarice. Donc après deux ans à son service, je l’avais planté pour m’en aller tenter ma chance ailleurs.
Durant une éternité, j’avais erré çà et là, mais un jour par le plus grand des hasards, je suis tombé sur une cousine éloignée de mes parents qui m’avait reconnu. Elle m’avait recueilli chez elle mais certainement pas par charité. En échange du gîte et du couvert, je trimais très dur. Près de 5 ans, pour pas le rond, je faisais office de boniche et boy chez cette femme au caractère de chien. Sans parler du vil mépris de ses enfants et de son époux qui était tout autant odieux. A mon adolescence ou plus, l’air était devenu irrespirable dans cette maison et sans regret, je retrouvais ma liberté. Encore une fois, je prenais pour destination la rue. Elle au moins, en dépit de tous les dangers qu’elle recèle, m’offrait toujours son hospitalité sans m’exploiter.
C’est ainsi qu’en journée je m’étais mis à vagabonder partout pour mendier. Tard le soir, il me fallait espérer dénicher un endroit pour pioncer. Fatigué de devoir improviser, j’avais fini par me poser régulièrement dans une ruelle tranquille et propre. Tous soirs, il y avait un homme qui fumait à son balcon. Il me voyait sortir mes cartons pour m’affaler entre deux voitures stationnées mais ne disait rien. Une fois, j’avais été battu à mort par un gardien croyant avoir affaire à un voleur. Cette nuit-là, tout le quartier avait été ameuté par mes cris de douleur. Il n’y avait eu que l’homme à la cigarette pour me défendre. Après ce douloureux incident, je suis devenu le protégé du coin. On m’accordait le droit d’accès aux garages pour ma toilette, ou me reposer mais jamais pour y passer la nuit. En échange de n’importe quel service que j’étais prêt à rendre, on me donnait de la nourriture, des vêtements, de quoi aller au hammam chaque semaine et aussi quelques pièces de monnaie.
Je vivais de cette manière, sans aucune autre ambition jusqu’à il y a 10 ans de cela. Mon destin allait se transformer radicalement parce que j’avais eu une vraie offre d’emploi. Pour un homme qui très tôt avait connu la rue pour domicile fixe et la mendicité pour seul revenu, c’était un cadeau inespéré. Je l’avais reçu de ce vieil homme du balcon à qui j’avais conté un bout de mon histoire. Je ne sais pas comment il avait réussi à me trouver cette place d’éboueur mais je lui en serai reconnaissant toute ma vie.
Grace à lui et à mon boulot, j’ai enfin eu droit moi aussi à un toit. J’ai également fondé une famille avec une femme qui travaille et nous sommes les heureux parents d’une petite fille. Et même si mon salaire est loin d’être mirobolant, je n’oublie jamais que c’est lui qui m’assure aujourd’hui une stabilité jamais rêvée. Mais sans mentir, la seule chose qui me titille parfois c’est le regard condescendant des autres alors que nous les débarrassons de leurs pestilentielles immondices. Il serait merveilleux et tellement encourageant que l’on manifeste un tout petit peu plus de reconnaissance à nous les «zbalas»…».
Mariem Bennani