Moi, livreur de vos e-commandes…

Farid, 38 ans, livreur motorisé, est célibataire. Ce jeune homme, handicapé, a souhaité nous informer de quelques failles de la tendance actuelle du e-commerce. Voici ce qu’il raconte.

«Parler de ce métier qui collabore étroitement avec le e-commerce, où j’ai atterri par le biais d’une opportunité tout à fait fortuite? Pourquoi pas ? Je tiens à préciser qu’il n’est pas question ici de me plaindre. Puisque en toute sagesse, je reconnais que ce taf me permet de me reconnecter à la vie normale en mettant progressivement de la distance avec mon regrettable passé, mes angoisses et mes peurs aussi.

Après avoir reçu mon diplôme délivré par une école privée, le destin m’avait flanqué un de ces coups qui aurait pu me coûter la vie. Je me souviendrai jusqu’à mon dernier souffle de ce soir d’été où j’avais un peu tardé à rentrer de

plage. C’était un dimanche, et ce jour-là, nous avions programmé avec mon indissociable groupe d’amis de tous nous retrouver pour jouer sur le sable au volley et profiter de baignades rafraichissantes. Nous savions pertinemment, ô combien en période estivale, il était difficile de compter sur les transports en commun tous bondés, peu importe l’heure. C’est pourquoi malgré le risque d’un trafic incroyablement dense, nous avions prévu de nous y rendre très tôt le matin en motocyclette. Peut-être que nous n’aurions pas dû, mais c’est bien entendu complètement idiot de l’affirmer aujourd’hui.

Et dire que j’avais failli ne pas me joindre à eux. L’obstination ayant été mon principal défaut à l’époque, j’avais fait fi du mécontentement de ma mère. En m’apercevant alors que j’étais à la recherche de mes affaires de plage, elle m’avait sommé d’en abandonner l’idée. Elle râlait parce qu’à son sens je prenais de trop mauvaises habitudes. Aussi, qu’elle préférait me voir m’activer dans la rechercher d’un job au lieu de perdre mon temps. Connaissant à fond ses manies, j’anticipais ses ordres qui n’allaient pas tarder à pleuvoir. Il était hors de question d’attendre qu’elle me fourgue, comme d’habitude, la laborieuse tâche de faire les courses ou je ne sais quoi de tordu encore. Donc, avant de finir planté comme un clou à l’un des murs de ma chambre, j’oubliais l’histoire de me fabriquer un sandwich ou de prendre une serviette propre. J’enfourchais dare-dare ma mob, vêtu d’une casquette, d’un teeshirt, d’un maillot short, et chaussé de claquettes. Ne pas penser en premier à se protéger la tête avec un casque était une pure folie. Mais, à 22 ans, on s’en tape… Malheureusement !

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Ma journée avait magnifiquement démarré. La plage était noire de monde. Nous nous étions défoulés à jouer comme des diables, sans oublier les innombrables contacts noués avec de belles personnes. Justement, à force d’échanges amicaux nous ne nous étions même pas rendus compte qu’il commençait à faire sombre. Encore, une bêtise absolument inconsciente, puisque nous avions une quarantaine de kilomètres à parcourir pour le retour. C’est sur cette route qu’un chauffard m’avait percuté de plein fouet. Mes amis m’ont raconté m’avoir vu voltiger en l’air puis m’abattre avec fracas heureusement sur le bas-côté. Sur la chaussée, j’aurai été broyé en une seconde par toutes les centaines de véhicules qui fonçaient. Résultat, j’avais frôlé la mort et j’avais échappé in extremis à une paralysie générale. C’est de cette façon que je n’ai jamais pu retrouver l’usage complet d’un de mes membres inférieurs.

Je ne me souviens plus du nombre d’années passées à me rétablir. En tous cas, tout mon organisme avait morflé, non sans pertes de mémoire également.

Avec le temps, mes problèmes de santé se sont tassés, mais je suis resté très longtemps handicapé. Je m’en sors pas mal aujourd’hui, même avec un pied bousillé et d’énormes cicatrices dues à de répétitives opérations chirurgicales. Dans mon malheur, j’ai eu la chance d’avoir des parents formidables qui m’ont

toujours soutenu en prenant soin de moi et en casquant beaucoup. En plus, je continue de vivre chez eux. Seulement, malgré cette situation pour certains de mes besoins personnels, à maintes reprises, j’ai tenté de bosser normalement. A mon grand regret, ces expériences se sont avérées guère compatibles avec mon état physique défaillant. Cependant après chaque longue période de chômage, pour mon équilibre psychologique, il devenait nécessaire de me secouer les puces. Et cette dernière proposition d’une copine de livrer des commandes internet tombait à pic.

Je l’avais très vite acceptée parce qu’elle était sans risque de me retrouver assis ou debout durant de longues heures. Pas crevant non plus que d’organiser mon planning puis de monter sur ma bécane pour aller remettre des petits colis à leurs propriétaires. Pour sûr que ce job, ou plutôt le salaire que je perçois ne me permettra jamais de réaliser mes rêves ou d’être capable de fonder une famille. Mais ce qui compte vraiment pour moi, au présent, c’est son pouvoir de débloquer mes liens fugaces avec le monde extérieur. Il faut me croire, à ce niveau-là, je suis comblé. Cet univers de livreur de commandes par internet, est loin d’être paisible. Il grouille d’arnaques qui se déclarent aussi bien du côté des acheteurs que des vendeurs, sans compter le risque de tomber sur un guet-apens de bandits.

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J’ai eu à livrer des gens qui avaient commandé des articles par le biais des réseaux sociaux et qui ont payé patate à l’avance. En ouvrant le paquet devant moi, la surprise pour l’acquéreur confiant était de taille. Je jure avoir vu des énormités comme un sachet de cacahuètes, une coque de portable pourrie, un caillou, un pot de confiote vide, un vulgaire petit tube de dentifrice, du faux parfum. Certes, les envois étaient corrects dans leur empaquetage et les articles enroulés dans du papier et jamais sans un sachet de sel. Que faire, devant l’imposture sinon qu’essayer de calmer la victime. Je comprends que c’est révoltant de se faire entuber de la sorte mais à qui la faute? Pour le coup, je recommande fortement de ne faire confiance qu’à de solides enseignes, ou références, ou le très efficace bouche à oreille.

Ce dont j’ai horreur par-dessus tout, c’est le tracas occasionné par ceux qui passent commande pour s’amuser ou qui changent d’avis entre temps. Par temps de coronavirus, il y en a eu tellement. Mais cela fait partie du lot de surprises, comme de devoir livrer quelqu’un créchant dans un coin perdu difficilement accessible par temps de pluie. Le plus marrant des scénarios m’attend presque toujours dans les quartiers très populaires des périphs. Quand enfin, j’arrive à destination, bonjour l’accueil. Des fois, le destinataire que je n’ai pas averti se méfie de moi comme si j’étais un huissier de justice. Je subis l’interrogatoire de toute sa famille, y compris de sa grand-mère perchée en haut accoudée au bord

la terrasse. Il m’en sort de partout, et je ne parle même pas de l’attroupement du voisinage en mal de curiosité.

Bref, tout cela s’oublie en effectuant de nombreuses opérations d’échanges avec des gens avertis polis et qui vous remercient toujours chaleureusement en paroles et même avec un petit bakchich en sus. L’un dans l’autre, je l’aime bien ma nouvelle vie de livreur !».

Mariem Bennani

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