Anissa, 62 ans, femme au foyer, dit vouloir quitter son mari à la retraite, après plus de 40 ans de mariage. Elle dit pourquoi et raconte son histoire depuis le début.
«Je me suis mariée à 18 ans, par amour, avec l’ami de mon frère. Il était étudiant interne dans notre ville, mais originaire d’un petit village dans la montagne, très éloigné de notre région. C’est une des raisons qui le faisait venir et rester chez nous les week-ends et parfois même pendant les vacances. Mes parents l’aimaient bien et le chouchoutaient un peu comme leur fils. Ils savaient que ce n’était pas commode pour un étudiant de cette époque de venir de si loin, les moyens de transport étaient rares et très coûteux.
Dès notre première rencontre, nous nous sommes passionnés l’un pour l’autre dans un secret absolu. J’étais encore étudiante et nous prenions mille précautions pour nous rencontrer de temps à autre quelques heures, aux alentours de mon lycée. Le reste du temps, c’était impossible: nous avions trop peur de nous faire prendre et que notre histoire éclate au grand-jour. Il aurait perdu toute l’estime de ma famille et moi, elle m’aurait tout simplement reniée. Cette situation était dangereuse pour nous deux. De ce fait, il n’a pas tardé à me demander en mariage solennellement, tout juste après avoir été, lui et mon frère, lauréats de leur promotion.
Mes parents et mon frère qui le connaissaient bien n’ont pas fait d’histoires. Mon futur mari, était orphelin et n’avait pas de moyens, mais c’était un jeune homme brillant dans ses études, ambitieux, mais tranquille, bien éduqué, poli, avec une fierté redoutable. Il leur avait seulement promis de tout faire pour m’assurer une vie heureuse, confortable. C’est ce qu’il a fait, il n’avait pas menti.
Je n’ai pas connu ses parents puisqu’ils étaient décédés. Par contre, il avait lui aussi une grande famille, des gens très bien avec qui je n’ai jamais eu de problèmes. Je n’ai pas poursuivi mes études. Mon mari ne le souhaitait pas. J’ai eu 5 enfants dont 3 en couples aujourd’hui. J’ai le bonheur d’avoir aussi des petits enfants. Toujours heureuse aux côtés de mon mari à m’occuper de lui, de mon petit foyer en assurant le bon fonctionnement de ma maison et l’éducation de mes enfants, ainsi que leur scolarité, c’était ça mon activité quotidienne.
Je ne me suis jamais plainte, ni de ma vie, ni de mon mariage, ni de mes enfants, ni de la charge de travail que j’avais à exécuter. Tout cela n’était que du bonheur pour moi.
Ce qui est incroyable, c’est qu’aujourd’hui, après tant d’années de mariage sans anicroches, je ne me sens pas bien, j’étouffe et le plus grave est que je sais ce dont je souffre. Mon mal n’est autre que mon mari. Depuis qu’il a pris sa retraite, il n’est plus le même, c’est un autre homme à mes côtés. Il n’est plus celui que j’ai tant aimé et respecté. Il m’arrive de le haïr et ça, je ne le supporte pas.
Quand je l’ai épousé, Rachid venait tout juste d’être engagé dans la Fonction publique. Nous démarrions alors avec peu de moyens, mais nous avions beaucoup d’ambition, un désir presque viscéral de réussir, pour nous hisser au même niveau social que certains de nos proches parents les plus aisés, ceux qu’on admirait. Nous avons toujours été un couple uni, complice; c’était le secret de notre victoire. Parce que oui, nous avons réussi grâce aux efforts de mon mari qui n’a cessé d’être avide de perfection dans sa fonction et de gravir les échelons supérieurs. C’est ce qui lui a permis d’accéder à une situation professionnelle admirable. Et aussi grâce à moi qui ai su gérer nos revenus et notre foyer. Nous avons pu acheter une belle maison, instruire nos enfants jusqu’à ce qu’ils trouvent du travail. Nous en avons marié trois et aujourd’hui, nous avons le bonheur d’avoir des petits enfants. Il nous en reste deux encore qui tardent à vouloir quitter le cocon familial.
Mais ce bonheur d’avoir accompli tout cela, je le vois expirer de jour en jour à cause de mon mari. Depuis qu’il a pris la retraite, il est devenu grincheux, aigri, avare et s’acharne à pourrir notre quotidien. Il râle tout le temps pour du menu fretin, de la poussière, du linge non repassé, ma cuisine, les émissions que je regarde à la télé. Il ne veut plus sortir et reste tout le temps à la maison à inspecter les recoins, à me dire en rabâchant comme un vieux disque rayé comment je dois m’y prendre en tout. C’est épouvantable et insupportable. Même pour le marché et les courses, il a mis un point d’honneur à les faire tout seul sans se concerter avec moi. Depuis, je n’ai que le strict minimum en marchandises. Quant aux fruits, légumes et viandes, plus de la moitié sont immangeables. Il suffit que j’émette la moindre critique sur ses agissements pour il me traite d’ignare qui veut le ruiner. Si j’ai le malheur de lui rétorquer qu’il ferait mieux de se trouver une autre occupation que celles de la maison et de m’empoisonner la vie, alors il se met très en colère. Il a même osé dernièrement me dire que si je n’étais pas contente, je pouvais m’en aller vivre ailleurs et qu’il est après tout chez lui. J’en ai beaucoup pleuré, parce que cela m’a humiliée de savoir qu’après toute ma contribution à ce qu’on a acquis, il considérait le tout comme lui appartenant à lui seul et pouvait me jeter du jour au lendemain sans ressources, ni dignité. Mes deux autres enfants, ceux qui vivent encore avec nous, s’inquiètent pour notre couple et ne supportent plus nos disputes quotidiennes. Nous nous donnons en spectacle de façon quasi-permanente, parce que je n’en peux plus de le laisser faire. J’ai bien peur que mon mari ne soit en proie à une dépression et moi je n’ai plus la force de le supporter plus longtemps. Se remettrait-il en question si je faisais mes valises? Mais pour aller où et avec quels moyens? Je ne peux me permettre de causer du souci à mes enfants, pourtant je souffre beaucoup de cette situation que je n’avais au grand jamais envisagée».
Mariem Bennani