Rajaa, 42 ans, femme de ménage dans un bar, divorcée, a 3 enfants. Son fils de 16 ans lui mène la vie dure à cause de son nouveau travail. Voici son récit.
«Depuis que je travaille dans un bar en tant que femme de ménage, entre mon jeune fils et moi, c’est la guerre. Il nous rend la vie impossible, à moi et à ses sœurs. Pourtant, ce nouveau job que mon fils dénigre nous permet une vie plus décente. J’en ai plus qu’assez qu’à chacun de mes retours à la maison, je sois obligée de me battre contre la hantise du «qu’en-dira-t-on» de mon fils.
C’est révoltant! Parce qu’en ce qui me concerne, il y a bien longtemps que je me fiche des commérages des uns et des autres. Ils ne m’ont jamais nourrie. Il m’a toujours fallu relever les manches pour assurer le minimum vital à mes enfants. Leur père, ce n’était qu’un pauvre ouvrier irresponsable qui, en plus d’être un gagne-misère, avait la tare d’être un coureur de jupon. Pendant que je m’en allais travailler, mon mari papillonnait. Il en fut ainsi jusqu’à ce qu’il se stabilise dans un adultère avec une voisine qui vivait seule. Evidemment, une fois leur secret percé, je leur avais fait un scandale. Cette idiote avait juré de se venger. Elle tenait tellement à ce minable qu’elle m’en débarrassa. Quelle chance pour moi qui ne supportais déjà plus cette calamité de parasite vivant à mes crochets. Aujourd’hui, je me réjouis encore plus des dernières nouvelles de ce côté. Mon ex-mari a ruiné sa concubine en lui vendant tout son petit mobilier, jusqu’à la dernière cuillère, puis a assuré ses arrières en s’établissant avec une autre victime.
Heureusement que je n’avais jamais abandonné mes premiers employeurs. Grace à eux, j’ai pu m’en sortir avec trois enfants en bas âge à ma charge. Le problème est que dix années plus tard, il m’était impossible de les suivre aux Etats-Unis. Il fut alors très difficile pour moi de retrouver un même emploi et surtout avec les mêmes avantages. J’entamais une sombre galère. Je n’arrivais plus à garder le moindre emploi au mois. Dans l’hôtellerie ou la restauration, je ne trouvais que des remplacements où des collègues aux comportements perfides, parfois outranciers qui ne m’ont laissé aucune chance de m’intégrer. Je dus revivre pratiquement le même scénario du côté des cafés et autres buvettes, avec en sus un salaire miséreux pour des horaires de travail plus qu’accablants. Désabusée, mais dans la nécessité absolue, je me tournais vers les ménages à la journée où j’usais mes forces et ma santé. Je ne refusais aucune demande. Il était hors de question que mes filles abandonnent leurs études pour m’aider à tenir le coup. Elles en faisaient déjà trop en s’occupant de leur jeune frère. Il en fut ainsi jusqu’à ce que je tombe complétement à plat. Dès lors, plus aucune maison ne sollicitait une auxiliaire affaiblie.
N’ayant plus le choix, je tentais ma chance du côté des bars, alors que je n’avais jamais osé en franchir le seuil. Honnêtement, enfin, j’y trouvais le meilleur traitement et le meilleur des salaires. Malheureusement pour moi, c’est mon fils de 16 ans qui allait cette fois me donner du fil à retordre. Il commença par me dire que j’allais leur porter la honte, à ses sœurs et à lui. Et que mon argent «haram», il n’en voulait pas chez nous. Le plus fort est qu’il continuait d’exiger son argent de poche quotidien. Pour éviter tout malentendu et bien me faire comprendre, je ne cessais de rabâcher que je n’avais aucun contact avec la clientèle, puisque je ne m’occupais que de la vaisselle et de remettre les lieux en état. Et que sans ce job, il ne me restait plus qu’à faire la manche. Toute communication allait être rompue entre nous lorsqu’il me répondit qu’il préférait qu’il en soit ainsi, plutôt que ses amis disent de sa mère qu’elle est une prostituée. Il continua sa petite vendetta en faisant la grève de la faim durant une semaine, puis se mit à faire semblant d’être agonisant. Il s’attaqua ensuite à ses sœurs qui ne s’étaient pas rangées de son côté, puis à la vaisselle et même aux meubles.
Je n’ai pas cédé à son chantage pour autant. Parce que, de toute évidence, mon fils, qui voudrait m’imposer ses volontés, par crainte du soi-disant déshonneur, a vite oublié le temps de mes rentrées en yo-yo et celui de mon chômage. Et puis, dans l’immédiat, je ne peux même pas espérer compter sur lui ou sur ses sœurs pour m’aider à augmenter le revenu familial. Alors, je continue… Et on verra bien qui se rendra le premier à l’évidence!».
Mariem Bennani