Boubker, 39 ans, cadre administratif, marié et père de 2 enfants, est abasourdi. Il n’avait jamais imaginé devoir retourner vivre chez ses parents et encore moins y enfermer son père. «Il a perdu la raison et il nous la fait également perdre pour sa sécurité et sa survie», se désole-t-il.
«Mon père, cet homme que j’idolâtre, est en train de s’écrouler, de sombrer dans l’enfer. Hélas, ni moi, ni la médecine, ni personne ne pouvons rien pour lui. Il est là, dans un état de semi-conscience, incapable de me reconnaître. Quel désastre pour moi qui, tout au long de mon existence, n’ai cessé d’essayer de lui plaire, de lui donner matière à s’enorgueillir de mes résultats scolaires, de mes ambitions réalisées! Voilà aujourd’hui qu’il me lâche. Pas seulement moi, ma mère également et les autres… Cela m’est insupportable. J’implore le Seigneur de permettre un miracle, j’ai tant encore besoin de lui.
Mon pauvre père est atteint de cette maladie neuro-dégénérative abominable: la bête immonde d’Alzheimer. Qui l’aurait cru et comment cela est-il arrivé? Nous n’en savons rien. Cela nous est tombé dessus ou, sûrement, nous n’avons pas pris comme signal d’alarme les fois où il oubliait des dates, des événements cruciaux et certains endroits pourtant si familiers. Cet homme qu’on enferme aujourd’hui ne ressemble pas à mon père. Non, ce n’est pas lui, c’est impossible! Ma pauvre mère qui prend soin de lui souffre tellement et nous implore de venir l’aider et je compte bien laisser ma petite famille et revenir habiter dans la maison paternelle.
Mon père n’a jamais été quelqu’un de commode. Maintenant, son comportement est pire. Il débite des paroles incompréhensibles, tantôt agressif, tantôt absent, refusant obstinément tout soutien, mais réclamant jusqu’à l’hystérie le désir de sortir de sa chambre. Nous l’avons perdu une fois, nous avons failli devenir fous, plus que lui. Après 3 jours de recherches, c’est une personne de notre entourage proche qui nous a appelés pour nous dire avoir vu notre père être maltraité par des voyous. C’est dans un sale état que nous l’avons récupéré. Cette situation nous avait complétement anéantis. Il n’y a que ses calmants pour l’assommer.
Il nous a été difficile de nous rendre compte qu’il était malade, parce que ce ne sont guère ses habitudes.
Toutes ces dernières années, depuis sa retraite, mon père s’enfermait dans son bureau. Il a toujours adoré lire et écrire. Il nous disait parfois avec beaucoup d’humour qu’il vieillissait et que ses pertes de mémoire étaient fréquentes. On le voyait s’agiter, remonter plus de dix fois son pantalon en répétant plusieurs fois la même phrase comme pour retrouver le fil de son raisonnement. Nous pensions que ce stress provenait de l’ennui. Puis, nous oubliions ces incidents lorsque, le dimanche, lors du repas familial, il se mettait à nous réciter divinement ces beaux poèmes arabes qu’il connaissait par cœur. Pourtant, selon le médecin traitant, il était déjà au stade «un» de la maladie.
Plus tard, bizarrement, il était devenu infernal avec ma mère, beaucoup plus que la norme. Je le constatais chaque jour. Comme d’habitude, avant de rentrer chez moi, je faisais un petit saut chez les parents pour m’assurer que tout allait bien. Je retrouvais ma mère en sanglots et lui, enfermé dans son bureau. Il s’en prenait à elle pour des broutilles, puis la boudait refusant de manger ou de boire. Je connaissais ses paroles dures et cinglantes. Prendre une gifle a toujours été plus doux que le grondement de ses mots. Je sus plus tard que la fréquence de son comportement abject avec ma mère était également due à la maladie.
Quelle tragédie! Avoir consacré presque toute sa vie à son métier et à sa famille, puis au moment où arrive enfin la période du repos, la loterie de la vie vous inflige un autre sort! C’est la descente aux enfers de mon père: être condamné à ne plus nous reconnaître, à ne plus savoir qui il est, ni à mesurer l’ampleur de ses actes.
Nous avons compris qu’il était sérieusement malade le jour où il a pris sa voiture pour se rendre au marché et qu’il en est revenu à pied. Le lendemain, c’est lui-même qui a fait tout un cirque, persuadé d’avoir été victime d’un vol. Prévenu par ma mère, j’accourrai. Le gardien était formel, il n’avait pas vu mon père garer son auto la veille. J’essayais vainement de soutirer une information fiable à mon père, mais rien! Il radotait. Il répétait furieusement ne pas s’être servi de sa voiture depuis plusieurs jours. Puis, très contrarié qu’on lui rappelle le marché de la veille, il se mit à nous insulter, négligeant même la disparition de sa voiture pour ne plus laisser exploser que sa colère. Plus l’ombre d’un doute, mon père n’allait pas bien du tout. Déterminé à l’emmener consulter un médecin au plus vite, je m’en allais voir du côté du marché en premier. Je trouvai sa voiture stationnée. Je la ramenai plus tard, feignant que la police l’avait retrouvée pour éviter une autre crise d’hystérie. Je pris à part ma mère et lui ordonnai de fermer la porte à double tour et d’éviter que mon père ne sorte seul, sous aucun prétexte. Je fis le nécessaire pour la visite chez un spécialiste. Il a fallu utiliser la ruse pour qu’il l’accepte. Après plusieurs examens, le médecin a été formel: mon père souffrait de la maladie d’Alzheimer à un stade très avancé.
La nouvelle nous a ravagés de désespoir. Aujourd’hui, son état empire, ma peine est incommensurable de le savoir condamné, irrécupérable. Nous souffrons tous, psychiquement, physiquement et financièrement. Cette maladie est une grande fatalité. Actuellement, faute de ne pas avoir les moyens d’engager une personne spécialisée pour prodiguer des soins appropriés à mon malheureux père, je ne quitte plus ma mère sauf pour aller travailler et rendre visite à mes enfants et à mon épouse».
Mariem Bennani
Il est vrai que cette maladie est un enfer et surtout pour la famille . Ma mère est malade de l’Alzheimer et nous l’avons diagnostiqué il y a déjà un an mais c’était déjà trop tard car elle soufrait de cette maladie depuis presque 5 ans . Le plus difficile est de gérer le quotidien vue qu’elle ne sait plus rien faire toute seule et qu’on est encore jeune et on n’a pas encore finit nos études . On essaye de faire de notre mieux ,la voir ainsi et dans cet état me rend malheureuse ,elle qui a sacrifié sa vie et quitté son pays pour nous élevé et malgré toutes les difficultés qu’elle a surmonté : un divorce,pas de famille vue qu’elle n’est pas tunisienne et maintenant quand c’est le temps de se reposer et de compter sur nous la vie s’acharne contre elle . Mais comme on dit la vie continue et on soulèveras les montagnes s’il le faut pour la rendre heureuse