Petite bonne, hier, Amina, 40 ans, vient tout juste de se marier et attend un enfant. Elle se dit chanceuse et pense commencer enfin à savourer la vie dans la dignité, grâce à son mari, un sexagénaire divorcé, abandonné par les siens. Elle raconte son triste passé et ce nouveau bonheur qui l’avait si longtemps boudé.
«Je suis née dans un petit village du Haut Atlas. Mon père qui était militaire, nous avait laissés, nous ses six enfants, avec ma mère, vivre auprès de ses parents, jusqu’à ce que nous ayons l’âge d’aller à l’école. Nous avons passé notre enfance dans la montagne à le voir seulement pendant les quelques jours de permission qui lui étaient accordés. Puis, il put enfin nous faire venir pour vivre à ses côtés.
Nous sommes arrivés en ville heureux de vivre enfin réunis, j’avais 5 ans. Mais quelques années plus tard, nous fûmes frappés par un terrible coup du sort, mon père eut une crise cardiaque. Après maintes et maintes opérations, il ne put être sauvé. Les primes et autres indemnités mirent beaucoup trop de temps à nous parvenir et furent englouties par les dettes. Tout cela était vraiment insuffisant. Nous dûmes arrêter notre scolarité pour aller travailler. Nous qui étions si choyés, nous dûmes nous débrouiller tout seuls, ma mère ne parlait pas un mot d’arabe, juste le berbère. Nous nous sommes séparés, pour aller travailler chacun de notre côté et rapporter notre contribution à la maison. Je fus engagée dans une famille comme petite bonne. J’avais 8 ans et malgré mon tout jeune âge, je comprenais que c’était une question de survie. Je travaillais consciencieusement même si cela était très difficile et éprouvant. Je m’arrangeais pour que l’on ne me fasse pas la moindre remarque qui aurait pu faire de la peine à mère. N’était-elle pas déjà dans la plus grande détresse. J’étais une petite fille d’une extrême vivacité d’esprit avec une hargne tenace contre la malchance. J’étais même arrivée, sans le consentement de quiconque et grâce à d’autres bonnes que je croisais dans les terrasses, alors que j’étendais le linge, à me trouver du travail dans d’autres maisons pour un salaire plus important. J’avais appris à confectionner les «rghaïfs » et autres crêpes à la perfection et à cuisiner aussi. C’est ce qui m’a permis de ne plus travailler au mois, dans les maisons, mais à la semaine, dans les cuisines de laiteries. A seize ans, grâce à cela, j’ai trouvé du travail dans un café. J’eus le malheur d’y rencontrer un jeune homme, qui me fit la cour pendant une année. Je ne pouvais pas me marier avec à lui parce qu’il aurait fallu ne plus aider ma famille et ça, je ne pouvais pas me le permettre. J’ai dû, à cause de lui, quitter le travail et cette petite ville de Chichaoua, pour aller m’installer à Salé, chez ma mère. Je trouvai du travail dans un café et j’étais correctement payée. Après beaucoup de privations et d’acharnement, chacun de nous finalement s’en sortait. Les plus âgés de mes frères et sœurs se marièrent et s’installèrent chez eux. Mon petit frère qui s’en sortait très bien, put construire sa propre maison et nous permit de vivre avec lui. Il me demanda même d’arrêter de travailler pour rester auprès de mère. J’étais enfin heureuse, mais pas pour longtemps. Deux grands drames m’attendaient. Mon petit frère se maria avec une jeune fille qui me détesta d’emblée. Elle était la cause de terribles disputes entre mon frère et moi. Cette femme était diabolique, elle a longtemps été la cause de ma détresse. J’avais, à cette époque, été demandée en mariage par un jeune homme. Tout était prévu pour que nous célébrions notre mariage. En pleine cérémonie, alors que les adouls étaient présents pour transcrire mon contrat de mariage, cette belle-sœur s’arrangea pour provoquer ma belle-mère. Elles s’arrachèrent les cheveux et le jeune homme que je devais épouser se sauva. Je ne le revis plus jamais. Pire encore, mon frère m’expulsa de chez lui. J’étais aigrie et malheureuse. Je souffrais trop de ne plus revoir ma mère et d’avoir été abandonnée par l’homme que j’aimais. Un an plus tard, mon frère divorça de cette vipère et nous nous réconciliâmes. Mais, je n’oubliais pas et, à être la seule célibataire de la famille, j’étais désespérée… Je rencontrais énormément de personnes et des fausses promesses de mariage, j’en avais à la pelle. Je quittais donc Salé pour aller cacher ma misère et travailler à Kenitra. Après des années de travail dans les cafés, ou dans les maisons, je rencontrai Mohammed, plus âgé que moi de 20 ans. Je le rencontrai dans un bureau de comptabilité où je faisais le ménage une fois par semaine. Il était resté tard à attendre son tour et moi je finissais mon travail. C’est lui qui engagea la discussion, en me demandant s’il pouvait avoir un verre d’eau, en berbère. C’est ce verre d’eau qui nous rapprocha jusqu’à nous fréquenter. C’est avec cet homme que je me suis mariée. Il en avait assez de vivre tout seul, il avait divorcé parce que sa femme –qu’il avait emmenée à l’étranger- ne voulait pas revenir au pays pour y vivre avec lui. Lui, cet orphelin qui avait tant veillé à ce que les siens soient protégés et à l’abri du besoin se rendait compte, amèrement, que personne, pas même ses enfants, ne se souciaient de lui et de sa solitude. Après un an de vie commune, mon mari m’a acheté un petit appartement en mon nom. Il m’a ouvert un compte bancaire et me verse tous les mois un petit montant pour mon usage personnel. Actuellement, je passe mon permis de conduire et mon mari va bientôt m’acheter une petite voiture. Moi, l’ex petite bonne, j’attends un enfant et avec mon mari que Dieu le bénisse et le protège nous sommes très heureux. C’est mon petit conte de fée».