Naïma, 45 ans, cadre dans une entreprise, est mariée et a 2 enfants. Les personnes âgées ne peuvent se rendre compte à quel sorte de danger elles s’exposent sur le net. C’est ce que raconte cette jeune femme…
«Tout récemment, je me suis trouvée dans l’obligation de protéger mes parents. Plus exactement mon père qui a failli être victime d’escroquerie sur le net. Je n’ai pas jugé nécessaire d’éclairer, ni de terrifier ma pauvre mère sur de pareils dangers. Quant à mon pauvre père de 78 ans, je l’ai débarrassé, sans qu’il le sache, d’un danger imminent qu’il encourait. Ceci étant dû à sa crédulité d’homme, senior de surcroît et à sa connaissance sommaire des dernières avancées technologiques. J’ai agi sans son consentement et je me félicite du résultat. Au moins maintenant, tout est en ordre. Je retrouve la jovialité et l’entrain chez nous, comme avant.
Depuis 6 ans, chaque fin de matinée, après mon boulot, je rends visite à mes parents qui prennent de l’âge. Cela me permet de ne pas m’inquiéter à leur sujet, de bavarder un brin avec eux et de préparer leur dîner et le mien. Mon père s’est toujours félicité d’avoir une fille comme moi. Parce que je délaissais mon mari et mes enfants pour égayer leur quotidien devenu si ennuyeux. Dans leur cuisine, nous nous activons, tous les trois, tout en discutant de sujets, importants ou non. Je rentre vers 20 heures chez moi avec un dîner prêt à savourer et qui consolait l’ambiance chargée de reproches.
Cela se passait toujours de la sorte, jusqu’à il y a quelques semaines. Mon père s’est déclaré préoccupé par des affaires de la plus haute importance à régler avec mon frère qui se trouve à l’étranger et avec qui je ne suis pas en bons termes. Il me saluait rapidement à mon arrivée, puis prenait congé de moi immédiatement, pour s’enfermer à double tour dans son bureau. Etant exténuée à cette heure de la journée, je ne l’attendais pas pour la préparation du dîner. Les éternels problèmes de mon frère ne m’intéressaient pas. Ce petit manège dura près de 3 semaines. C’est pourquoi je commençais à m’inquiéter du comportement de mon père. Lorsque je m’étais aventurée à le questionner, bizarrement, il s’était mis dans tous ces états. Sans ménager ma susceptibilité, je l’avais entendu me dire que je n’avais plus besoin de venir tous les soirs; qu’un coup de fil de ma part, une fois par semaine, était largement suffisant pour prendre de leurs nouvelles jusqu’au week-end. M’accusant d’agressivité gratuite à son encontre, il avait ajouté qu’ils ne pouvaient se pardonner, lui et ma mère, que mes absences compliquent ou aggravent les relations avec mes adolescents. Franchement, d’emblée, cet intérêt soudain pour ma petite famille, je le trouvais mal venu en ce moment précis. Il me paraissait plutôt louche. Même si dans le fond, mon père n’avait pas vraiment tort. Je stressais énormément du fait que mes deux garçons prenaient trop de liberté et que mon mari, trop laxiste, s’interdisait toute chicane avec eux. Seule mon autorité pouvait limiter leurs sorties et surtout cette foutue addiction au net. Sans quoi leurs résultats scolaires seraient désastreux. Je ne savais pas encore que le troisième âge, lui aussi, avait besoin de moi pour instaurer l’état d’alerte permanent et des mesures draconiennes pour contrer les dangers de la toile.
Ce sont les confidences de ma mère qui allaient m’indiquer que mon intuition ne m’avait pas trompée. Un samedi après-midi, elle pleurait l’attitude de mon père qui restait prostré en face d’elle des heures durant, le nez plongé dans son smartphone. Lorsqu’elle lui en avait fait les reproches à plusieurs reprises, il lui avait abandonné son téléphone, pour s’en aller bouder dans son bureau. Elle m’avoua qu’elle l’avait entendu en sortir à des heures indues et qu’il s’était installé depuis dans le salon pour dormir.
Ce jour même, à l’heure de ma visite, mon père était absent. Il était chez le coiffeur. Après avoir entendu le récit de ma mère, sans hésiter, je me suis introduite dans son bureau. En inspectant les tiroirs et les recoins, je trouvais sous le coussin de son fauteuil un téléphone flambant neuf, identique à celui qu’il avait délaissé à ma mère. Mon petit papa, quel malin, décidément! Qui aurait cru de lui tant d’ingéniosité pour tromper ma pauvre petite maman, pour qu’elle le laisse tranquille? Je fus très indiscrète, mais cela en valait la peine. Ses codes d’accès étaient inscrits au feutre à l’intérieur d’un de ces gros livres qui trônaient sur une petite table, à côté de son fauteuil. Je déverrouillais aisément le téléphone et l’accès à ce réseau social bien connu. J’avais enfin sous les yeux ce qui troublait tant mon père et qui pompait toute son attention. Il perdait son temps à discuter avec de nombreuses femmes dont les photos de profil étaient très provocatrices, parfois à la limite de l’indécence. C’est l’une d’entre elles et sa conversation avec mon père qui me fit bondir de rage. Elle lui expédiait des photos d’elle, sans montrer son visage, en petites tenues très légères, des chansons d’amour, des vidéos érotiques. Enfin, de quoi provoquer un arrêt cardiaque chez un homme de son âge. Passons sur ces détails, je fixais seulement ces phrases: «- Peux-tu me rendre service chéri? Je n’ai plus de solde et je me trouve à la ferme»; «- Je suis à Casablanca avec ma mère, j’ai oublié de payer mes factures d’électricité et d’eau. Peux-tu, mon amour, déposer cette somme au gardien de mon immeuble? Je te rembourserai à mon retour». Cette dernière, plus que les autres, me terrorisa: «Chéri, j’ai vraiment envie de te rencontrer, mais je dois me faire opérer dans la semaine et j’ai besoin d’un chèque de caution au porteur de 30.000 dirhams. Mais je n’ai pas de chéquier». Il s’agissait de racket, bien évidemment!
Si mon père avait été veuf, je ne me serais pas mêlée de son petit jardin secret. Mais délaisser ma mère, pour se livrer à des cochonneries qui allaient les priver certainement de toutes leurs petites économies, m’est resté en travers de la gorge. Immédiatement, je me suis fait passer pour mon père. J’ai écrit à cette inconnue, lui demandant le plus joliment possible de me rejoindre dans un café pour lui remettre le chèque. J’effaçais également l’historique de toutes les conversations, bloquais toutes les personnes de la messagerie et du téléphone. Tout en prenant soin d’ajouter mon adresse de messagerie afin de recevoir toutes les notifications. Je laissais le compte ouvert. De toute façon, j’avais de quoi l’espionner secrètement. Je savais que mon père ne pouvait y comprendre que dalle: tout cela était bien trop compliqué pour lui. Il ne me restait plus qu’à attendre l’heure de mon rendez-vous.
La jeune femme qui pénétra dans le café de mes amis, était fort belle et jeune. On ne pouvait croire qu’il s’agissait d’un larron. Elle s’attabla et nous eûmes le temps à son insu de la prendre en photo. Ensuite, je pris place en face d’elle en déclinant ma véritable identité. Elle mentit en disant ne rien comprendre. Finalement, pour en finir rapidement et sans scandale, je la menaçais de porter plainte à la police pour prostitution et harcèlement sur une personne âgée, pour lui soutirer de l’argent par le biais de réseaux sociaux. Et que je n’avais qu’à donner son numéro de téléphone et ses messages, avec sa photo. Je ne savais même pas si cela était envisageable, mais je tentais le tout pour le tout. Elle jura ne pas connaître mon père, puis plia bagage comme si elle avait vu surgir le diable.
Les jours qui suivirent, je retrouvais mes parents comme à l’accoutumée. Mon père avait l’air serein, ma mère aussi. Je remercie le Seigneur d’avoir pu faire face au pire. De temps à autre, je continue de faire le guet en regardant ce qu’il traficote. Il n’y a plus eu de demande d’argent ou quoi que ce soit du genre… Seulement quelques petites discussions bien frivoles».
Mariem Bennani