S’imaginer que le bombardement d’une ville puisse se faire en épargnant les populations civiles est, au mieux, une naïveté, au pire, un mensonge assumé. Ce n’est pas parce qu’on se range dans le camp du bien qu’on ne fait pas de mal.
Au début de l’interminable calvaire en Syrie, une information militante et favorable aux rebelles contre la tyrannie donnait l’impression que la rébellion tuait des oppresseurs sadiques et le régime des femmes et des enfants. Ce n’est bien sûr pas si simple, jamais nulle part.
La difficile reconquête de Mossoul en a apporté une preuve: la guerre civile n’épargne pas les civils et encore moins quand s’y ajoutent des interventions internationales. Les Russes, on le sait, ne font pas dans le détail et les états d’âme, ils ne se rangent pas dans le camp du bien, mais dans celui de leur intérêt national. Le discours de la coalition est différent. Celle-ci affirme se battre pour la démocratie et la liberté du peuple. Mais cela n’empêche pas que ce peuple paye, comme toujours, le prix fort à tous ses libérateurs auto-proclamés.
Mais il y a une différence pour Mossoul, le drame est quasiment reconnu et assimilé à une bavure.
Une attaque aérienne visant des militants du groupe armé Etat islamique (EI), dans la ville irakienne de Mossoul et qui aurait tué au moins 100 civils, selon des témoins, a été lancée par l’armée américaine, ont annoncé des responsables à Washington.
La déclaration publiée par la coalition dirigée par les Etats-Unis fait état d’un raid aérien réalisé à la demande des forces de sécurité irakiennes, afin de cibler des combattants et des équipements de Daech «à l’endroit où des témoins affirment qu’il y a eu des victimes civiles».
Les troupes irakiennes, soutenues par les Etats-Unis, combattaient les forces de l’EI dans cette région de l’ouest de Mossoul, selon le communiqué.
La coalition a déclaré qu’elle prend au sérieux toutes les allégations de victimes civiles et qu’une enquête officielle a été ouverte, afin de déterminer les faits entourant cette attaque et la validité des allégations concernant les victimes. Des politiciens irakiens avaient exprimé leurs inquiétudes, face aux informations selon lesquelles des bombardements aériens auraient tué plus d’une centaine de civils dans l’ouest de Mossoul.
Dans des petits messages envoyés sur son compte personnel, le président du Parlement, Salim Al-Jabouri, a déclaré qu’il «réalisait l’immense responsabilité sur les épaules des soldats», mais il les a appelés à «ne ménager aucun effort pour sauver les civils».
Sur son site internet, le vice-président, Osama Al-Nujaifi, a pour sa part décrit l’incident comme une «catastrophe humanitaire», critiquant la coalition et l’utilisation de la force excessive par la police militarisée. M. Al-Nujaifi a parlé de «centaines» de morts.
La coalition estime que les bavures font maintenant partie de la stratégie de désespoir des djihadistes aux abois dans la grande ville.
Les djihadistes étaient «environ 2.000» au démarrage de l’offensive sur Mossoul-ouest mi-février. Mais «nous pensons qu’ils sont moins de la moitié maintenant», a déclaré le colonel Joe Scrocca, un porte-parole de la coalition.
Les forces irakiennes, qui comptent de leur côté environ 100.000 hommes, ont déjà conquis la partie est de la ville et progressent désormais dans la vieille ville, un entrelacs de ruelles étroites et de vieilles constructions où des dizaines de milliers de civils sont pris au piège.
Le porte-parole américain a estimé que le groupe Etat islamique tentait délibérément de provoquer des bavures de la coalition, en rassemblant des civils dans des bâtiments, puis en essayant d’attirer des frappes aériennes dessus». L’EI fait rentrer en catimini des civils dans un bâtiment «en essayant d’échapper à la surveillance des drones de la coalition, «et essaie d’inciter la coalition à attaquer» pour tirer avantage du «tollé dans l’opinion» et du climat de «terreur», a-t-il estimé.
«Pour la première fois hier (28 mars), nous avons pris des images vidéos» de cette tactique. «Des combattants de l’EI forcent des civils à rentrer dans un bâtiment, tuant l’un d’entre eux qui résiste, puis ensuite utilisent ce building» pour tirer sur les forces irakiennes, a-t-il expliqué. Le chef militaire de la coalition, le général Stephen Townsend, a d’ailleurs reconnu qu’une frappe de la coalition, le 17 mars, était «probablement» à l’origine de la mort de dizaines de civils.
Les chefs militaires américains affirment toutefois que la munition employée ce jour-là ne suffisait pas à expliquer les destructions et les pertes humaines observées. Ils soupçonnent notamment que le bâtiment ait pu être piégé, ou bien que l’explosion d’un camion piégé ait pu démultiplier les dégâts.
Guerre de communication et thèses bien sûr invérifiables. Mais cette guerre à Mossoul n’épargne pas les civils bombardés par les uns et otages pour les autres.
Patrice Zehr