Le 8 janvier dernier, un appel royal était lancé pour que des prières surérogatoires aient lieu dans toutes les mosquées du Maroc vendredi 10 janvier.
L’objectif de ces prières est d’implorer la clémence divine afin que la pluie, indispensable à une bonne campagne agricole mais déjà très en retard pour la saison, arrose enfin le pays et le sauve de l’année de sècheresse qu’à leur grand dam, les agriculteurs –et avec eux, tous les Marocains- voient se profiler.
Au Maroc, c’est connu, la pluie est au cœur de tout. Elle est l’élément déterminant dans l’économie nationale. D’elle, dépend très largement le bon ou mauvais taux de croissance annuel. Le PIB agricole intervenant pour une part plus importante que le PIB hors agriculture dans le PIB global. Elle est aussi l’élément déterminant dans la vie sociale. S’il pleut, le Marocain est confiant. Il dépense (la consommation intérieure est boostée). Les prix des produits agricoles –viande, légumes, fruits- sont abordables (l’inflation est maîtrisée). L’eau est abondante, tant dans les sources, à la campagne, que dans les barrages. La bonne humeur est palpable et le refrain populaire «El Âm zine» (l’année est bonne) est sur toutes les lèvres.
Aussi, face à un déficit pluviométrique annoncé et à un appel à des prières pour que tombe la pluie, les Marocains ne se posent pas de questions. Ils s’empressent, au jour fixé, de gagner la mosquée ou esplanade de prière la plus proche pour effectuer «Salat al istisqa’e», une tradition du prophète.
Ils étaient donc nombreux, vendredi 10 janvier, dans la matinée, un peu avant l’habituelle prière du vendredi, à répondre à l’appel royal.
Mieux encore, dès l’appel royal lancé, il a été relayé par la communauté juive marocaine qui a, à son tour, appelé ses fidèles à accomplir, samedi 11 janvier, des prières dans toutes les synagogues et temples juifs du Royaume pour qu’arrivent les pluies bienfaitrices. Prières qui ont eu lieu.
Depuis, quelques averses sont bien tombées sur le pays, mais pas encore les pluies salvatrices espérées. La direction de la météorologie nationale prévoit des précipitations sur une grande partie du pays du jeudi 16 janvier jusqu’au dimanche 19 au soir. Quatre journées pluvieuses souhaitées, espérées…
Certes, pour un esprit cartésien, la question se pose: quel peut bien être le lien entre des prières et la pluviométrie, quelle relation de cause à effet ? A l’évidence, il n’y en a pas. Mais pour des hommes de foi, le lien entre la volonté divine et toute chose est indiscutable.
Au Maroc, qu’elles se soldent ou non par des pluies abondantes, les prières surérogatoires ont toujours été, pour les fidèles, un grand moment de contrition. Une sorte de recueillement où se mêlent la foi, selon laquelle seul un retour vers Dieu peut sauver de la catastrophe et la superstition, selon laquelle l’absence de pluie est une punition pour mauvais comportement.
Sur le plan politique, ces prières sont un moment de communion nationale qui ravive le sentiment d’appartenance à un seul et même pays et de crainte pour les intérêts de ce pays. Et quand Marocains de confession musulmane et de confession juive prient à l’unisson, c’est un symbole unique en son genre dans la sphère arabo-musulmane, dont le Maroc est profondément jaloux, malgré les fondamentalistes, salafistes et autre takfiristes qui tentent de temps à autre de donner de la voix (deux fois le cas, ces deux dernières semaines).
Mais au-delà des symboles, quand les Marocains en arrivent à prier pour une meilleure pluviométrie, cela allume des clignotants sur le tableau de bord national qui ramènent aussi vite au raisonnement cartésien. C’est sans doute grâce aux années récurrentes de sécheresse que la politique des barrages a vu le jour, qu’une attention plus grande a été portée au PIB non agricole, que le Maroc a développé sa politique des grands chantiers et des métiers du monde (développement des métiers et industries où le Maroc peut être compétitif) et qu’aujourd’hui encore, comme l’a annoncé la ministre déléguée chargée de l’Eau, Charafat Afilal, devant la Chambre des représentants, la réalisation d’un projet géant de transfert hydraulique du nord du Royaume, riche en eau, vers le sud, souffrant de déficit hydrique, est à l’étude, son coût ayant été estimé à 3,6 milliards de dollars.
Alors, prions, oui, mais agissons…
Bahia Amrani